En Arménie, une crise locale aux conséquences potentiellement mondiales

Un homme armé près du poste de police à Erevan assiégé par des militants de l’opposition radicale, le 23 juillet 2016.

Un homme armé près du poste de police à Erevan assiégé par des militants de l’opposition radicale, le 23 juillet 2016.

PAN Photo via AP
La prise d’otages dans un poste de police à Erevan pourrait avoir des conséquences graves tant pour la Russie que pour la Turquie et l’ensemble de la région du Caucase. Voici les raisons.

Les troubles sociaux en Arménie, qui se sont soldés par la récente prise d’un poste de police à Erevan par des militants de l’opposition radicale, sont un avertissement à toutes les parties impliquées dans la recherche d’une solution pacifique au conflit du Haut-Karabakh, dont la Russie et la Géorgie. Ce territoire est au cœur d’une des disputes les plus épineuses de l’espace post-soviétique, le long conflit entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie ayant dégénéré en avril dernier en Guerre de quatre jours.

L’incident survenu à Erevan mi-juillet a fait plus de 50 blessés dans des affrontements à proximité d’un poste de police. Des hommes armés favorables à la réintégration du Haut-Karabakh à l’Arménie ont pris des otages au cours d’une confrontation qui a duré plusieurs jours. Les otages ont finalement été libérés, mais l’occupation du poste de police a donné lieu à d’importants troubles sociaux dans les rues d’Erevan.

Cet indicent pourrait compromettre les récents efforts de Moscou visant à rapprocher Erevan et Bakou et avoir d’importantes conséquences pour l’Occident.

L’incident d’Erevan à travers le prisme du Haut-Karabakh

Moscou n’est pas la seule partie ayant beaucoup à perdre dans les protestations actuelles en Arménie. Les troubles d’Erevan pourraient résonner dans d’autres républiques postsoviétiques, comme la Géorgie, qui compte d’importantes minorités azéries et arméniennes. De plus, cela pourrait constituer un nouveau test pour la viabilité du Groupe de Minsk (Russie, France et Etats-Unis, pays ayant de grandes diasporas arméniennes) de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), institution créée en 1992 pour favoriser une résolution pacifique dans le conflit du Haut-Karabakh.

Compte tenu de l’aspiration du Haut-Karabakh à l’indépendance et des tentatives de l’Azerbaïdjan de s’emparer de ce territoire disputé, le conflit reflète une tension fondamentale entre deux principes de base du droit international : le droit des peuples à l’autodétermination et l’intégrité territoriale d’un pays. Du point de vue de la sécurité, le Haut-Karabakh « demeure l’un des défis les plus dangereux dans le Caucase », selon le rapport de l’agence analytique Foreign Policy, basée à Moscou.

En réalité, le Haut-Karabakh pourrait également intégrer l’agenda commun de Moscou et Tbilissi, aux côtés d’autres défis tels que la menace croissante du terrorisme dans la région. Il pourrait rapprocher les pays et résoudre, ou du moins atténuer, les tensions sur l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie.

Cependant, les experts restent sceptiques. Ils doutent que le pragmatisme puisse l’emporter dans cette situation, compte tenu des divergences de poids entre Moscou et Tbilissi dans la région et du manque de compréhension mutuelle sur le conflit qui oppose la Russie et la Géorgie. En réalité, la question du Haut-Karabakh ne joue pas un rôle clé dans les relations entre la Russie et la Géorgie. Toutefois, les experts n’excluent pas une coopération de circonstance entre Moscou et Tbilissi au niveau bilatéral.

« Institutionnellement, Moscou et Tbilissi ne coopéreront pas sur le Haut-Karabakh, car il n’y a pas de besoin urgent pour une telle coopération. Mais cela ne signifie pas que Moscou ne pourra coordonner ses initiatives avec la Géorgie et d’autres parties, comme la Turquie ou l’Iran », indique Sergueï Markedonov, professeur associé à l’Université d’Etat des sciences humaines et spécialiste du Caucase du Sud.

Il est évidemment important, tant pour la Géorgie que pour la Russie, d’empêcher la reprise de l’escalade militaire dans le Haut-Karabakh, mais cet objectif ne rapprochera probablement pas Moscou et Tbilissi car il existe d’autres problèmes, notamment les différends sur l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie », estime M. Minasyan.

Actuellement, les parties sont préoccupées par la Syrie et l’Ukraine et, comme le souligne Thomas de Waal, associé principal en charge de la région du Caucase chez Carnegie Europe, sont de ce fait toujours « réticentes à s’engager plus activement ». Mais elles pourraient le regretter si le conflit se transforme en véritable guerre, ce qui est possible si Erevan reconnaît l’indépendance de la république du Haut-Karabakh et si Bakou continue à provoquer l’escalade. Dans ce scénario, personne ne sortira vainqueur, la Russie et la Géorgie risquant d’être les principaux perdants.

Aux yeux de la Russie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan sont tous deux des partenaires stratégiques dans les domaines commercial et militaire. Ainsi, l’Azerbaïdjan achète toujours des armements russes, tels que des hélicoptères, des systèmes anti-missiles aériens, des chars et des systèmes d’artillerie. De la même manière, Moscou livre des véhicules blindés et du militaire à l’Arménie. Une confrontation entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan pourrait également signer l’échec complet de la diplomatie russe (et du format du Groupe de Minsk au sein de l’OSCE). Une telle perspective menace également de saper l’influence russe dans l’espace postsoviétique.

Quant à la Géorgie, toute escalade dans le Haut-Karabakh pourrait provoquer des tensions à l’intérieur du pays où vivent des diasporas arménienne et azérie.

« Cette situation est très complexe pour la Géorgie, car elle entretient des liens économiques très étroits avec l’Azerbaïdjan et partage avec lui des infrastructures et des projets énergétiques, tels que l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceylan », explique M. Markedonov. « La Géorgie est dépendante de l’énergie azérie et considère Bakou comme un partenaire géopolitique stratégique. Mais le pays a, par ailleurs, d’immenses diasporas arménienne et azérie. C’est pourquoi Tbilissi, comme la Russie, cherche à rester au-dessus de la mêlée et navigue entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan ».

Défi sous-estimé ?

Plus important encore, le conflit du Haut-Karabakh pourrait entraîner Moscou et Ankara dans une nouvelle confrontation, compte tenu du soutien résolu que la Turquie apporte au Haut-Karabakh. Après l’escalade dans la région début avril, le président turc Recep Erdogan a prédit que le Haut-Karabakh reviendrait dans le giron de l’Azerbaïdjan, alors que l’ancien premier ministre turc Ahmed Davutolgu a déclaré qu’Ankara ferait « tout son possible pour accélérer la libération des territoires azéris occupés ».

Actuellement, Moscou et Ankara semblent améliorer leurs relations après les récentes excuses présentées par le président truc pour la destruction d’un avion russe fin novembre 2015. Cependant, l’escalade dans le Haut-Karabakh pourrait entraver leurs tentatives de réconciliation. De ce fait, personne n’a intérêt à une guerre entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan.

« Tant Bakou qu’Erevan pourraient invoquer les traités d’assistance à la sécurité qu’ils ont signés avec la Turquie et la Russie, respectivement, et tenter d’entraîner Ankara et Moscou dans une guerre par procuration. Ces dynamiques sécuritaires font que les acteurs locaux et internationaux sont prisonniers du Caucase », avertit Thomas de Waal.

La Turquie étant membre de l’Otan, l’incident local à Erevan pourrait avoir des répercussions à l’échelle mondiale et des conséquences graves tant pour l’Arménie et l’Azerbaïdjan que pour la Russie, la Turquie et l’Occident. Par ailleurs, le déroulement des événements, qui ont commencé avec la prise d’otages à Erevan, pourrait sérieusement entraver les efforts de maintien de la paix et provoquer une nouvelle escalade dans le Haut-Karabakh. Ce qui est aujourd’hui un incident local en Arménie pourrait, dans le pire des cas, devenir un conflit régional.

Texte original en anglais disponible sur le site de Russia Direct. Russia Direct est un média analytique international spécialisé dans la politique étrangère.

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