L’Ukraine n’est pas la Russie, mais elle est impossible sans la Russie

Dessin d'Alexeï Iorch

Dessin d'Alexeï Iorch

Au terme de la course électorale, les candidats à l’élection présidentielle en Ukraine se défient quotidiennement autour de l’intégration européenne et de l’hostilité à la Russie. Dans une large mesure, ces discours ne s’adressent pas tant à l’électeur ukrainien qu’aux observateurs occidentaux qui soutiennent la thèse que « l’Ukraine n’est pas la Russie » (le titre du livre de l'ancien président ukrainien Léonid Koutchma, ndlr). Car le sentiment anti-russe à l’Ouest est malheureusement depuis longtemps devenu synonyme d’aspiration à la démocratie. Et bien que la substitution des concepts soit dans ce cas plutôt évidente, la pratique montre que pour légitimer son rapport critique envers la Russie, l’Occident est prêt à fermer les yeux sur beaucoup de choses. Y compris sur le néonazisme.

Mais ce n’est pas le sujet. En réalité, tout cela n’est ni plus ni moins qu’un spectacle pour divertir les observateurs internationaux. Car l’écrasante majorité des hommes politiques ukrainiens sont d’une façon ou d’une autre liés à la Russie, que ce soit à son présent ou à son passé. Et pas parce qu’ils sont tous « nés en URSS », ce qui détermine en grande partie leur mentalité. Ni parce que leur biographie croise, de loin ou de près, la Russie : ils y ont leur famille, leurs proches, des amis ou simplement des connaissances. Non, c’est tout simplement par intérêt.

Prenez ne serait-ce que le principal concurrent aux élections, Piotr Porochenko, un puissant oligarque ukrainien. On dit que sa candidature serait soutenue par les Américains, qui comptent sur sa future loyauté. En écho à cette confiance sans faille, Porochenko a vivement critiqué la Russie tout au long de sa campagne électorale. Pourtant, ce n’est un secret pour personne, que ce soit en Russie, ou en Ukraine, que ce magnat de la confiserie a fait fortune justement grâce au marché russe. Plus de la moitié des produits de la marque Roshen, qui constitue son business de base, se vend sur les marchés russes. Plus encore, Porochenko  possède aussi des entreprises en Russie. L’une des plus importantes usines de son holding se trouve par exemple à Lipetsk.

Une autre partie importante de son business vient des marchés biélorusses et kazakhstanais, deux pays membres de l’Union douanière aux côtés de la Russie et qui comptent étendre davantage leur intégration avec la Russie. Restent les marchés du Khirghizstan, du Tadjikistan et de l’Arménie, tous trois candidats à l’Union douanière. Par ailleurs, Piotr Porochenko a conservé des intérêts financiers en Crimée qui se retrouvent aujourd’hui sous la juridiction de Moscou.

Piotr Porochenko pourra-t-il ignorer ces facteurs ? Peu probable. Car l’Ukraine n’a jamais été la démocratie qu’elle veut bien paraitre aux yeux du monde. Et elle ne le deviendra sans doute pas aujourd’hui puisque Kiev connaît un « roulement » de son oligarchie : globalement, dans le système politique traditionnel de l’Ukraine post-soviétique, la gestion du pays se résume à une bataille entre grands oligarques pour accroître leur sphère d’influence. Exactement ce contre quoi s’insurgeaient les manifestants de la place Maïdan. Mais ce que pense « Maïdan » n’intéresse plus personne. Le processus de redistribution des restes de l’économie et des ressources a déjà commencé. L’argent et les intérêts règlent tout.

La différence avec la période des manifestations, c’est qu’après « Maïdan », l’Ukraine se retrouve inondée d’armes et que le prix de la vie humaine a brutalement chuté. Désormais, tout oligarque qui se respecte dispose d’une armée personnelle, tel un seigneur de guerre afghan. Un argument de poids, qui leur permettra de défendre efficacement leurs intérêts au cours de la réforme à venir dans le secteur de l’économie ukrainienne.

L’ex-Premier ministre et rivale de Porochenko Ioulia Timochenko a elle aussi son « histoire d’amour » avec la Russie. Le bras de fer entre ces deux candidats devrait être la principale intrigue des élections du 25 mai prochain, et du second tour si Porochenko ne gagne pas dès le premier tour.

En Ukraine, beaucoup pensent que c’est justement sur le dos des contrats gaziers et d’autres projets financiers avec la Russie que Timochenko s’est enrichie au point de devenir l’une des personnes les plus riches du pays, pour ensuite devenir une figure politique de premier plan, prétendante depuis plusieurs années à la présidence de l’Ukraine. Globalement, toute cette élite ukrainienne a grandi de près ou de loin grâce à l’argent russe. Même si ce n’était pas toujours en accord avec la Russie elle-même, ni ne servait ses intérêts.

Pendant longtemps, Ioulia Timochenko a été impliquée dans des schémas financiers russo-ukrainiens troubles. Premier ministre, c’est elle qui établit une relation plus ou moins constructive avec Vladimir Poutine, bien qu’elle soit parmi les leaders de la « Révolution orange » de 2004, événement également tourné vers une intégration européenne. Et c’est aussi Timochenko qui a conclu avec Poutine ce fameux contrat gazier que Kiev refuse aujourd’hui d’honorer, le qualifiant d’injuste.

Dans un même temps, le fait que Timochenko ait été quasiment portée au rang d’icône sur la place « Maïdan », et ce, en dépit de la signature de ce contrat « injuste » avec la Russie, est tout a fait symptomatique de la politique ukrainienne. Les manifestants demandaient sa libération et l’actuel Premier ministre Arseni Iatseniouk était un de ses hommes de confiance. L’Europe s’en est largement indigné. Mais à peine Timochenko sortie de prison, elle est venue faire entrave aux nouveaux gagnants, qui la soutiennent maintenant activement dans sa lancée en politique, restant eux-même en retrait comme des figures de proue de la « lutte pour la liberté ».

De son côté, Timochenko menace d’organiser un nouveau « Maïdan », malgré le risque qu’il puisse enterrer avec lui l’Etat ukrainien. Il est important de comprendre que c’est là l’un des principes essentiels de la politique ukrainienne : aucun principe, que des intérêts.

Mais pour revenir à la Russie, il faut ajouter que n’importe quel président ukrainien ne peut, pour des raisons objectives, résoudre les problèmes internes et externes de l’Ukraine sans établir de relations apaisées avec Moscou. Il y a à cela de nombreuses raisons objectives, en dehors de la cupidité et du manque de scrupules des politiques ukrainiens. De bonnes relations avec la Russie seraient pour l’Ukraine un retour à son état naturel, qui répond à ses intérêts stratégiques. Ne serait-ce que pour cette simple raison, les politiques ukrainiens n’ont aucune chance d’écarter leurs relations passées, présentes et futures avec la Russie, indépendamment de ce qu’ils disent actuellement à ce propos.

Sergueï Mikheev est directeur du Centre de conjoncture politique de Russie

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