Le virage transatlantique de Trump choque l’Europe et inquiète la Russie

Donald Trump

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Reuters
Donald Trump a présenté ses priorités en matière de politique étrangère à la presse européenne et a indiqué qu’il pourrait abandonner les sanctions antirusses dans le cadre d’un accord sur les armes nucléaires avec Moscou. Est-ce là un signe que la question épineuse de la Crimée, prétexte officiel pour les sanctions, pourrait être résolue à la faveur de la Russie ?

À six jours de l’entrée en fonction du 45e président américain, une interview, publiée simultanément par le Bild allemand et The Times britannique signale que Donald Trump envisage sérieusement de refaçonner drastiquement les relations avec les alliés européens et la Russie.

Pendant une conversation d’une heure, Trump a salué le Brexit, taclé l’Union européenne comme étant « essentiellement un véhicule pour l’Allemagne » et affirmé que cinq pays seulement contribuaient au budget de l’Otan« comme ils devaient ». De plus, il a qualifié l’Alliance  d’« obsolète » et a refusé de soutenir explicitement Angela Merkel dans sa réélection comme chancelière.

« L’Europe réagit à l’interview de Trump avec stupéfaction », écrit la Deutsche Welle pour résumer la perplexité des capitales européennes.

Quant à la réaction de Moscou, les dirigeants russes semblent afficher de la confusion, voire même de l’inquiétude. Pourquoi ce sentiment de malaise ?

Plus de questions que de réponses

Dans l’absolu, Moscou sera probablement confronté à une offre dans l’esprit du principe « donnant, donnant ». Washington, comme le laisse entendre Trump, pourrait lever les sanctions financières, économiques et diplomatiques contre les entreprises et responsables russes à une condition majeure : les deux pays doivent s’entendre sur un accord de réduction des armes nucléaires.

La réduction des arsenaux  n’est pourtant pas le  fond du problème. C’est un signe de la volonté du président américain de s’attaquer à la détérioration récente et inquiétante de la stabilité stratégique.

Une ligne rouge a été franchie. La veille de l’annonce du résultat final des élections américaines, alors qu’Hillary Clinton était donnée gagnante, le commandement militaire russe avait examiné l’état des bunkers nucléaires du pays, chose qui n’avait pas été faite depuis des décennies.

La question principale portera sur les stratégies de Trump concernant la crise politique et sociale brûlante en Ukraine, ainsi que sur son acceptation de la légitimité du référendum qui s’est tenu en mars 2014 en Crimée, à l’issue duquel plus de 96% des résidents se sont prononcés pour le rattachement à la Russie.

Pour le moment, l’annonce de Trump soulève plus de questions qu’elle n’apporte de réponses.

Dans les tranchées idéologiques


Dès le départ, le candidat républicain affichait des vues en décalage avec l’administration précédente sur la Russie et les bouleversements en Ukraine.

En juillet 2016, dans un entretien avec George Stephanopoulos dans l’émission This Week sur ABC News, Donald Trump a fait comprendre qu’il ne partageait pas l’opinion du président Obama sur la crise ukrainienne et ce qui avait été qualifié par la presse et les responsables occidentaux d’« annexion » de la Crimée.

« La population de la Crimée, d’après ce que j’ai entendu, préfère être avec la Russie que là où elle était auparavant », a déclaré Trump, taclant au passage l’administration Obama.

Dans l’entretien récent avec le Bild et le Times, Trump semblait conciliant et indiquait que « La Russie souffre terriblement en ce moment à cause des sanctions, mais je pense qu’il pourrait arriver quelque chose qui profiterait à un tas de gens ». Cohérence ? On dirait bien.

Écueils cachés


En revanche, le futur Secrétaire d’État américain Rex Tillerson n’a pas mâché ses mots devant le Comité des Affaires étrangères du Sénat américain. Il a déclaré que la Russie n’avait aucun droit légal sur la Crimée et a ajouté que cette situation pourrait être inversée dans le cadre d’« accords plus larges » qui seraient « acceptables pour le peuple ukrainien ».

Cette condition supplémentaire posée par Tillerson annule la possibilité pour la Crimée, désormais partie intégrante de la Fédération de Russie, d’être légitimée par l’Occident. Du moins, pour le moment.

La principale raison est que les responsables politiques actuels à Kiev n’organiseraient jamais un référendum national pour demander aux Ukrainiens s’ils seraient prêts à accepter que la Crimée fasse partie de la Russie (la péninsule a fait formellement partie de l’Ukraine de décembre 1991 à mars 2014, ndlr).

Cependant, le nouveau président américain n’est pas un politicien qui distribue des gâteaux gratuitement. Il y a toujours un prix à payer.

Un compromis ? À quel prix ?

Selon le quotidien londonien The Independent, en échange de son acceptation de la Crimée comme partie intégrante de la Russie, les États-Unis demanderaient à Moscou de « cesser d’envoyer des troupes et du matériel militaire aux rebelles de l’Ukraine de l’Est qui combattent le gouvernement ukrainien ».

Le plan de Henry Kissinger, s’il est correctement restitué, manque de compréhension des causes profondes de la rébellion en Ukraine orientale. Il exagère largement les leviers dont dispose Moscou sur les deux républiques autoproclamées, particulièrement sur l’opinion publique.

Ceux qui ont contesté les autorités centrales de Kiev ne sont pas des séparatistes prorusses. Ce sont plutôt des dissidents pro-ukrainiens rejetant le coup d'État dans le pays qu’ils considèrent comme le leur.

Fondamentalement, la population des régions de Donetsk et de Lougansk demande le droit démocratique d’élire son propre gouvernement, qu’il n’y ait pas d’ingérence étrangère et que le premier ministre ukrainien ne soit pas nommé par le Département d'État américain.

En bombardant les villages et les villes des régions de Donetsk et de Lougansk, le gouvernement a transformé les civils en victimes. Une génération d’« enfants de la guerre » a émergé en Ukraine.

Il ne sera pas facile pour Moscou de convaincre les habitants des régions rebelles d’accepter des accords qui menacent leur existence même.

Accords vagues

En outre, de nombreuses spéculations circulent sur la forme que pourrait prendre le compromis ultime selon la « doctrine Trump », dont les contours restent à ce jour obscurs.

Certains experts suggèrent que le nouvel ordre mondial vu par Trump sera bâti aux dépens de la Chine en premier lieu.

Voici un exemple de ce raisonnement, retrouvé sur Internet. Afin de geler ou, du moins, retarder l’accession de la Chine à la suprématie globale, l’administration de Trump pourrait faire une offre à Moscou. Les États-Unis pourraient efficacement bloquer les routes commerciales maritimes chinoises et la Russie pourrait gagner sur la question de la Crimée si elle renonce à sa coopération avec la Chine en créant une nouvelle route de la soie terrestre.

Dans sa conférence de presse traditionnelle de fin d’année, le président Poutine a souligné que les relations entre la Russie et la Chine allaient plus loin qu’un simple partenariat stratégique. En d’autres termes, elles ne sont pas négociables.

Dans un entretien avec Rossiïskaïa Gazeta, Nikolaï Patrouchev, secrétaire du Conseil de sécurité russe, a salué la possibilité d’améliorer les relations bilatérales avec les États-Unis, mais a précisé qu’il ne s’attendait pas à ce que cela se fasse rapidement.

Patrouchev ne mise pas non plus sur une levée rapide des sanctions conçues pour contenir la Russie. Pour conclure, Moscou préfère garder une attitude attentiste envers la nouvelle administration américaine jusqu’à ce qu’autre chose que des propositions vagues soit mis sur la table de négociations.

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