Texte : Ksenia Isaeva, Elena Potapova
Photos et vidéo :
Pavel Gazdyuk 

La diaspora géorgienne et ses traditions dans le Moscou actuel

Quelle est la différence entre un géorgien de Tbilissi et un géorgien de Moscou ? Le rythme de vie, le travail et le nombre de gadgets. Les géorgiens s’adaptent rapidement à n’importe quelle situation et type d’environnement. 
La maison de la famille Bogatelia est remplie d’icônes orthodoxes. Elle dispose même de son « coin à icônes ». Mais cela ne les empêche pas de célébrer l’une des grandes fêtes traditionnelles moscovites datant de l’ère païenne : Maslennitsa (la Semaine grasse), qui célèbre l’arrivée du printemps avec ses crêpes, ses danses et ses chants.    

« Les Géorgiens de Moscou sont des déracinés, c’est évident. A Tbilissi, ils sont des gens de la capitale dans leur propre pays. A Moscou, ils restent des étrangers. Les Moscovites sont plus ambitieux, ils ne visent que le succès. J’associe plus spontanément Tbilissi à Saint-Pétersbourg, où les gens sont plus soucieux les uns des autres. A Moscou, l’important, c’est d’atteindre son but, et peu importe le prix », assure la mère de famille Eka.    
Quelle est la différence entre un géorgien de Tbilissi et un géorgien de Moscou ? Le rythme de vie, le travail et le nombre de gadgets.



La famille Bogatelia à commencé à se construire dans le Moscou des années 90. Eka Bigvava y est arrivée en 1991 pour étudier en dermatologie. A la faculté de médecine, elle rencontre Zourab, son futur époux, également géorgien et chirurgien.    


« Lorsqu’on arrive pour la première fois à Moscou, on est un peu abasourdi par la quantité d’argent et les possibilités qui s’ouvrent ici. Et par la quantité de gens, bien sûr. Moscou est la ville la plus peuplée d’Europe. En Géorgie, aucune ville n’est surpeuplée. La plus grande ville a deux millions d’habitants », raconte-t-elle.    

Lorsqu’on arrive pour la première fois à Moscou, on est un peu abasourdi par la quantité d’argent...
Petit à petit, ce sont tous les parents de cette nouvelle famille qui les ont rejoint à Moscou. En 1993, c’est sa belle-soeur qui débarque, Nana. A Moscou, elle étudie le droit pour devenir avocate, se marie et fait venir sa mère. Puis, toute la famille suit comme des aimants attirés par les lumières de la capitale russe. Le cousin de la mère de Nana, Dmitri, son épouse et son fils Saba sont les derniers arrivés. 
Le clan géorgien des Bogatelia prospère. Enfants, petits-enfants, neveux… Les deux filles et le fils d’Eki ne risquent pas de s’ennuyer. A l’étage au-dessus, vivent leurs cousins et cousines, les enfants de Nana. Alors pour jouer et réviser les leçons, ils ne sont jamais seuls.

A Moscou, les Bogatelia vivent dans une ancienne bâtisse sur le Boulevard Tsvetnoï. Hauts plafonds, couloirs spacieux, appartement de cinq pièces : il y a de la place pour les quinze membres de la famille. « La principale difficulté à laquelle nous avons été confrontés en arrivant à Moscou, c’est celle du logement. Il est très difficile de trouver un appartement ici, se souvient Eka. C’est devenu plus facile après un an, même si nous vivons encore ici aujourd’hui ».    

« Les Moscovites d’aujourd’hui ne font pas la différence entre les nationalités. Ils nous considèrent simplement comme des «Caucasiens»

La diaspora géorgienne à Moscou est la plus ancienne. Au XVe siècle, des délégations des terres géorgiennes viennent rendre hommage au prince Ivan III les unes après les autres. Certains de ces représentants décident alors de s’installer dans la capitale russe. Le quartier géorgien de Moscou commence à se constituer au début du XVIIIe siècle, lorsque le roi Vakhtang VI reçoit de la part du jeune tsar Pierre II de Russie le village Voskressenskoïe, près de Moscou. Le lieu devient par la suite le noyau dur du premier quartier connu de Géorgiens.    


Pendant la période soviétique, la Géorgie fait intégralement partie de l’URSS, mais en 1991, elle déclare son indépendance et se déttache. Dans les années 1990, le conflit entre la Géorgie et l’Abkhazie provoque une importante vague migratoire en Russie. Ces 10 dernières années comptent de nombreuses tensions dans les relations russo-géorgiennes: le conflit en Ossétie du Sud en 2008, l’interdiction sur les importations de produits géorgiens en Russie entre 2006 et 2013… Mais le peuple géorgien est toujours resté proche du peuple russe, en grande partie grâce à la religion orthodoxe. La culture géorgienne a continué de vivre à travers les films soviétiques cultes et les chansons. Et la diaspora géorgienne de Moscou est devenue petit à petit une partie intégrante de la capitale et de son mode de vie contemporain.    


Aujourd’hui, selon les chiffres officiels, environ 40 000 Géorgiens vivent à Moscou. Ils sont médecins, chauffeurs de taxi, vendeurs… Les Géorgiens ont cette capacité à se bâtir une vie en repartant de zéro, quelque soit l’endroit où ils se trouvent.   

 

Les Géorgiens savent assimiler rapidement une nouvelle culture. La préservation des traditions nationales dans une mégalopole devient alors pour eux un véritable défi. Mais la langue géorgienne leur est un atout. Dans la famille Bogatelia, tout le monde parle géorgien. Communiquer entre eux dans cette langue leur est plus facile. C’est une langue assez simple : seulement trois temps, mais les verbes se conjuguent en fonction de l’endroit où se trouve le sujet par rapport à l’objet (« il a fermé la porte » connaît six ou sept variantes grammaticales). 

   

« En effet, on s’habitue rapidement. Nous devons veiller à conserver notre langue et nos traditions. Je regarde des émissions géorgiennes sur youtube. Les enfants pratiquent la langue avec un professeur. Ils chantent des chansons géorgiennes et dansent les danses nationales. Et bien sûr, chaque été, nous rendons visite à leur grand-mère en Géorgie ».    

« Mais les Russes et les Géorgiens ont plus en commun que n’importes quels autres peuples du Caucase: une religion, une histoire, des frontières communes. Après la guerre de 2008 en Ossétie du Sud, la politique a déterminé en grande partie l’attitude des gens. Beaucoup à Moscou ont trop regardé la télévision et nous considèrent quasiment comme leur ennemis. Et peu importe pour eux que les gens vivent ici depuis longtemps ou non, que ce sont des gens bien ».

Les migrants géorgiens illégaux étaient immédiatement expulsés de Russie, et ceux qui avaient la possibilité de mener leur vie en Géorgie (trouver du travail, créer une entreprise) rentraient au pays de leur propre gré. Certains sont partis avec leur famille entière.    

En pleine guerre ossèto-géorgienne, la Russie et la Géorgie ont rompu leurs relations diplomatiques et imposé un régime de visa entre les deux pays. Les restrictions de visa à l’égard des Géorgiens sont toujours d’actualité en Russie. Une procédure simplifiée s’applique aux parents les plus proches uniquement. Il y a 6 ans, les vols entre les deux pays avait été interrompus. Pour se rendre en Géorgie depuis Moscou, Eka Bagatelia devait embarquer via l’Azerbaïdjan, l’Arménie, la Biélorussie, ou via des pays européens.    


Après ces événements, la diaspora géorgienne de Moscou a fortement diminué. 

« Mes amis géorgiens à Moscou m’ont raconté comment certains s’étaient fait virés, d’autres emmenés au poste de police. Porter un nom de famille géorgien conduisait inévitablement à des problèmes. Ces histoires sont véridiques. Mon neveu, qui a un nom de famille géorgien, a commencé à subir des injures à l’école. Bien sûr, ils n’ont pas réussi à le blesser, car il est plus fort que tous », sourit Eka.    

Les Géorgiens disent eux-même qu’ils peuvent ne pas voir leur famille pendant des années, même en habitant la même ville, ils se sentent malgré tout proches les uns des autres. Comme une même communauté, une même famille : « Le plus ouvrent, les Géorgiens ne se déplacent pas en nombre. Juste le mari, sa femme et ses enfants. Je pense que quelque part, nous n’avons pas assez le sens de la communauté. On ne prend pas avec nous nos oncles, nos frères et nos soeurs. C’est la faiblesse de notre diaspora. Les autres peuples sont plus unis».


Pourtant, les Bogatelia semblent très unis. Ils se souviennent des prénoms de leurs nombreux cousins-cousines, oncles-tantes, grand-pères et grands-mères. Ils ne se perdent jamais de vue, même avec les membres de la famille qui ont émigré en France: chaque semaine, ils s’appellent via skype. Un rituel bien établi.    

Lorsqu’ils reçoivent, dans leur maison sur le Boulevard Tsvetnoï, la famille et les proches en grand nombre, règne une atmosphère de petite Géorgie: les enfants revêtent les costumes locaux et chantent l’hymne national, tandis que les adultes recouvrent la table de plats et de boissons traditionnels. Le sentiment de fête est bien présent et ne laisse aucun répit à ses hôtes.    


Les Géorgiens ne délaisseront jamais leurs traditions, surtout celles de la table. Même s’ils doivent émigrer au pôle nord. Peut-être parce que c’est justement autour de la table que se réunie la famille, petite comme grande, et que se crée le lien entre les générations. C’est comme si cette table ne se trouvaient plus dans cet appartement moscovite, mais dans le jardin de la maison de campagne familiale, près de Tbilissi, entourée de vignes.    


Une fois la table mise, elle invite à goûter tous les mets délicieux de la cuisine géorgienne : khinkali (ravioli géorgien), khatchapouri (chausson au fromage), lobio (haricots accompagnée d’une sauce spéciale), satsivi (poulet à la sauce aux noix). Le vin et l’eau, tout est géorgien. Les plats sont tellement nombreux qu’une seule table ne suffit pas. Une deuxième est ajoutée, pour les légumes et la mamalyga (bouillie à base de farine de maïs). Les enfants mangent sur une table séparée. C’est ainsi.    
Autre tradition, les toasts portés au cours du repas. Les Géorgiens sont passés maîtres en la matière. A qui porte-t-on le premier toast ? C’est une question sans fin. Les plus âgés, ayant vécu sous l’URSS, trinquent à Lénine. Leurs enfants, à Dieu, remerciant pour la nourriture et ceux qui sont présents. Tous les Géorgiens boivent à la paix et au tamada (animateur de soirées). Refuser de boire son verre cul-sec lorsqu’un toast est porté revient à offenser le maître ou la maîtresse de cérémonie.
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Texte : Ksenia Issaeva, Elena Potapova
Photos et vidéos : Pavel Gazduk 
  
Produit par Russia Beyond the Headlines, 2014