Aujourd’hui, alors que la tempête géopolitique secoue notre voisinage commun, la Russie et l’Union européenne se trouvent dans une situation qui n’est pas sans rappeler les temps anciens. Une fois de plus, il est urgent de trouver une équation mutuellement acceptable et capable de concilier la sécurité régionale, la modernité et le progrès.
La Russie et l’UE sont-elles toujours capables de négocier et de trouver un arrangement sincère ? La réponse est "oui". L’accord récent sur le programme nucléaire iranien en est la preuve.
Pourtant, ce qui est en jeu dans nos relations aujourd’hui dépasse largement la question iranienne. Il s’agit de l’avenir du continent européen, dont la Russie et l’UE font toutes deux partie. La crise ukrainienne nous a enfin confrontés à la question décisive : la Russie et l’UE sont-elles réellement capables et prêtes à construire une sécurité et une architecture économique pan-européennes indivisibles, qui poursuivraient un scénario de coopération gagnant-gagnant ou sommes-nous voués à voir nos chemins se séparer ?
En ce qui concerne l’Union européenne, nous nous sommes efforcé, depuis le début des années 1990, à construire une relation mutuellement bénéfique et interdépendante. Malgré de nombreux revers, nous avons parcouru un long chemin.
Avant l’éclatement de la crise ukrainienne, le volume d’échanges commerciaux entre la Russie et l’Union européenne s’élevait à 1 milliard d’euros par jour. Il avait triplé entre 2002 et 2012. Encore aujourd’hui, la Russie reste le troisième plus gros partenaire commercial de l’UE et son principal fournisseur d’énergie.
Il ne s'agit pas d'idéaliser cette relation. Elle a été de plus en plus truffée de défauts et de handicaps systémiques qui ont été partiellement corrigés grâce à nos canaux de communication structurés sur différents niveaux. En particulier, la transformation interne de l’Union européenne suite à l’expansion « big bang » de 2004 et le traité de réforme de Lisbonne qui a suivi ont abouti à une restriction de la flexibilité des positions européennes sur la scène internationale.
Sur de nombreux sujets d’importance mutuelle, comme la gestion des crises, la Russie a souvent été confrontée à une approche « à prendre ou à laisser » qui semblait régulièrement nier ses préoccupations et intérêts.
Ces tendances inquiétantes ont convergé en Ukraine. En mai 2013, les hauts fonctionnaires européens ont clairement indiqué que l’enjeu du sommet du Partenariat oriental à Vilnius à venir serait de « gagner l’Ukraine » dans la « bataille géopolitique d’Europe ». Cette approche était clairement erronée. L’Ukraine n’aurait jamais dû servir de terrain de jeu géopolitique. C’est un pays économiquement fragile et culturellement hétérogène, en proie à des contradictions internes.
Ce dont l’Ukraine a besoin est une identité nationale commune, suffisamment vaste pour embrasser tous les groupes ethniques et linguistiques qui peuplent le pays. Mais pour qu’une telle identité puisse émerger, le temps, la stabilité et les bonnes relations tant avec l’UE qu’avec la Russie sont essentiels.
Et maintenant, une question à un million d’euros : comment développer nos relations pour parvenir à une situation gagnant-gagnant pour les deux parties ? Pour commencer, nous devons œuvrer pour le retour à la normale. Le simple « redémarrage » de nos relations, pour utiliser ce terme en vogue, n’éliminera pas leurs défauts systémiques.
Premièrement, notre relation doit devenir un partenariat authentique entre sujets égaux, soucieux de prendre systématiquement et soigneusement en compte nos préoccupations mutuelles.
Deuxièmement, la coopération économique entre la Russie et l’Union européenne, dans laquelle nous avons investi tant de temps et d’efforts, doit rester un important « coussin de sécurité ». Non seulement elle fournit des emplois et de la croissance à travers le continent européen, mais elle isole nos pays des tensions politiques.
Troisièmement, notre relation doit devenir moins idéologique et plus pragmatique. L’implacable rhétorique antirusse des médias occidentaux, répétée malheureusement dans certaines institutions européennes, ne peut guère être qualifiée de stratégie dans les relations avec la Russie. Elle n’en est qu’un frêle substitut.
Et enfin, la Russie et l’Union européenne doivent s’unir pour gérer les multiples crises qui secouent notre « voisinage commun ». Pour la Russie, le tournant désastreux dans les régions du soi-disant « printemps arabe » ainsi qu’en Ukraine a beaucoup à voir avec les tentatives d’injecter l’idée de la suprématie des valeurs occidentales dans des environnements régionaux très complexes.
Évidemment, étant une puissance à la fois européenne et eurasienne, la Russie ne tournera pas aveuglément son dos à l’Union européenne. L’espace de l’Union européenne restera, dans un avenir prévisible, son principal partenaire commercial et investisseur. Néanmoins, le monde alentour change rapidement. En pensant à l’avenir des relations entre la Russie et l’Union européenne et aux choix auxquels nous sommes tous confrontés, je crois que nous devons réfléchir de manière pragmatique et réaliste, mais aussi stratégique.
Vladimir Tchijov, Ambassadeur Extraordinaire et Plénipotentiaire, Représentant Permanent de la Fédération de Russie auprès de l'Union européenne.
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