La Russie peut-elle se déconnecter du réseau mondial ?

Crédit : Shutterstock/Legion-Media

Crédit : Shutterstock/Legion-Media

Le Conseil de sécurité russe examine actuellement la sécurité d'internet en situation d'urgence. Le Kremlin affirme que l'objectif principal de ces pourparlers est d'adopter des mesures en matière de sécurité cybernétique, dans un contexte général d'actions imprévisibles de la part des partenaires occidentaux de la Russie, et pour se protéger contre d'éventuelles actions hostiles en provenance de l'extérieur. Mais les blogueurs russes et spécialistes de l'internet redoutent que cette démarche puisse dissimuler une tentative de restreindre les libertés et d'isoler la Russie du réseau mondial.

Le 22 septembre, le Conseil de sécurité russe s'est penché sur les questions relatives à la sécurité sur la Toile. Les débats ont principalement porté sur des situations d'urgence telles que les opérations militaires et les protestations à l'intérieur du pays. Il a notamment été suggéré de transférer les fonctions d'administrateur de domaine à l'Etat. Actuellement, c'est l'organisation civile « Centre de coordination des domaines nationaux sur internet » qui s'en occupe.

L'attaché de presse du président russe, Dmitri Peskov, a déclaré qu'il n'était pas prévu de déconnecter le pays de l'Internet mondial. Il a toutefois rappelé que « ces dernières années, les actions des USA et de l'Europe ont un caractère très imprévisible et nous devons donc être prêts », cite l'agence Interfax. Selon Dmitri Peskov, ces démarches ne sont pas entreprises pour isoler la Russie du réseau mondial, mais bien pour « la protéger contre d'éventuelles actions hostiles en provenance de l'extérieur ».

Les Russes sont-ils prêts à se « débrancher » ?

En juillet, le ministère russe des Télécommunications a conduit des études visant à tester la stabilité du fonctionnement de l'Internet russe, et à mesurer sa résistance en cas d'actions hostiles. Ce sont précisément ces résultats qui attirent l'attention du Conseil de sécurité russe. Comme ces études l'ont montré, l'Internet russe est pour l'instant vulnérable, et les fonctionnaires élaborent des mesures pour minimiser les risques.

« Nous savons qui est l'administrateur principal de l'Internet mondial, déclare Dmitri Peskov pour Interfax. Et face à ce facteur d'imprévisibilité, nous devons réfléchir à comment garantir notre sécurité nationale ». A en juger par ses propos, le gouvernement russe semble craindre une déconnexion du réseau ou une attaque de l'extérieur – c'est-à-dire une répétition du scénario syrien. A la suite du blocage d'Internet en Syrie, la majorité des services du pays avaient effectivement été coupés du monde extérieur. Pendant deux jours, la Syrie est ainsi restée sans connexion : selon le bureau d'études Renesys, 4 blocs d'adresses IP étaient indisponibles et 77 canaux – soit 92% des flux du réseau national – ont commencé à rencontrer des problèmes de fonctionnement. Les organisateurs de l'attaque ne sont toujours pas connus mais le gouvernement syrien a accusé « les forces ennemies de l'Ouest ».

Les experts russes pensent qu'une déconnexion du réseau russe depuis l'extérieur est possible, mais peu probable. « Bien sûr, la distribution et la gestion des adresses IP est centralisée et soutenue par le service DNS. Théoriquement, ses administrateurs peuvent apporter des modifications aux fichiers-source, explique Oleg Demidov, directeur des programmes du PIR Center, à RBTH. Dans ce cas, le lien entre les adresses IP et les noms de domaine serait coupé. En deux semaines, la Russie perdrait alors tout contact avec le monde extérieur. Mais ce genre d'événement est très peu probable dans la mesure où les organisations qui contrôlent le système sont non-gouvernementales. Elles sont étrangères à la politique et ne peuvent être touchées par aucune sanction ».

Selon l'expert, la répétition du scénario syrien en Russie est également peu réaliste, dans la mesure où l'attaque a porté, dans ce pays, sur les équipements de télécommunications. « En Russie, le processus de développement d'internet a rendu impossible ce genre de situations : nos systèmes d'alimentation du réseau disposent tous de doublures », précise Oleg Demidov.

Un « bouton rouge » pour l'Internet ?

Une autre question est de savoir si la Russie pourrait « se déconnecter » elle-même, et si les Russes y seraient prêts. « Pour la majorité de la population, ce serait possible », pense Vadim Tchekletsov, directeur du Centre russe de recherches sur l'Internet. « La Chine l'a bien montré. La plupart des utilisateurs avancés pourront toujours trouver des moyens de contourner ce genre d'initiatives ». Vadim Tchekletsov ne comprend toutefois pas en quoi couper l'Internet russe du réseau global permettrait d'en garantir la sécurité : « Notre système de défense, de toute façon, n'est pas connecté à ceux des USA et de l'Europe ».

L'idée du gouvernement est surtout de réprimer l'activisme citoyen à l'intérieur du pays, craignent les blogueurs et les acteurs du marché. « Il est possible qu'au regard de l'expérience des Printemps arabes, le principal objectif des autorités soit de cibler les réseaux sociaux d'envergure internationale comme Facebook et Twitter », pense Demidov. Selon lui, une telle déconnexion exigerait de reconstruire toutes les infrastructures à l'intérieur des frontières du pays – ce qui serait complexe et coûteux. « Et si cela n'est pas fait à un haut niveau, la connectivité pourrait en pâtir ».

Le blogueur Anton Nossik pense toutefois que de tels problèmes sont inexistants. « En fait, tous les principaux canaux sont détenus par des opérateurs qui travaillent sous licence du ministère des Télécommunications, écrit Nossik sur son blog. Et toute violation des conditions de cette licence entraînerait son retrait. Donc absolument tous les fournisseurs de services internet russes, s'ils reçoivent l'ordre du ministère des Télécommunications de désactiver certains canaux, le feront en quelques minutes pour être sûrs de ne pas perdre cette licence ».

 

Réagissez à cet article en soumettant votre commentaire ci-dessous ou sur notre page Facebook


Dans le cadre d'une utilisation des contenus de Russia Beyond, la mention des sources est obligatoire.

Ce site utilise des cookies. Cliquez ici pour en savoir plus.

Accepter les cookies