Shabbat et chachlik : la vie des Juifs dans le Caucase russe

Svetlana Miirova, directrice exécutive du Congrès juif régional du territoire de Stavropol.

Svetlana Miirova, directrice exécutive du Congrès juif régional du territoire de Stavropol.

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Une communauté de Juifs montagnards habite aujourd’hui encore en Russie. Ce peuple a vécu de cruelles répressions et a dû dissimuler ses origines, mais il a réussi à survivre et à préserver sa culture.

Les Juifs montagnards appartiennent à la lignée orientale du peuple juif. Iranophones, ils habitent dans le Caucase oriental – au Daghestan en Russie et en Azerbaïdjan – et se différencient des Juifs ashkénazes vivant en Europe. Un sentiment aigu de conscience nationale dicté par une destinée complexe.

La hallah du samedi

Vladimir et Svetlana Djanibekov sont arrivés à Piatigorsk (station thermale dans le territoire de Stavropol) depuis Kizliar, une petite ville de la République du Daghestan, à presque 2 000 kilomètres de Moscou.

Vladimir et Svetlana Djanibekov. Crédit : Service de presseVladimir et Svetlana Djanibekov. Crédit : Service de presse

Une famille de l’intelligentsia soviétique typique : lui est ingénieur, elle professeur de musique. Le couple, qui a aujourd’hui des enfants et des petits-enfants, est surtout connu pour ses activités visant à préserver les traditions des Juifs montagnards.

« A Kizliar, toute la communauté se rassemblait pour fêter le Shabbat. Ce jour-là, même les vieux qui ne sortaient jamais se joignaient à nous. Les femmes se mettaient ensemble pour préparer la hallah (le pain traditionnel du Shabbat) en chantant.

Nous avons même eu droit à un article dans la presse. Je me souviens encore du titre : La famille Djanibekov nous réserve de nouvelles surprises », raconte Svetlana. A Piatigorsk, Svetlana a redoublé d’efforts et a fondé un club de femmes, Mazal.

« Tout a commencé le jour ou deux de mes amies et moi-même avons passé des coups de fil à toutes les femmes de la communauté pour les inviter à une soirée de hafrachat hallah (prélèvement de la pâte). Nous avons réuni quarante personnes ! », indique Svetlana se souvenant de son heure de gloire.

« C’était en avril, il faisait froid. Et nous, en tabliers blancs, nous faisions des pains tressés dans la cour ouverte d’une synagogue en chantier. Mon mari nous avait trouvé des radiateurs… ». Les Djanibekov se rappellent que lorsqu’ils sont arrivés à Piatigorsk, il y a quatorze ans, ils ont souvent vu partir des membres de leur communauté pour l’étranger.

« Au début, nos amis qui avaient émigré en Israël venaient souvent chez nous. Toute la maison était pleine de sacs, de cartons et de valises », poursuit Svetlana. Nombreux ont été ceux qui sont partis, mais tous les autres sont restés et aujourd’hui Piatigorsk est qualifiée de capitale des Juifs montagnards.

Tats ou Khazars ?

Les Juifs montagnards sont un peuple peu nombreux, avec pas plus de 200 000 représentants dans le monde. La majorité a émigré en Israël, aux Etats-Unis et en Europe, mais une partie d’entre eux sont restés en Russie.

Selon les statistiques, ils sont plus de 8 000 dans la sud de la Russie, à Piatigorsk, Iessentouki, Kislovodsk et Mineralniye vody (à environ 1 500 kilomètres au sud de Moscou). A titre de comparaison, il ne reste que trois cents familles à Derbent, ville-forteresse au bord de la mer Caspienne (au Daghestan) qui abritait par le passé une importante communauté.

Il existe différentes hypothèses afin d’expliquer la présence de Juifs dans le Caucase. A la fin du XIXe siècle, l’ethnographe russe Ilia Anissimov a attiré l’attention dans son livre « Les Juifs montagnards du Caucase » sur la ressemblance entre la langue des Tats (peuple iranophone vivant en Azerbaïdjan et dans le sud de la Russie) et celle des Juifs montagnards.

Il a conclu que les Juifs montagnards étaient des Tats convertis au judaïsme. Il existe également la version de l’ethnologue russe Lev Goumiliov, selon lequel leur présence est le fruit de la migration vers la Khazarie (aujourd’hui le territoire du Daghestan et de la Tchétchénie) au VIe siècle, soit avant l’apparition de l’islam, de Juifs iranophones depuis la Perse qui abritait une grande et influente communauté juive ayant abandonné l’hébreu pour adopter la langue perse.

Pendant la période soviétique, la théorie d’Ilia Anissimov sur l’origine « non-juive » des Juifs montagnards a sauvé bien des vies : victimes de répressions, beaucoup d’entre eux ont changé d’appartenance ethnique en affirmant être Tats.

Du temps de l’Union soviétique, les Juifs cachaient à leurs enfants leur appartenance ethnique afin que ceux-ci n’aient pas de problèmes durant leurs études ou lors de l’inscription à l’université. Ils apportaient modifiaient les documents, mais restaient fidèles à leur mode de vie et résistaient de toutes leurs forces à l’assimilation.

Les coutumes caucasiennes des Juifs montagnards

Les Juifs montagnards ont conservé pratiquement intactes leurs traditions. « Notamment parce qu’ils étaient très soudés et avaient un mode de vie assez fermé. De siècle en siècle, ils restaient attachés à la Torah et aux préceptes de leurs pères.

Les Juifs montagnards ont toujours eu non seulement un conseil rabbinique, mais également un conseil de la communauté », a indiqué à RBTH Svetlana Miirova, directrice exécutive du Congrès juif régional du territoire de Stavropol.

Selon elle, si ont dit de quelqu’un que c’est un Juif montagnard, il n’y a pas à douter de ses origines juives car les communautés n’ont jamais approuvé les mariages mixtes. Les Juifs montagnards n’ont pas d’autres coutumes que celles adoptées à Jérusalem : mêmes synagogues, mêmes mariages sous la houpah, le dais nuptial avec deux témoins et la tradition de mariage séparé entre hommes et femmes (quand les hommes n’ont pas la moindre chance d’observer les femmes, tandis que ces dernières ont la possibilité de voir les hommes), même respect de la tradition judaïque.

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