Des habitants locaux portent les drapeaux de l'Ukraine et des Tatars de Crimée au village de Tchongar, le 20 septembre 2015. Des représentants de l’organisation d’extrême-droite Pravy Sektor et des volontaires pro-ukrainiens ont bloqué le passage entre l’Ukraine et la Crimée.
APForte du soutien du ministère de l’Information de la Crimée, la procureure générale de la presqu’île, Natalia Poklonskaya, a formulé des « recommandations instantes » aux médias locaux, les appelant à éviter dans leurs articles le mot « Mejlis » (assemblée) ou la notion de « Mejlis du peuple des Tatars de Crimée ». En effet, cette organisation n’est pas enregistrée sur le territoire criméen et n’existe pas, souligne la lettre du ministère adressée aux médias de Crimée et de Sébastopol.
La recommandation de la procureure générale a été formulée au ministère le 21 septembre, au lendemain de l’organisation d’un blocus aux postes de passage entre l’Ukraine et la Crimée. L’initiative de cette manifestation appartient à Moustafa Djemilev et Refat Tchoubarov (les deux hommes sont interdits d’entrée en Russie), respectivement ancien et actuel présidents du Mejlis. Les camions qui transportent les marchandises ukrainiennes ne peuvent plus quitter le territoire de l’Ukraine. Les Tatars de Crimée sont soutenus par des députés du parlement ukrainien, des représentants de l’organisation d’extrême-droite Pravy Sektor (interdite en Russie, ndlr), des volontaires pro-ukrainiens et des hommes de commandos. La « défense » est échelonnée sur deux lignes. Les conducteurs des poids lourds, qui possèdent tous les documents nécessaires à la livraison de leur chargement, ont formé de longues files d’attente, tandis que certains ont préféré faire demi-tour pour sauver les denrées périssables. Ceux qui ont décidé d’attendre ont dressé des tentes.
Objectifs
Nariman Djelialov, premier vice-président du Mejlis, a indiqué à RBTH que la manifestation était illimitée et que ses revendications étaient formulées dans cinq points adressés à Moscou : « Libérer les prisonniers politiques ukrainiens » détenus en Russie, « lever les obstacles illégaux aux activités des médias d’Ukraine et des Tatars de Crimée » dans la péninsule, « cesser des persécutions arbitraires des Tatars de Crimée », amender la loi sur une zone économique spéciale en Crimée et garantir des schémas commerciaux transparents. « Pour que le commerce ne s’effectue pas comme aujourd’hui lorsque, dans la plupart des cas, les articles sont importés en contrebande, ce qui permet aux fonctionnaires et hommes d’affaires tant ukrainiens que criméens d’empocher des sommes rondelettes », a poursuivi Nariman Djelialov. Il a ajouté qu’officiellement, le Mejlis, qui compte actuellement 30 membres, n’avait pas pris de décision sur le blocus. Les habitants de la Crimée n’ont aucun rapport avec cette mesure, car cette dernière a été organisée par ceux qui « bon gré, mal gré, se trouvent en Ukraine continentale ».
Le président ukrainien Petro Porochenko a soutenu le blocus et a affirmé qu’il contribuerait à un prompt rétablissement de la souveraineté de l’Ukraine sur la Crimée. Selon lui, les gardes-frontières et le ministère de l’Intérieur ukrainiens doivent garantir l’ordre et empêcher toute provocation. Le Mejlis a perçu la recommandation de la procureure générale comme une réaction au blocus et l’a qualifiée d’une « espièglerie d’enfant ». « Les médias criméens ne nous ont presque jamais cités dans un contexte positif. Ainsi, ça ne nous fait ni chaud ni froid », a noté Nariman Djelialov. Le Mejlis n’a pas l’intention non plus de s’enregistrer en Russie en qualité d’association (en Ukraine, il possède le statut de structure représentative nationale) : « Par principe. Le Mejlis et notre congrès national kurultaï sont des organismes représentatifs de tout un peuple. Le droit à de telles structures est mentionné dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones ».
Lien évident
Mais dans la péninsule, personne n’a l’intention de réagir à cette manifestation, a déclaré à RBTH le vice-premier ministre criméen, Rouslan Balbek. La seule chose que se proposent de faire prochainement les autorités de la péninsule, c’est de remplacer toutes les marchandises ukrainiennes par des articles russes. « La Crimée n’est pas dépendante de la production ukrainienne. Elle ne consommait que 5 à 6% de produits alimentaires ukrainiens. Pour la Crimée, cette manifestation revêt plutôt un caractère politique et ne portera aucun préjudice économique à la région », a-t-il fait remarquer, en ajoutant que la situation serait particulièrement difficile pour la région de Kherson (Ukraine) dont le marché était tributaire des relations avec la Crimée (qui consommait notamment ses tomates, ses courgettes et ses concombres).
Rouslan Grinberg, directeur de l’Institut de l’économie de l’Académie des sciences de Russie, ne partage pourtant pas l’optimisme des autorités de la Crimée : « Les articles sont déjà en cours de remplacement, mais tout blocus accélère l’inflation. Le lien est évident. Il faut s’attendre à une hausse des prix ». Toutefois, rien ne fait pressentir que le blocus sera long : « Cela ne profite ni au pouvoir ukrainien, ni au pouvoir russe, ni, encore moins, aux autorités criméennes. D’ailleurs, la manifestation n’a pas suscité de réaction univoque en Ukraine », a dit à RBTH le directeur de l’Institut ukrainien des stratégies globales, Vadim Karassiov. Pour lui, l’objectif des Tatars de Crimée est de replacer le sujet de la Crimée dans le champ de vision de la politique internationale, d’où il avait tendance à disparaître, ainsi que de pousser Kiev à agir de manière plus décisive.
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