Les pays divorcent aussi

Image par Natalia Mikhaylenko

Image par Natalia Mikhaylenko

Même si l’Écosse est restée britannique, la question soulevée par ses habitants – celle de l’indépendance et de la souveraineté – résonne auprès de nombreux pays européens, de l’Espagne à la Belgique. Les Russes, qui ont vécu, il y a près de 20 ans, la division d’un pays ayant longtemps formé un seul État, connaissent les conséquences du séparatisme.

L’histoire se répète 

 Le souvenir du traumatisme et de l’angoisse ressentis par mes compatriotes soviétiques est encore vif dans ma mémoire. En décembre 1991, Boris Eltsine, le dirigeant de la Russie, république faisant partie de l’Union soviétique, se rendit dans une cabane de chasse dans une forêt biélorusse et décida, avec les dirigeants biélorusse et ukrainien, de dissoudre l’URSS.

Les dirigeants des autres entités qui formaient l’Union soviétique, et il y en avait un certain nombre, surtout si l’on compte les républiques dans les républiques, ne furent pas avertis. À l’époque, le monde entier applaudit la disparition rapide et pacifique de ce que le monde voyait souvent comme un monstre. Mais que pensaient les gens sur place ?

Dure réalité

 Il faisait très froid, la blancheur de la neige vierge était aveuglante, et les lieux étaient étrangement déserts. J’étais à la gare de Chop, à la frontière entre la Hongrie et l’URSS. Ce 3 janvier 1992, nous étions sur le retour de nos vacances de Noël et de Nouvel an à Prague. 

Lorsqu’à l’aller nous eûmes traversé la frontière une semaine plus tôt, la gare fourmillait d’agents d’immigration et de petits commerçants proposant des collations et des souvenirs. Cette fois, personne ne s’approcha du train. 

Nous comprîmes alors : la frontière soviétique n’existait plus. Nous étions désormais à la frontière ukrainienne, seulement les autorités ukrainiennes n’avaient pas encore pris possession des lieux. Nous avions quitté l’Union soviétique mais retournions dans la Communauté des États indépendants.

Les autres passagers semblaient choqués et confus, et ce sentiment de confusion ne les quitta pas jusqu’à l’arrivée à Moscou. Certains Russes l’éprouvent encore aujourd’hui.

Une nouvelle frontière

 Cet été de 1992, nous envoyâmes notre fils, âgé de neuf ans, chez nos proches en Crimée. Il avait passé de nombreux étés en Ukraine, dans notre famille à Sébastopol ou à Kharkiv. Mais cette fois, il avait besoin d’un tas de papiers pour traverser la frontière.

Une frontière qui coupait désormais presque chaque famille en Russie et en Ukraine. Un sentiment d’irréel, comme dans un mauvais rêve, régnait à la gare de Moscou où les passagers à bord du train pour Sébastopol vérifiaient frénétiquement s’ils avaient les documents nécessaires pour entrer en Crimée.

La désunion soviétique

 La dissolution de l’Union soviétique fut entamée en 1989, avec les « défilés des souverainetés ». Quand les pays baltes déclarèrent leurs lois prioritaires par rapport aux lois de l’Union en 1988-1989, d’autres républiques emboîtèrent le pas. La Russie déclara sa souveraineté en juin 1990, l’Ukraine un mois plus tard.

Mais contrairement aux pays baltes et aux États du Caucase qui souhaitaient l’indépendance totale, les deux plus grands membres de l’Union semblaient se contenter d’une transformation à l’Européenne. Pourtant, une fois qu’il se libéra de la bouteille, le génie de la séparation vola vite de ses propres ailes.

En juin 1990, je travaillais pour une chaîne de télévision et une radio soviétiques, je me rendis à Kiev pour couvrir la visite du Premier ministre Margaret Thatcher. Un fonctionnaire du ministère ukrainien des Affaires étrangères naissant m’annonça sévèrement qu’ils n’accréditait pas les « Moscovites » (un terme qui s'employait dans le sens négatif pour désigner les Russes).

Ainsi, le journaliste soviétique que j’étais, obtint son accréditation auprès de … l’ambassade britannique.

Référendum

 Il y eut des tentatives de transformer ce glissement vers la dissolution totale en un processus ordonné. Pour la toute première fois, un référendum fut organisé au sujet de l’avenir de l’Union soviétique.

Le 17 mars 1991, les citoyens du pays furent invités à répondre à la question : « Pensez-vous qu'il est essentiel de préserver l'URSS sous forme d'une fédération renouvelée de républiques souveraines et égales où les droits et les libertés de chacun, quelle que soit la nationalité, seront pleinement garanties ? ». Le taux de participation était de 80% et 70% votèrent « oui ».

Les pays baltes et les états du Caucase, ainsi que la Moldavie, boycottèrent le référendum, mais des entités autonomes en Géorgie et en Moldavie - l’Abkhazie, l’Ossétie du Sud, la Transnistrie et la Gagaouzie – participèrent à la consultation pour massivement soutenir la préservation de l’Union. 

Plus tard, cela conduisit à des conflits armés, lorsque les autorités de ces républiques tentèrent d’étouffer les « séparatistes » qui insistaient sur le respect de leur vote. Les répercussions tragiques de ces conflits se font encore sentir.

Coup de grâce

 Le référendum sur l’avenir de l’URSS fut suivi de nombreuses manœuvres des élites de l’Union et des républiques constituantes qui marchandaient pour obtenir une meilleure place dans la nouvelle Union.

La situation s'envenima le jour de mon anniversaire, le 19 août 1991, quand un coup d’État à Moscou chercha à mettre fin à la signature du traité de la nouvelle Union. Le monde vit alors des images tragiques de Moscovites tenant tête aux blindés et aux parachutistes.

J’étais alors à Yalta, où les locaux n’avaient aucune idée de ce qui se tramait à Moscou et à Foros, où Mikhaïl Gorbatchev était placé en résidence surveillée. Cette réaction instinctive de ceux qui souhaitaient « sauver » l’URSS porta un coup mortel à l’Union.

Valeurs relatives 

Il fallut longtemps pour que les Russes et les Ukrainiens acceptent le fait de vivre dans des pays séparés. Pendant au moins une décennie après la séparation, lors de mes voyages à Kiev, je parvenais à payer en roubles russes dans les magasins locaux. Les fermiers ukrainiens gardèrent leurs étalages dans les marchés de Moscou et dans d’autres villes russes. 

La langue russe est toujours utilisée en Ukraine. Qui aurait pu prédire que cela se terminerait ainsi ? Hélas, la logique du divorce, après un long mariage, est difficile à comprendre et à digérer. Après tout, c’est l’émotion qui prend les commandes une fois que les papiers sont signés. 

Nicolaï Gorchkov est journaliste indépendant basé à Londres.

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