Dessin par Konstantin Maler
Jusqu'à une date récente, le terme BRIC portait encore la signification que lui avait donné l'ancien économiste en chef de la banque Goldman Sachs, Jim O'Neil, qui avait imaginé cette abréviation en 2001 pour désigner les économies connaissant la plus forte croissance au monde, et proposer aux clients de la banque un nouvel objet d'investissement (la banque avait immédiatement commencé à proposer à ses clients des portefeuilles incluant les titres de ce « groupe des Quatre »).
La Russie a une relation particulière avec ce groupe. C'est précisément Moscou qui a eu l'idée d'insuffler à cette chimère boursière une dimension politique. La première rencontre interministérielle au format BRIC s'est tenue à New York en septembre 2006, à l'initiative du président russe Vladimir Poutine. En 2009, c'est à Ekaterinbourg que le premier sommet du groupe a eu lieu, sous la présidence du successeur de Vladimir Poutine : Dmitri Medvedev. Et même si aucun résultat concret n'a été atteint, le sommet a eu pour la Russie un effet important en termes d’image : à cette époque les relations avec l'Occident battaient de l’aile et Moscou a montré aux États-Unis et à l'UE qu'il avait d'autres partenaires influents.
Au fil des ans, l'organisation a élargi sa sphère d'activité. En plus de contribuer à l'établissement de réseaux géopolitiques, elle a commencé à formuler de nouvelles normes internationales. La principale a été la tentative de créer une alternative au système de Bretton-Woods, sur laquelle se base encore l'architecture financière mondiale dominée par l'Occident. Les pays coordonnent activement leurs positions sur ces sujets au sein du G20. Et en 2014, quand il est devenu clair que le Congrès américain allait bloquer la proposition des « Vingt » visant à réformer le FMI pour redistribuer les votes en faveur des pays en développement, les membres du BRICS ont décidé de créer leur banque et leur propre réserve de monnaies nationales - qui permettra sur le long terme de réduire la domination de l'euro et du dollar sur les finances mondiales. Cependant, les réalisations majeures du groupe sont pour l'instant limitées.
L'une des raisons de cette faible efficacité des BRICS en tant que structure internationale est son travail bureaucratique. C'est certainement l'une des seules unions dont les sommets ne marquent pas la fin de la présidence d'un État, mais son commencement. Ainsi, l'ordre du jour est préparé pendant un an par un pays, mais c'est le suivant qui prendra les décisions. Suite à un manque de synchronisation, un grand nombre d'initiatives sont mal élaborées. La Russie fut la première à proposer de mettre fin à ce système de fonctionnement. Ainsi, la présidence de Moscou a commencé formellement en mai, et le sommet de juillet sera le résultat d'un travail de trois mois. Pour la Chine, le sommet qu'elle accueillera en 2016 sera ainsi le résultat d'un an de présidence. Dans le cadre de sa présidence actuelle de l'organisation, la Russie cherche à élargir au maximum l'ordre du jour. Au début de l'année, le Kremlin a demandé à tous les organismes fédéraux de présenter leurs propositions de collaboration dans le cadre du BRICS - par conséquent, l'ordre du jour du sommet d'Oufa comprend déjà 130 points.
Comme en 2009, dans une situation internationale peu favorable à la Russie, l'important n'est pas tant les résultats concrets que la symbolique. Après le rattachement de la Crimée et le début de la guerre dans l'Est de l'Ukraine, l'Occident a tenté d'isoler la Russie. Sous le coup des sanctions, Moscou a été formellement exclu du G8. Par ailleurs, les leaders des USA, de l'UE et leurs alliés cherchent à éviter les contacts personnels avec Vladimir Poutine lors des événements internationaux où ils doivent se rencontrer (en 2014 le président russe a même quitté de façon précipitée le sommet du G20 en Australie). Le défilé de la Victoire du 9 mai sur la place Rouge est devenu un symbole encore plus marquant de l'isolement international de la Russie.
Désormais à Oufa, les dirigeants russes pourront présenter le pays comme le leader du monde « non-occidental ». La présidence du BRICS permettra également à Moscou de se positionner en tant que membre d'une union alternative à l'ordre mondial actuel. Aux côtés de la plus puissante économie au monde (selon les données du FMI sur le PIB chinois en parité de pouvoir d'achat) et des leaders dynamiques d'Asie du sud, d'Amérique latine et d'Afrique, Moscou peut affirmer avec confiance qu'elle ne compte pas retourner au sein du G8, même si on l'y conviait. Les résultats concrets du sommet d'Oufa auront donc moins d'importance symbolique dans la mesure où la production de nouveaux concepts est le seul domaine dans lequel le BRICS a réussi à enregistrer des réussites visibles.
L'auteur est le directeur du programme « La Russie dans la région Asie-Pacifique » du Centre Carnegie de Moscou.
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