Après la destruction d’un avion militaire russe Su-24 par la Turquie dans le ciel syrien, la Russie n’a pas appliqué la loi du Talion. Moscou s’est limité à des sanctions contre son ancien partenaire qui, selon le président Vladimir Poutine, avait porté « un coup de poignard dans le dos » de la Russie. Le coup est derrière nous, mais la blessure peut-t-elle guérir ? Quel avenir pour les relations entre Moscou et Ankara ?
La Russie, faisant primer l’économie sur la géopolitique et l’idéologie, avait cherché à établir une relation amicale avec son voisin du sud, basée avant tout sur la coopération économique. Parallèlement, la Turquie penchait de plus en plus vers l’idéologisation de son évolution politique tant intérieure qu’extérieure.
Le Parti de la justice et du développement du président Recep Erdogan, parti conservateur et islamique modéré, a lancé une « perestroïka » dans le pays et cherche une nouvelle place pour la Turquie dans le monde. Côté international, la doctrine politique de la Turquie, « Zéro problèmes avec les voisins » était, au départ, exclusivement pacifique. Mais avec le temps, elle a entraîné une intensification de la politique turque dans le monde et dans les pays frontaliers, ainsi que la volonté de former des groupes de lobbying et d’influencer la prise de décisions. Pour cela, la Turquie s’est appuyée sur des leviers religieux (islam), ethniques (turquisme), historiques (néo-ottomanisme) et éducatifs.
Russie et Turquie : l’illusion d’un partenariat
La Russie a été confrontée aux tentatives d’Ankara d’influencer ses régions par le biais de tous les instruments mentionnés ci-dessus, ce qui n’a toutefois pas provoqué une révision des relations avec la Turquie. Cependant, après les événements du « printemps arabe », les buts et les objectifs des deux pays sur la scène internationale ont commencé à diverger profondément.
Les dirigeants turcs, encouragés par l’arrivée au pouvoir d’un mouvement proche des Frères musulmans en Egypte, ont décidé qu’ils avaient l’occasion de prendre en main les processus en cours en Syrie et de conduire des élites loyales à la tête du pays via l’opposition islamique modérée. À sa grande surprise, Ankara s’est retrouvé confronté à l’opposition de la Russie. Moscou a pris position pour un changement pacifique et légal du pouvoir et la conservation des institutions étatiques. Objectif : éviter à la Syrie le sort de la Libye, où différents clans pillent actuellement ce qui était auparavant un État fort, quoique dirigé par un « dictateur ».
Les positions des deux États divergent aussi sur d’autres questions, notamment sur le rattachement de la Crimée à la Russie et le génocide arménien. Mais la principale conclusion quand on observe les processus régionaux et mondiaux est que la Russie et la Turquie sont à mille lieues de partager une même vision des questions de sécurité et de géopolitique, le partenariat n’ayant été qu’une belle illusion basée uniquement sur l’économie.
Moscou attend des excuses
Après la destruction de l’avion militaire russe et l’assassinat intentionnel de son pilote, la Turquie a commencé à envoyer des signaux de coopération potentielle à la Russie. Cependant, les dirigeants turcs, formés à la philosophie orientale, doivent bien comprendre que le sang des soldats a été versé entre les deux pays et que la Russie est en droit d’attendre des excuses à la hauteur de la gravité des faits.
L’un des auteurs de l’assassinat du pilote russe a été interpellé en Turquie, mais dans le cadre d’une autre affaire. La Turquie n’a pas l’intention de présenter ses excuses et affirme que l’avion russe avait, pendant plusieurs instants, violé l’espace aérien turc. Même en supposant que malgré tous les démentis russes, la Turquie ait raison, cela ne justifiait pas la destruction de l’avion et encore moins l’assassinat prémédité du pilote.
Une normalisation est-elle possible ?
C’est une évidence : la Russie et la Turquie sont condamnées soit à coopérer, soit à s’affronter. Actuellement, on observe une diminution des contacts et un gel des relations qui pourraient, à tout moment, déboucher sur l’un ou l’autre scénario.
La volonté politique des deux pays est nécessaire au rétablissement des relations. Pour la Russie, la Turquie doit mettre fin à sa politique agressive, présenter ses excuses et modifier son idéologie politique internationale, ce qui est peu probable compte tenu du pouvoir actuel. Les demi-mesures et les discours pompeux ne sont pas un but en soi et ne peuvent servir de base pour la reprise de bonnes relations.
En d’autres termes, tant que le président Recep Erdogan restera au pouvoir, le rétablissement des relations entre les deux pays est peu probable. Une chance minime existe toujours, mais elle est liée à l’économie et ne peut assurer une évolution à long terme. Il s’agit du dialogue gazier avec la Russie, la Turquie n’étant pas capable de mettre en œuvre une pleine coopération gazière avec le Qatar.
Une véritable évolution ne sera possible qu’avec l’exacerbation des conflits qui intérieurs qui déchirent la Turquie, et l’adoption d’une politique modérée et pacifique, comme il sied à une puissance régionale.
Vladimir Avatkov, spécialiste de la Turquie et directeur du Centre d’études orientales pour les relations internationales et la diplomatie publique (Russie)
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