Jeux vidéo: une industrie qui doit devenir plus responsable

Image par Alexei Ïorch

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La polémique autour du jeu vidéo canadien Company of Heroes 2, retiré des ventes en Russie par le distributeur local 1C-Softclub, prouve que les créateurs des jeux ne sont pas encore conscients de leur responsabilité en tant que ceux qui forment les vues de gens sur l’histoire et le monde

La société russe 1C-Softclub a retiré des ventes en Russie le jeu vidéo Company of Heroes 2 du développeur canadien Relic Entertainment. Ce jeu stratégique en temps réel se déroule durant la Seconde Guerre mondiale et se concentre sur le front de l’Est: le joueur prend le contrôle de l’Armée soviétique pour faire face aux forces du Troisième Reich.

Les utilisateurs russes ont cependant noté que le jeu est plein d’éléments discutables. Ainsi, parmi les unités disponibles figurent des « conscrits », soldats les moins chers (en termes de ressources virtuelles du jeu) qui peuvent être créés très rapidement et envoyés tout de suite au combat. S’ils tentent de s’enfuir, ils sont tués par les « unités de barrage » du NKVD (police politique soviétique).

Durant un autre épisode du jeu, un officier de l’Armée rouge tue un soldat en sentinelle qui vient de sauver son camarade pour « avoir quitté sa position ». De telles scènes controversées, très nombreuses dans le jeu, ont bien évidemment provoqué la colère de l’audience russe.

Les anciens combattants russes ont été particulièrement offensés par la manière dont l’armée soviétique est dépeinte. « Il n’y avait pas de mitrailleuses qui nous tiraient prétendument dans les dos. Nous luttions pour notre patrie », a notamment indiqué dans une interview Ivan Karnaoukhov, qui avait pris part aux batailles de Moscou et de Koursk.

Evgueni Bajenov, alias BadComedian, un bloggeur populaire russe, a publié une vidéo contenant une analyse très détaillée et scrupuleuse des erreurs et des moments discutables du jeu. Il a en outre lancé une pétition demandant l’interdiction à la vente de Company of Heroes 2 en Russie, qui a réuni plus de 20 milliers de signatures, ce qui a motivé les mesures de la part de 1C-Softclub.

Un scandale similaire a éclaté en 2009 autour du jeu Call of Duty : Modern Warfare 2; dans le cadre de la mission « Pas de russe » le joueur pouvait, en tant qu’un participant d’un groupe terroriste russe, massacrer des gens innocents dans un aéroport moscovite fictif, très similaire à Cheremetievo. Le niveau fut coupé de la version russe du jeu.

Cependant, contrairement à ce qu’on voit dans Company of Heroes 2, le joueur pouvait refuser de tirer sur les innocents et tout simplement suivre les bandits (il contrôlait à ce moment-là un agent secret infiltré dans une cellule terroriste); en outre, des Russes figuraient dans le jeu non seulement comme des adversaires, mais comme des héros qui aidaient leurs collègues des services secrets américains et britanniques.

Finalement, il s’agissait d’une seule mission, et pas de l’idée fondamentale du jeu.

Mais l’essentiel, c’était que les créateurs de Modern Warfare 2 n’avaient jamais pour but de créer une œuvre historique sérieuse. Des stéréotypes, de diverses théories du complot et de la déformation de la vérité sont depuis longtemps devenus une partie intégrante de la série Call of Duty. Pour sa part, les développeurs de Relic Entertainment continuent toujours à souligner que leur jeu se base sur des faits historiques.

Les jeux vidéo jouent actuellement un rôle important dans la culture de masse, se trouvant au même niveau que les films et les œuvres littéraires populaires. En plus, compte tenu de son interactivité et de son caractère addictif, ce média ne cessera sans aucun doute de gagner du terrain.

Aujourd’hui, les jeux, tout comme la littérature et le cinéma, fournissent aux enfants et même aux adultes des connaissances, soutenant ou réfutant des stéréotypes et formant ainsi la conception du monde des joueurs. Cela impose donc certaines responsabilités aux développeurs.

Les jeux deviennent de plus en plus réalistes; à titre d’exemple, grâce à la technologie ColdTech, Company of Heroes 2 peut simuler les conditions météorologiques extrêmes de l’hiver russe : les soldats peuvent même mourir de froid.

Mais quant au contenu culturel et idéologique, l’industrie du jeu vidéo traverse encore la période de « puberté ». On ressent dans les jeux un esprit rebelle, c’est la permissivité qui y règne. Et à première vue, il n’y a rien à craindre.

Toutefois, le scandale autour de Company of Heroes et d’autres histoires similaires prouvent qu’il est temps de déterminer pour cette industrie certaines règles, qui existent déjà pour ses « grands frères », la presse et le cinéma. On ne peut pas faire passer des faits isolés de leur contexte pour l’« authenticité historique ».

Les gens qui jouent aux jeux vidéo, c’est normal. L’essentiel, c’est d’empêcher que les jeux se jouent des gens.

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