En Crimée, la question ethnique s’immisce dans les médias

Les médias du holding privé des Tatars de Crimée ATR n’ont pas tous été réenregistrés. Crédit : Alekseï Pavlichak / TASS

Les médias du holding privé des Tatars de Crimée ATR n’ont pas tous été réenregistrés. Crédit : Alekseï Pavlichak / TASS

Le principal holding de presse des Tatars de Crimée, ATR, n’est pas parvenu à obtenir une licence russe et a dû cesser son activité en Crimée. La direction d’ATR est convaincue que le conflit est motivé par des questions ethniques. Pourtant, les autres minorités de la presqu’île ne déplorent pas de perturbations dans le travail dans leurs médias.

La période de transition sur le marché des médias en Crimée s’est achevée le 1er avril, les médias de la péninsule ne peuvent désormais plus travailler avec des licences ukrainiennes. Pour poursuivre leurs activités, ils doivent obtenir une licence russe. Pourtant, tous n’ont pas réussi à s’intégrer dans le nouveau champ juridique. Notamment, les médias du holding privé des Tatars de Crimée ATR n’ont pas tous été réenregistrés. 

Le cas d’ATR a déjà attiré l’attention à l’étranger, le Département de l’État américain a, notamment, « fermement condamné » la fermeture de la presse en Crimée. Le Service européen pour l’action extérieure évoque également une violation de la liberté de parole. Le ministère russe des Affaires étrangères a, entretemps, exprimé sa « grande perplexité » face aux tentatives « de qualifier la situation d’atteinte à la liberté de parole et aux droits des médias des Tatars de Crimée ». « Depuis mai 2014, ils avaient largement assez de temps pour préparer correctement et consciencieusement tous les documents requis », précise le communiqué publié par le ministère.

Holding en disgrâce

Les médias des Tatars de Crimée ne sont pas les seuls à ne pas avoir accompli leur réenregistrement. Cependant, ce sont les Tatars qui ont dénoncé avoir été privés de leurs propres médias. « ATR n’était pas la seule chaîne des Tatars de Crimée. Ils ont également une demi-heure d’antenne à la télévision publique, mais cela ne remplacera pas АТR », a déclaré à RBTH le fondateur du holding de presse ATR Lenour Isliamov dans un entretien. Il explique que le holding a présenté les documents à Roskomnadzor (service fédéral de surveillance d’Internet et des médias traditionnels) à quatre reprises, les documents ayant été renvoyés trois fois sans aucun examen. Roskomnadzor a expliqué que les renvois étaient motivés par des violations de la procédure d’enregistrement.

Les autorités de Crimée ont riposté par une accusation. Le dirigeant de la république Sergueï Axionov a déclaré que les propriétaires du holding sabotaient volontairement le processus d’octroi de la licence afin de créer l’apparence d’une discrimination à l’égard des Tatars de Crimée et d’une persécution des voix dissidentes, alors qu’en réalité, le holding menait une guerre d’information contre la Russie. Axionov a assuré qu’une société de radio- et télédiffusion publique des Tatars de Crimée verrait bientôt le jour dans la péninsule et qu’elle ne serait pas soumise aux « diktats idéologiques et financiers ».  

Question ethnique ou politique ?

Ce n’est pas le premier cas de mécontentement public vis-à-vis de la politique de certains médias. Début mars 2014, un communiqué du service de presse du Conseil des ministres de Crimée affichait sa volonté de fermer les chaînes ukrainiennes afin de « mettre fin au flux de mensonges ». Quelques jours après cette déclaration, la diffusion analogique de toutes les chaînes de télévision ukrainiennes en Crimée a été interrompue.

Pour Vassili Gatov, vice-président de l’Union russe des éditeurs de presse et membre du directoire de l’association mondiale des éditeurs IFRA, le conflit avec ATR est effectivement lié à la question ethnique : « l’élite » de la Crimée a ses propres intérêts sur la péninsule et elle cherche à les défendre. Par ailleurs, le gouvernement de la Crimée « craint, effectivement, les médias locaux  indépendants », estime Gatov.

Les minorités hors du champ politique

Dans le même temps, le présentateur d’ATR Lenour Iounoussov estime que les autres minorités ethniques « ne risquent pas d’avoir de problèmes », car elles sont trop peu nombreuses et leurs médias « n’ont jamais eu de grande influence sur le public ». Les interlocuteurs de RBTH au sein des diasporas de Crimée n’ont, effectivement, soulevé aucun problème.

La communauté juive a confirmé que ses médias ne traitent pas des questions politiques. « En Crimée, il existe trois journaux publiés par des fondations caritatives et ils ne parlent que des actualités de la communauté », explique le directeur de la communauté religieuse juive de Yalta Vladlène Lioustine. La communauté peut difficilement prétendre créer ses propres médias, car elle peine à trouver un sponsor. 

La diaspora grecque ne dispose pas de médias privés pour les mêmes raisons. « Nous n’avons pas de personnel non plus », avoue le directeur de l’autonomie culturelle nationale grecque Taurida Ivan Chonousse.

La diaspora bulgare a expliqué qu’actuellement, « les Bulgares ne ressentent pas le besoin de lancer des publications de manière systématique ». Le président de la société républicaine bulgare de Crimée Ivan Abajeré explique qu’aujourd’hui, toutes les minorités ethniques ont accès à l’antenne de la chaîne publique de Crimée (en moyenne, 15-30 minutes de diffusion). « Si ATR avait voulu obtenir la licence, il l’aurait obtenue. Je travaille depuis longtemps sur la question ethnique et je peux vous dire que la justification ethnique du conflit avec ATR est tirée par les cheveux », assure-t-il. 

 

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