A Sceaux, ces élèves qui choisissent la langue de Pouchkine

Maria Tchobanov
La Cité scolaire Marie-Curie de Sceaux, dans le département des Hauts-de-Seine, est l’un des 46 établissements publics de France qui proposent la langue russe en tant que première langue étrangère (LV1). C’est aussi un des rares établissements scolaires à disposer d’une classe dite "bilingue" (sans en avoir le statut officiel) : l’apprentissage du russe y débute dès la 6ème, en même temps que l’anglais.

Une correspondante de RBTH a rencontré Claire de Sacy (47 ans), professeur de russe à Marie-Curie, pour parler de sa vocation et aborder les questions liées à l’enseignement de cette langue, qui est considérée comme « rare » dans le système éducatif français et qui est probablement en voie de disparition dans le secondaire en France.

Comme la plupart de ses élèves, Claire a commencé le russe au collège. Suivent les études littéraires avec la spécialisation en russe, l’Ecole normale supérieure, avec en parallèle une licence à la fac de Nanterre et une maîtrise à l’Inalco. Enfin, le Capes de russe à l’ENS. Progressant dans ses études et lors des rencontres faites au cours de ses voyages, Claire développe une vraie passion pour la langue et la culture russes.

Nous sommes au début des années 1990, quand la Russie s’ouvre au monde extérieur. Mais paradoxalement, c’est à ce moment que la France commence à se désintéresser de l’enseignement du russe dans le secondaire. « Si on m’avait dit quelle galère j’allais traverser avant d’arriver ici, je pense que j’aurais choisi complétement autre chose. C’était vraiment un parcours du combattant », avoue la professeure.

Selon Mme de Sacy, c’est l’image chaotique liée à l’époque postsoviétique a généré cette méfiance et nettement compliqué la carrière d’enseignant de russe. Enormément d’établissements secondaires ont arrêté de proposer le russe. La baisse a atteint 40% en une quinzaine d’années (entre les années 1990 et le début 2000). Ce n’était pas seulement le travail des enseignants qui était en perdition : l’intérêt des élèves était lui aussi en chute libre. 

Jeune enseignante parisienne, Claire a décroché son premier poste en 1996 à Limoges. Après avoir arrêté de travailler pendant dix ans pour élever les enfants, elle a été nommée à Nemours (200 km aller-retour depuis Paris), d’où il fallait également se rendre à Melun pour donner les cours dans les classes prépa et assurer les remplacements à Fontainebleu. Une situation complètement rocambolesque que Claire, mère de quatre enfants, a dû supporter pendant quatre ans.

Aujourd’hui, Claire de Sacy a un poste à Marie-Curie, qui a d’ailleurs failli disparaître lorsque la politique de suppression d’un fonctionnaire sur deux a également touché l’Education nationale. Le bon sens et une vraie demande pour la langue russe dans cet établissement ont contribué à la reconstitution de ce poste.

Cependant, cette demande n’est pas uniquement locale et le remplissage de la classe de russe dépend beaucoup des dérogations accordées aux enfants des villes voisines de Sceaux. En sachant que la carte scolaire devient de plus en plus rigide et que beaucoup de dérogations sont refusées par le rectorat, la survie de cette classe, qui fut longtemps un vrai atout du collège Marie-Curie, n’est pas garantie. 

Des motivations variables

Qui sont ces élèves qui choisissent le russe comme première langue étrangère ? Selon Claire de Sacy, en ce qui concerne la Cité scolaire Marie-Curie, un tiers des élèves vient de familles russophones ou attachés à la culture slave au sens large. Un deuxième tiers à choisi le russe pour échapper à la carte scolaire et être admis dans un établissement réputé. Parmi eux, certains vont aimer la langue par hasard, s’y intéresser et réussir. « Et c’est un nombre assez significatif pour que ça vaille le coup », affirme le professeur.

Le troisième tiers - ce sont des élèves qui choisissent le russe par vraie curiosité intellectuelle, qui ont envie de rompre avec la conformité ambiante, la majorité des collégiens optant pour l’anglais et l’espagnol. « Je dis souvent à mes élèves de lycée quand ils ont besoin d’être un peu encouragés que le fait d’avoir été élève de russe c’est toujours un plus, quelque chose qui vous distingue des autres, une perle qui peut aider à être remarqué, entre autres, par le recruteur », avoue l’enseignante.

Outre les difficultés évoquées il y a aussi le problème du matériel. Les manuels de russe actuellement utilisés dans le secondaire datent d’au moins de quinze ans.

« On envie les collègues d’anglais et d’espagnol qui changent de manuels quasiment chaque année. Ils ont des supports adaptés aux programmes, qui ont changé depuis quinze ans. L’oral est beaucoup plus valorisé aujourd’hui au lycée et il fait partie des épreuves, tandis qu’avant il y avait seulement une épreuve écrite. On développe les compétences qui ont été délaissées auparavant. On doit emmener les enfants à essayer de parler, argumenter sur des thèmes du programme de l’année. Et pour cela, nous sommes obligés de fabriquer beaucoup de choses par nous-même pour compenser le manque de manuels modernes », explique Claire de Sacy.   

Langue et culture vs. réalités économiques

Existe-t-il aujourd’hui une volonté politique de maintenir la langue russe ?, se demande l’enseignante. On est plutôt aujourd’hui dans une logique de rationalisation économique. Le russe ennuie finalement pas mal de gens, puisqu’économiquement parlant, son enseignement n’est pas toujours rentable. Quand on paye un professeur, il faut remplir les classes, or beaucoup d’établissements comptent très peu d’élèves optant pour le russe – environs 10-15 élèves par promotion. 

Avec la réforme du collège, qui entrera en vigueur à la rentrée 2016, l’apprentissage de la deuxième langue vivante (LV2) risque d’être mis à mal. La deuxième langue commencera non plus en quatrième, mais en cinquième, avec seulement deux heures au lieu de trois par semaine.

D’après Claire de Sacy, apprendre le russe de manière aussi éparpillée peut décourager beaucoup d’élèves. Pour le russe en LV1, les choses ne devraient pas beaucoup changer, sauf si le rectorat décide de rejeter toutes les dérogations qui ont jusque-là permis de maintenir les classes de russe.

« Il est difficile de parler des perspectives aujourd’hui, parce que la demande est stable, mais la réponse sera-t-elle au niveau de la demande ? La volonté de maintenir la langue russe doit être encouragée au plus haut niveau de la hiérarchie de l’Education nationale, par le recteur. Ce n’est pas quelque chose qui se fera naturellement », conclut Claire de Sacy.

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