Les cinq classiques
qui ont fait la gloire
du ballet russe
Anna Galaïda pour RBTH
Revue détaillée de chacune des créations suivantes qui ont défié
le temps, connues et toujours adorées dans le monde entier.
La Belle au bois dormant


Qualifié d'encyclopédie de la danse classique, cette représentation en trois actes avec prologue et apothéose rassemble tout ce que le genre du ballet classique a créé en trois cents ans d'existence. De la danse classique sur pointes et de la pantomime à la danse populaire et de Versailles à Fontainebleau « au naturel ».
Qualifié d'encyclopédie de la danse classique, cette représentation en trois actes avec prologue et apothéose rassemble tout ce que le genre du ballet classique a créé en trois cents ans d'existence. De la danse classique sur pointes et de la pantomime à la danse populaire et de Versailles à Fontainebleau « au naturel ».
ьиччбитбит
Toutefois, dans La Belle au bois dormant, Marius Petipa, qui avait déjà 72 ans, a prouvé qu'il était capable d'innovations radicales. Surtout en duo avec Piotr Tchaïkovski qui était à l'apogée de sa gloire. Le triste sort du Lac des cygnes a détourné le compositeur du ballet. Mais le directeur des Théâtres impériaux, Ivan Vsevolojski, avait en tête de créer une véritable fête sur scène et son emballement a suffi à enthousiasmer les deux génies. La coopération ne fut pas des plus faciles : Marius Petipa a décrit pas à pas le ballet de quatre heures et a « chargé » Piotr Tchaïkovski de composer une musique bien précise en observant un rythme formel et en respectant la mesure de chaque numéro. Le grand compositeur trouva son inspiration malgré ces contraintes : la musique de La Belle au bois dormant est l'une de ses meilleures réalisations. Quant à Marius Petipa, il se révéla capable de véritables envols, jamais impulsés par la musique des compositeurs traditionnels.
Le ballet revêt une importance particulière pour l'art russe, car c'est après avoir assisté à La Belle au bois dormant que la grande danseuse Anna Pavlova et le peintre et décorateur Alexandre Benois décidèrent de se consacrer au ballet.
La Belle au bois dormant
Théâtre du Bolchoï
Le Lac des cygnes


En 140 ans d'existence, la première création du genre de Piotr Tchaïkovski est devenue pour bon nombre synonyme de ballet avec un grand B. Or son sort fut difficile, car c'est l'un des rares ballets classiques russes à avoir été présenté non pas à Pétersbourg, la capitale impériale, mais à Moscou, une ville « démocratique ».
En 1877, le ballet du Bolchoï était dirigé par Vaclav Reisinger connu pour avoir été le premier à mettre en scène Le Lac des cygnes. Pourtant, il le présenta comme un conte ordinaire tiré d'un roman de chevalerie.
Le Lac des cygnes, décor de F. Gaanen, Moscou, 1877
Le spectacle eut un certain succès, à la hauteur d'un théâtre provincial qu'était à l'époque le Bolchoï de Moscou. Il fut donné 27 fois pour disparaître du répertoire deux ans plus tard. Pour toujours, semblait-il. Toutefois, en 1894, le théâtre Mariinski présenta une scène de cygnes chorégraphiée par Lev Ivanov à l'occasion d'une soirée consacrée à la mémoire de Piotr Tchaïkovski.

Les rondes de jeunes filles-oiseaux qui dessinaient sur scène des arabesques incarnaient le caractère national tout en se fondant dans la musique. Ce succès a fait revenir Le Lac des cygnes sur la scène impériale en réunissant l'unique fois deux génies de la chorégraphie dans le même spectacle : Lev Ivanov et Marius Petipa.
Le ballet a été refait à plusieurs reprises après eux. Chaque époque voyait dans Le Lac des cygnes de Tchaïkovski quelque chose à elle. Et le ballet, souvent à contrecœur, cédait aux changements. Dans les années 1910, Alexandre Gorski tenta d'y représenter la dernière lueur de l'Âge d'argent et de l'époque de l'Art nouveau. Dans les années 1930, Agrippina Vaganova y condamna la morale bourgeoise. Dans les années 1960, Iouri Grigorovitch y discerna la lutte entre les forces du bien et du mal dans l'âme humaine. Dans les années 1970, John Neumeier y entrevit la ruine des illusions.
Le Lac des cygnes
Théâtre du Bolchoï
C'est sans doute cette réceptivité aux nouvelles idées qui a fait du Lac des cygnes un ballet exclusif prisé par le spectateur aussi bien de Moscou et de New York que de Londres et de New Delhi.
La Bayadère

Il y a à peine un quart de siècle, il était impossible de s'imaginer La Bayadère autre part qu'au théâtre Mariinski de Saint-Pétersbourg : le Bolchoï ne présentait que la Scène des Ombres, l'Opéra de Paris ne donnait qu'un spectacle « long métrage » introduit juste avant sa mort par Rudolf Noureev et un peu plus tôt, Natalia Makarova proposait sa propre version pour l'American Ballet Theatre et le Royal Ballet de Londres.
Le chef-d'œuvre de Marius Petipa pesait de son énorme puissance : la Scène des Ombres exige trente-deux danseuses spécialistes de corps de ballet, trois solistes virtuoses et
deux premiers danseurs. Mais avant d'arriver au troisième acte et ses Ombres, il faut
« traverser » la fête du feu sacré avec bayadères, fakirs et derviches puis la scène des fiançailles de la fille du rajah.

Le second acte présente un fastueux mariage : douze couples dansent avec des éventails, douze autres danseuses avec des perroquets, huit petits Arabes, onze Indiens, quatre bayadères et six danseurs de grands pas, sans compter plusieurs solistes.
Marius Petipa, ce véritable démiurge du ballet classique qui a servi pendant presque 60 ans la Cour impériale russe, n'avait pas l'habitude de lésiner sur les dépenses : même ses petits ballets d'un acte réalisés « pour l'occasion », selon l'expression de ses contemporains, étaient capables d'engloutir le budget d'un petit pays. Et La Bayadère n'a jamais été un simple spectacle
« de passage ». Marius Petipa a créé le ballet en 1877 pour le peaufiner par la suite pendant trente ans.

À l'époque soviétique, La Bayadère a subi toutefois quelques changements. Le ballet s'est vu retrancher le quatrième acte où les dieux répondaient à l'appel ardent de la danseuse trahie et la vengeaient en provoquant l'effondrement du palais sur son amoureux et sa fiancée lors de leur mariage.
Mais à la différence du Lac des cygnes où le pseudonyme de Petipa dissimulait un grand nombre de rédacteurs, La Bayadère a gardé son intégralité. Et bien qu'aujourd'hui certains ne sachent pas que les bayadères étaient des danseuses du temple en Inde, les spectateurs se pressent toujours à l'entrée, car ce débordement de sentiments – nés de la rivalité entre la belle danseuse et la princesse autoritaire pour les faveurs d'un guerrier, vaillant dans le combat contre le tigre, mais faible dans une histoire d'amour – trouve écho même chez ceux qui n'ont jamais été en Inde.
La Bayadère
Théâtre du Bolchoï
Casse-Noisette


Des billets en vente pour Casse-Noisette sont en Russie un signe de Noël et du Nouvel an, un signe plus significatif et plus certain que le sapin et même la neige. Les voix transparentes du chœur d'enfants accompagnant la danse des Flocons de neige en tutus blancs incarnent à merveille l'atmosphère du miracle apportée
par la fête.
Toutefois, Casse-Noisette est devenu synonyme de Noël il n'y a pas très longtemps, au milieu du XXème siècle, quand le chorégraphe américain George Balanchine (à droite) en a réalisé la mise en scène pour le New York City Ballet. Fin connaisseur de la musique, il ne se fit pas de tourments sur la manière d'unir ce conte sur un voyage à une musique qui semble avoir aspiré tout ce qu'il y a de tragique dans le monde.

George Balanchine, né Gueorgui Balanchivadze, se souvient dans ce spectacle de sa jeunesse, de son activité au Théâtre d'opéra et de ballet de Leningrad (aujourd'hui Saint-Pétersbourg) et de son solo virtuose de Polichinelle dans la chorégraphie de Lev Ivanov. Toujours deuxième après Marius Petipa, Lev Ivanov est sorti deux fois de son ombre : dans la scène des cygnes du Lac des cygnes et dans Casse-Noisette.


Pourtant, l'idée du ballet était celle de Marius Petipa qui souhaitait travailler encore une fois en collaboration avec Piotr Tchaïkovski. C'est lui qui retrouva le sujet en se rappelant le conte de l'écrivain romantique allemand Ernst Theodor Wilhem Hoffmann repris par son compatriote Alexandre Dumas. C'est lui qui écrivit le livret et qui donna des instructions au compositeur. Mais pour une raison inconnue, il refusa au dernier moment en confiant la mise en scène à son adjoint.
Lev Ivanov a non seulement sauvé la première à la veille du jour de l'An en 1892, il a chorégraphié la danse des Flocons de neige qui reste toujours une composition de ballet inégalée et dont la perte est pleurée comme celle de La Bataille d'Anghiari de Léonard de Vinci.
Casse-Noisette
Le théâtre Mariinski
Spartacus
Ce ballet est toujours attendu par le spectateur étranger au cours de toute tournée d'un théâtre russe, même si le degré d'enthousiasme des médias chute à zéro. Pourtant, toute la salle se lève au finale, ce qui donne parfois l'impression d'assister non à un ballet, mais à un match de foot où l'une des équipes vient de marquer
le but décisif.
Presque personne ne sait aujourd'hui qu'avant le grand ballet de Iouri Grigorovitch, la partition d'Aram Khatchatourian a eu une vie longue et heureuse. Elle a été mise en scène presque parallèlement au Bolchoï à Moscou et au théâtre Kirov (aujourd'hui Mariinski) à Saint-Pétersbourg par le grand Igor Moïsseïev, ce génie de scènes de masse et de danses aux figures nombreuses, et par Leonid Iakobson (à droite), l'un des novateurs les plus radicaux de la chorégraphie du XXème siècle, qui a reproduit les danses des Romains d'après les fresques et les vases exposés au musée de l'Ermitage.
Mais la gloire légendaire du gladiateur qui osa défier l'énorme machine du pouvoir fut ressuscitée dans une autre mise en scène, celle de Iouri Grigorovitch, qui avait alors 40 ans, en 1968. En coopération avec le décorateur Simon Virzaladze, il chorégraphia un spectacle associant la puissance des phalanges d'esclaves révoltés semblant déferler dans la salle aux monologues confessionnels où Spartacus, qui souffre pour accepter dans le doute de prendre la responsabilité de la vie de centaines d'hommes, fait face au consul romain Crassus, cruel et raffiné. Iouri Grigorovitch leur mit en scène des danses à virtuosité inégalée dans le monde moderne du ballet. C'est grâce à cette chorégraphie que leur rivalité, aussi bien historique que professionnelle, bouleverse toujours le monde entier.
Spartacus
Théâtre du Bolchoï
Texte : Anna Galaïda
Photos : Getty Images, AP, Reuters, AFP/East News, Damir Yusupov/Bolshoi, Archive Photo,
Alexandr Kryazhev; Igor Russak; Lesov/ RIA Novosti,
Vasily Smirnov; Yuri Belinskiy / TASS
Design et maquette par Slava Petrakina
© 2016 Tous droits réservés. Russia Beyond The Headlines.
fr@rbth.com
Made on
Tilda