Alexeï Navalny lors du procès.
Alexey Kudenko/RIA NovostiUn tribunal de Kirov (environ 800 kilomètres au nord-est de Moscou) a condamné Alexeï Navalny, directeur de la Fondation de lutte contre la corruption, à une peine de cinq ans de prison avec sursis pour détournement de fonds.
L’opposant avait déjà été reconnu coupable dans le cadre de la même affaire lors d’un premier procès, le 18 juillet 2013, et condamné à cinq ans de détention en colonie pénitentiaire. Toutefois, la justice a par la suite commué en sursis la peine prononcée. En 2016, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a reconnu que la justice russe avait violé le droit d’Alexeï Navalny (et du deuxième accusé dans le cadre de l’affaire, Piotr Ofitserov) à un procès équitable. Le 16 novembre 2016, la Cour suprême de Russie a renvoyé l’affaire pour révision.
Le nouveau dossier ne différait pas grandement du précédent : même tribunal, mêmes procureurs, mêmes arguments de part et d’autre. Selon le parquet, Alexeï Navalny, à l’époque consultant du gouverneur de la région de Kirov, et Piotr Ofitserov achetaient du bois à prix réduits à l’entreprise publique Kirovles pour le revendre au prix du marché, ce qui a ainsi causé à la société un préjudice estimé tant en 2013 qu’en 2017 à de quelque 252 500 euros.
Les avocats affirment que les deux hommes achetaient et revendaient le bois honnêtement, le corps du délit étant absent. Alexeï Navalny a plus d’une fois déclaré que son jugement était politique et que cet acharnement juridique visait avant tout à l’empêcher de maintenir sa candidature à la présidentielle en 2018. Il a annoncé son intention de se présenter aux élections le 13 décembre dernier.
La décision de la justice de l’accuser de détournement de fonds, un crime grave, signifie automatiquement l’inéligibilité, a précisé son avocate Olga Mikhaïlova. Alexeï Navalny a assuré après l’annonce du jugement qu’il ferait appel.
Dans le discours prononcé le 3 février, Alexeï Navalny a indiqué qu’il voyait dans son dossier « un message » de la part des autorités russes : « Nous t’avertissons gentiment encore une fois que tu n’as pas le droit de faire de la politique ». « Non, merci », a répondu l’opposant, en ajoutant qu’il poursuivrait sa campagne électorale.
Le porte-parole du président russe, Dmitri Peskov, ne confirme pas les propos d’Alexeï Navalny et fait remarquer que le Kremlin « ne suit pas vraiment » l’affaire de Kirovles. Selon lui, il est encore trop tôt pour parler de campagne électorale. « C’est une procédure juridique légitime », a-t-il dit.
Bien que sur le plan juridique, le verdict l’empêche de se présenter à l’élection de 2018 (si l’appel échoue), son équipe estime que tout dépendra non pas de la législation, mais de la volonté de laisser Alexeï Navalny participer à la présidentielle. Son assistant, Leonid Volkov, cite sur sa page Facebook les éventuelles échappatoires : la CEDH pourrait juger cette décision arbitraire encore une fois, la Cour constitutionnelle ou la Douma (chambre basse du parlement russe) pourraient modifier la législation en permettant au condamné avec sursis de maintenir sa candidature. « C’est en faveur de cette décision-là que nous devons œuvrer dans le cadre de notre campagne politique », a-t-il souligné.
« Je pense que la décision finale (des autorités) sur la participation d’Alexeï Navalny n’est pas encore prise », a noté dans une interview à la radio Kommersant FM l’observateur politique Stanislav Koutcher. Selon lui, le pouvoir pourrait tirer un certain avantage de sa participation aux élections : candidat fort de l’opposition, Alexeï Navalny conférerait plus de poids à la victoire envisagée du président en exercice Vladimir Poutine.
Dans le même temps, la participation d’Alexeï Navalny aux élections recèle un grand risque pour le Kremlin, constate le politologue Alexeï Makarkine, vice-président du Centre des politiques publiques. « D’une part, la participation d’Alexeï Navalny pourrait faire remonter le taux de participation – tant grâce à ses partisans que grâce à ses opposants –, mais, d’autre part, s’il participe à la campagne, il aura droit à une tribune, à du temps de parole dans les médias audiovisuels, ce qui risque de le rendre plus populaire », a-t-il dit à RBTH. Il est peu probable qu’Alexeï Navalny remporte la présidentielle face à Vladimir Poutine, mais sa participation même pourrait devenir un capital politique, ce que le pouvoir cherche à éviter, a-t-il conclu.
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