Crédit photo : Mikhaïl Sinitsyn
La famille de Yarob est arrivée à Moscou à la fin du mois de janvier. Aujourd’hui, elle vit dans un appartement que leur a trouvé son frère et les enfants vont à l’école, mais les souvenirs pénibles restent vifs.
Yarob, 39 ans, revient sur le début des troubles. Les gens sortaient dans la rue pour participer à des manifestations qui ressemblaient à des fêtes. On y emmenait les enfants, personne n’arrêtait les manifestants…
Yarob lui-même n’a « pas remarqué comment un jour, subitement, on ne sait pourquoi et comment, des armes sont apparues dans l’un de ces rassemblements. On nous a expliqué que c’était pour la protection des civils. Personne n’a été tué ou arrêté dans notre village jusqu’à ce qu’une moto piégée explose près du check-point à l’entrée de Al-Skelbia (20 000 habitants chrétiens). Après cela, l’armée a installé un camp près de notre village ».
Inopinément, les combattants issus des Frères musulmans ont commencé à tirer tous les jours en direction du camp militaire. Ils ignoraient les demandes des habitants de ne pas utiliser leurs maisons pour mitrailler l’armée.
Crédit photo : Mikhaïl Sinitsyn
« Un jour j’étais dans ma pharmacie et un homme armé est entré. Je lui ai dit : vous dites que vous avez pris les armes pour protéger les civils, mais alors pourquoi vous nous utilisez comme des boucliers vivants, vous tirez à partir de maisons dans lesquelles vivent des gens. Bien sûr, il ne m’a rien répondu. Mais le lendemain, une fusillade a éclaté entre l’armée et les combattants et un enfant de trois ans a été tué. C’était la première victime civile », raconte le pharmacien.
Son épouse Suzanna se mêle à la conversation : « Il y avait une pièce dans notre maison que nous utilisions comme refuge. Nous avons été obligés de quitter la maison et une semaine plus tard, un obus est tombé précisément sur cette pièce. Mais là où nous avons fui la guerre, elle nous a rattrapée ».
Yarob et sa famille ont d’abord loué un appartement dans une région plus sûre, et puis ont déménagé à Al-Skelbia.
Yarob se rappelle ce qui est arrivé à leurs amis et proches : « Deux amis se sont disputés, l’un était dans l’armée libre, l’autre dans l’armée régulière. Résultat : celui de l’armée régulière a tué celui de l’armée libre. Le frère de celui qui a tué soutenait l’armée libre en lui versant 4 500 d'euros par mois ».
Par la suite, raconte Suzanna, la maison de ce frère, son usine de lait, la maison de son fils et quelques boutiques ont été brûlées, comme cinq autres maisons de ses parents les plus proches. « La maison de mon oncle qui n’y était pour rien dans cette histoire a été incendiée. Et le magasin aussi. Et la maison de ma tante, et la pharmacie ».
Crédit photo : Mikhaïl Sinitsyn
C’était l’une des plus grandes pharmacies du district de Hama. Il y en avait pour 225 000 d'euros rien qu’en alimentation pour enfants. Le propriétaire a proposé 52 500 d'euros pour sauver son commerce. On lui a pris l’argent, mais la pharmacie a quand même été incendiée.
Après cet incident, les habitants de la ville ont décidé de faire grève et ont fermé toutes les pharmacies pour une journée. « Moi aussi j’ai fermé boutique, mais on m’a prévenu : si tu ne l’ouvres pas, elle sera incendiée », raconte Yarob. C’est ce qui s'est passé avec les autres pharmacies, où des grenades ont été balancées.
La situation empirait. Trois fois la maison des Rachid a été touchée par des obus, avant qu’ils ne quittent le pays, et deux fois après qu’ils se sont retrouvés en Russie. « Ça tirait tout le temps », se souvient Suzanna.
En regardant son deuxième fils, elle se rappelle qu’avant la guerre, il se rendait tout seul chez son grand-père, même quand il faisait déjà nuit. Maintenant il a peur d’aller aux toilettes sans se faire accompagner. Quand un feu d’artifice a détonné à Moscou à l’occasion d’une fête, les enfants ont cru que la guerre recommençait.
La famille Rachid n’est pas la seule à avoir décidé de fuir : « Près de 65% des habitants ont quitté notre district, en direction de la Turquie ou d'ailleurs en Syrie. Beaucoup d’entre eux n’avaient ni passeports, ni argent ».
Tout a disparu dans la ville natale de Yarob : nourriture, eau, électricité. Suzanna s’est mise à fabriquer du pain à la maison, mais la farine est devenue hors de prix.
« Il est arrivé que nous passions trois jours sans manger une miette. Il faisait très froid l’hiver. Une fois, une fusillade violente a commencé. Nous nous sommes cachés dans le couloir, assis sur le sol en pierre. Nous étions gelés mais il était impossible d’aller chercher des vêtements chauds car les balles traversaient nos fenêtres sans cesse », raconte Suzanna.
Malgré tout ce qu’il a traversé, Nasser continue d’avoir des préoccupations d’enfant : « Je ne connais personne ici… Mes amis Ibrahim, Mahmoud, Rachid me manquent... ».
« Moi, tonton et grand-père me manquent », lâche le fils cadet.
Yarob secoue la tête : « Le plus important pour moi maintenant est d’obtenir un permis de travail. Comment vivre sans travail ? Mais notre situation est tout de même mille fois meilleure que celle des autres ».
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