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L'épopée Fabergé
de la splendeur
à la chute de la Russie impériale

L'année 2014 marque le bicentenaire de la naissance de Gustave Fabergé, fondateur de la célèbre maison de joaillerie éponyme mondialement célèbre pour ses chefs-d'œuvre absolus que sont les œufs de Pâques. À cette occasion, RBTH retrace le parcours de cette dynastie, dont le sort reflète le destin même de la Russie impériale.
En 1883, le Tsar Alexandre III (1881-1894) commande des boutons de manchettes en forme de cigales à Karl Fabergé, joaillier qui a attiré son attention l'été précédent lors de l'Exposition industrielle panrusse de Moscou.

Ainsi furent jetées les bases d'une longue histoire de coopération entre la dynastie Romanov et l'homme dont le nom deviendrait un jour le symbole de la magnificence et de l'exubérance de la Russie impériale. Une histoire interrompue abruptement par la révolution bolchevique une trentaine d'années plus tard.

Mais pour le moment, c'est une période de paix et de stabilité dans l'empire, une ère d'industrialisation et de splendeur, marquée par l'épanouissement des arts et un retour aux sources.

Pour satisfaire les clientes les plus exigeantes, les joailliers russes prennent leurs distances avec les standards européens et cherchent à doter leurs œuvres de traits authentiques. Les métaux et les pierres nobles font partie du quotidien des monarques russes et des dames admises à la cour. C'est dans cette ambiance que
la Maison Fabergé connaît son heure de gloire.

À gauche : "Alexandre III", V. Serov
En haut à droite : Exposition industrielle panrusse de Moscou
En bas à droite : Alexandre III avec sa famille
Fondée en 1842 par Gustav Fabergé, qui est issu d'une famille française protestante ayant fui la Picardie au XVIIe siècle (suite à la révocation de l'Édit de Nantes), la Maison Fabergé a rencontré un succès fulgurant, partiellement dû à son emplacement au cœur de Saint-Pétersbourg et à la francophilie de l'époque mais surtout à une qualité irréprochable.

Les esquisses préservées jusqu'à nos jours permettent d'affirmer que Fabergé-père était un très bon joaillier, mais pas très original par rapport aux standards de l'époque qui reposaient essentiellement sur l'usage de l'or et du diamant. En 1872, son fils aîné Peter Karl Fabergé prend les rênes de l'entreprise familiale.


Malgré son jeune âge – à peine 26 ans – Karl est déjà un joaillier chevronné qui a fait ses études en Europe, notamment en Allemagne, en France et en Italie, où il a acquis les meilleures pratiques et traditions, raconte Caroline Charron, auteure du livre Fabergé, de la cour du tsar à l'exil.
Durant ce séjour en Europe, Karl apprend à maîtriser l'utilisation du verre décoratif, de l'opale, de l'améthyste et d'autres matériaux originaux pour la joaillerie de l'époque.

Mais il ne s'arrête pas là : pour saisir le savoir-faire des anciens joailliers, Karl Fabergé propose dans un premier temps de travailler comme expert à l'Ermitage où il répare et restaure les objets précieux, ce qui lui permet d'appréhender leur technique. En l'espace de quelques années, Karl, appuyé par son frère Agathon et une excellente équipe de stylistes et d'artisans, propulse l'entreprise au niveau supérieur.
Fournisseur de la Cour impériale
Devenue en 1884 fournisseur de la Cour impériale, l'entreprise de la dynastie Fabergé fait concurrence à Bolin, une des plus anciennes maisons de joaillerie. Le secret du succès ? Karl accorde une importance particulière à la qualité des matériaux comme à celle de ses créations qui doivent toutes être parfaites pour sortir de ses ateliers. L'autre point fort de Fabergé : l'originalité. Il parvient à intégrer, selon Caroline Charron, la culture et l'art européen dans les traditions russes.

Pour lui, l'or n'a jamais été uniquement de l'or : il pouvait être gris ou blanc, quant au choix des pierres précieuses, leur qualité décorative prévalait toujours sur leur valeur matérielle. La technologie de l'émail, développée dans son atelier, dotait les produits de la maison d'une esthétique inimitable, tandis qu'une pratique innovante pour l'époque, l'utilisation des pierres semi-précieuses, permettait de vendre ses articles à des prix compétitifs par rapport au fameux Bolin.
"Si je dois comparer mon affaire à des maisons comme Tiffany, Boucheron ou Cartier, elles ont sans doute plus de bijoux que moi. Chez eux, vous pourrez trouver un collier à 1,5 million de roubles [environ 53 millions d'euros au cours actuel, ndlr]. Mais ce ne sont que des marchands, et non des artistes joailliers. Je m'intéresse peu à un objet cher si son prix n'est déterminé que par le nombre de perles et de diamants"

Karl Fabergé

L'impératrice Maria Fedorovna. Crédit : Vostok photo
L'impératrice Maria Fedorovna (née princesse Dagmar de Danemark) a un faible pour les diamants et les émeraudes. C'est à l'intention de cette dernière que Karl Fabergé conçoit en 1885 son premier œuf pascal surprise : entièrement recouvert d'émail blanc opaque, il ressemble à une coquille d'œuf réel. Sa Majesté apprécie tellement la pièce, que l'empereur lui en commande un à chaque période de Pâques.

Cette tradition perdurera même après l'arrivée au pouvoir de l'empereur Nicolas II : sur les 71 œufs incrustés conçus par la Maison Fabergé, 52 étaient destinés à la famille impériale.

L'entreprise reçoit de grosses commandes en prévision des fêtes et des grandes dates de l'empire, dont le couronnement de Nicolas II (1894) et le tricentenaire de la dynastie Romanov (1913).

Au-delà des œufs impériaux, les objets les plus prisés de Fabergé après les œufs sont les pissenlits fabriqués à base d'aigrettes naturelles de ces fleurs.

À l'aube du siècle turbulent

L'exposition unique des œuvres conçues par la Maison Fabergé,
mars 1902. Crédit : wikipedia.org
En signe de reconnaissance, la famille impériale contribue à la tenue en mars 1902 d'une exposition unique des œuvres conçues par la Maison Fabergé.

Les impératrices Maria Fedorovna et Alexandra Fedorovna, ainsi que les représentantes de la haute noblesse russe, y exposent leurs joyaux signés Fabergé. L'événement se déroule sur deux jours et constitue l'heure de la gloire de la maison de joaillerie.

Outre les célèbres œufs, Fabergé produit des bijoux, des statuettes, et de la vaisselle en métaux précieux ; à chaque fois, il s'agit d'un véritable chef-d'œuvre.

Ces objets décoratifs sont appréciés aussi bien à l'intérieur des frontières de l'empire qu'à l'étranger : les articles conçus par la marque Fabergé sont offerts en cadeau aux têtes couronnées européennes. Des magasins de la marque, qui figure parmi les fournisseurs du roi du Siam et de la Cour d'Angleterre, ouvrent à Moscou, à Odessa et Kiev, mais aussi à Londres.


Certes, l'une des raisons de ce succès réside dans le génie du marketing et de la gestion de Karl. Comme l'assure Valentin Skourlov, l'auteur d'une biographie de Fabergé, ce dernier savait choisir les meilleurs artisans et les meilleurs commerciaux. Pour rendre ses produits accessibles aux habitants des régions éloignées, il lance les ventes sur catalogue. Au début de l'année 1914, l'empire joaillier de Karl Fabergé compte près de 100 000 pièces.
Le début de la Première Guerre mondiale ébranle les piliers de l'entreprise. Les premières réussites glorieuses cèdent le pas à une série de défaites, la demande pour les produits de luxe est en chute libre.

Comme toutes les entreprises en période de guerre, la Maison Fabergé se réoriente sur la satisfaction des besoins de la Défense, produisant des ordres et des récompenses militaires.

L'abdication de Nicolas II et la fin du régime tsariste mettent un point final à l'épopée merveilleuse de la Maison Fabergé : arrivés au pouvoir, les bolcheviks déclarent la guerre à l'ancien régime et à toute preuve du capitalisme.


La maison de la famille Fabergé au 24, Bolchaïa Morskaïa à Saint-Pétersbourg comprenait un atelier, le bureau principal, les appartements de Karl et de son fils aîné Eugène, ainsi qu'une réserve : « La Chambre d'or de Fabergé » - un ascenseur où le maître et ses clients éminents conservaient leurs bijoux (d'une valeur globale de 7,5 millions de roubles en or). L'ascenseur blindé s'arrêtait entre le rez-de-chaussée et le premier étage, la cabine du coffre était électrifiée.
La plupart des clients de Fabergé partent à l'étranger, d'autres sont arrêtés. L'entreprise est nationalisée et ses cinq filiales sont fermées. Quant à Karl, il prend la fuite en septembre 1918, alors que la famille impériale, qui veillait sur lui, a déjà été cruellement assassinée.

Deux ans plus tard, privé de l'affaire de sa vie et ne se trouvant pas sa place au sein du nouveau monde, Karl Fabergé s'éteint en Suisse.

Deux ans après la disparition de leur père, Alexander et Eugène Fabergé, ouvrent "Fabergé et Cie" à Paris, sans toutefois jamais égaler le succès de la joaillerie des Tsars russes.
Vie après la mort
De nos jours, les pièces créées par la Maison Fabergé, d'une valeur inestimable, continuent de fasciner les amateurs du luxe et les collectionneurs. En 2007, un œuf Rothschild a été vendu pour 18,5 millions de dollars, devenant la plus chère œuvre de l'art appliqué russe au monde.

Quant à la marque Fabergé, Alexander et Eugène la cèdent au milieu du XXe siècle à Sam Rabin, fondateur de l'entreprise Fabergé Inc, spécialisée dans la production du parfum. Depuis, elle a été revendue à plusieurs reprises, avant d'être rachetée en 2012, par le groupe minier britannique Gemfields pour la bagatelle de 142 millions de dollars.

Le petit-fils de Karl Fabergé, Theo, a poursuivi la tradition de ses aïeux. Il a reconstruit le tour Holttsapfel datant de 1861 et, à partir de 1950, a lancé la conception et la production d'objets élégants en ivoire et en bois rare. Rapidement, Theo a commencé à recevoir des commandes de collectionneurs de la famille de Fabergé et de musées célèbres.

En 1984, la Collection Fabergé a fêté sa seconde naissance sur le marché mondial des métaux et pierres précieuses, de l'émail, de la porcelaine et de la sculpture sur bois. Theo Fabergé est décédé en 2008. Sa fille unique Sarah poursuit la tradition familiale.

Texte par Flora Moussa.
Crédit photos : AFP / EastNews, Tom Kelly / Flickr.com, Ekaterina Borisova / wikipedia.org, A.Currell / flickr.com, Alex le Breton / flickr.com
Photo principale par Carlos Octavio Urango / Flickr.com
Design et maquette par Ekaterina Tchipourenko.
Préparé avec la contribution de Evguenia Chipova.
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