Batailles pour Mossoul et Alep: où sont passés les «gentils»?

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La Russie et l’Occident s’accusent mutuellement de négliger le sort de la population civile: c’est désormais un trait caractéristique des conflits en cours au Proche-Orient. L’Occident, par la voix des États-Unis dans la plupart des cas, rend Moscou responsable de la mort de Syriens à Alep. La Russie, à son tour, accuse les États-Unis d’ignorer le sort des civils de la ville irakienne de Mossoul, que la coalition internationale dirigée par Washington cherche à libérer des mains des extrémistes de Daech. Auparavant, la Russie a maintes fois critiqué les États-Unis de mettre en place un « blocus de l’information » sur la bataille pour Mossoul.

Pourquoi la presse fait-elle preuve d’un tel « deux poids, deux mesures » dans la présentation des opérations dans les deux villes ? Crédit : APPourquoi la presse fait-elle preuve d’un tel « deux poids, deux mesures » dans la présentation des opérations dans les deux villes ? Crédit : AP

« Volonté de tuer des enfants »

On ne peut guère parler ici de blocus de l’information, car la presse occidentale parle activement du déroulement de l’opération à Mossoul. Cependant, certains observateurs soulignent que la présentation qu’en font les médias occidentaux est aux antipodes du message que ces mêmes médias délivrent au sujet des opérations menées par les troupes russes et syriennes à Alep.

Le journaliste américain Robert Perry, devenu célèbre au milieu des années 1980 suite à la révélation de l’affaire Iran-Contra, a analysé les articles publiés par The New York Times sur les deux opérations militaires. Il estime que, dans le cas de Mossoul, le message que le périodique envoie à ses lecteurs est le suivant : si l’assaut soutenu par les États-Unis entraîne des victimes civiles, y compris des enfants, il faudra l’accepter comme « dommages collatéraux », c’est le prix à payer pour la « libération de la ville des extrémistes sanguinaires ».

En revanche, le même journal présente la bataille pour la partie est d’Alep comme la volonté des « dirigeants russes et syriens barbares de bombarder des quartiers civils, sans prendre en compte les victimes humaines et avec une volonté évidente de tuer des enfants ».

Pour tenter d’expliquer l’existence d’une telle approche chez l’un des plus grands périodiques mondiaux, les experts pointent plusieurs raisons, toutes relatives au lien entre la presse et le pouvoir.

Nikolai Petro, historien américain spécialisé dans la politique extérieure russe et ancien collaborateur de l’administration de Bush père, estime que ce serait une erreur de compter sur l’impartialité de la presse. Interrogé par RBTH, il cite une étude menée il y a 25 ans et souligne que les patrons de la presse empruntent souvent le discours du pouvoir pour le présenter comme une interprétation honnête des événements mondiaux.

Cela s’explique par deux raisons : premièrement, il existe une crainte que, dans le cas contraire, l’accès aux ressources gouvernementales puisse être coupé. Deuxièmement, dans le cas des États-Unis, la répétition du discours du pouvoir est considérée comme une « manifestation de la démocratie ».

Dans un entretien avec RBTH, Michael Karlie, professeur d’histoire à l’université de Montréal spécialisé dans les relations modernes entre la Russie et l’Occident, souligne également que les principaux médias américains ne mettent pas en doute le discours du gouvernement sur ce qui se passe dans le monde.

Par ailleurs, il estime que dans le cas de la Syrie, le contenu de ce discours est motivé par les intérêts politiques de Washington et la volonté d’utiliser les insurgés syriens dans la lutte contre le pouvoir syrien. Cela explique la manière dont la presse traite les actions menées par l’armée syrienne et l’aviation russe qui affrontent les insurgés.

« Rien d’extraordinaire »

Les experts russes estiment que, dans les conflits au Proche-Orient et dans la manière de les présenter, le pouvoir russe se comporte de la même manière que ses homologues américains. « Cela n’a rien d’extraordinaire : aucun pays au monde ne voudra s’accuser d’actes illégaux contraires aux normes du droit international », nous indique l’orientaliste Leonid Issaïev, maître de conférences à la faculté de sciences politiques à l’École des hautes études en sciences économiques.

Il souligne que, dans de telles situations, « on a tendance à soupçonner les autres » d’actes illicites. Pourtant, il ne s’agit pas de mensonge délibéré : « l’être humain a tendance à sous-estimer ses propres erreurs et à exagérer celles des concurrents ». En réalité, « les civils meurent sous nos bombes à Alep et sous les bombes américaines à Mossoul ».

Par ailleurs, les experts estiment que l’opération russe en Syrie est souvent victime d’une perception plus négative à travers le monde que celles des États-Unis en Irak.

Grigori Kossatch, professeur de la faculté de l’Orient moderne à l’Université d'État des sciences humaines de Russie, estime que cet avis est partagé par ceux qui considèrent que les frappes de Moscou en Syrie visent à anéantir les adversaires du président syrien Bachar el-Assad, les « insurgés modérés », plutôt qu’à lutter contre les terroristes. D’autre part, ceux qui critiquent la politique de Washington en Syrie soulignent que l’image des « modérés » est également largement une création de la presse.

L’historien et journaliste Gareth Porter estime que tous les groupes armés opposés à Assad dans les provinces d’Alep et d’Idlib sont contrôlés par les extrémistes du Front al-Nosra, qui, dans le contexte syrien, peuvent paraître modérés. Pourtant, le Front la-Nosra (organisation terroriste interdite en Russie) figure sur la liste des organisations terroristes de l’Onu.

Au milieu de ces batailles d’information, derrière lesquelles se cachent des milliers de destins humains, M. Kossatch lance à la Russie et aux États-Unis un appel qui paraît plus qu’urgent : les deux pays doivent « cesser de se battre sur le terrain de l’information et chercher un langage commun ».

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