L’Europe redeviendra-t-elle un théâtre de guerre ?

Le secrétaire d’État à la Défense des Etats-Unis Ashton Carter lors d'une conférence de presse à la suite de la Réunion des Ministres de la Défense de l'Otan à Bruxelles, le 11 février 2016.

Le secrétaire d’État à la Défense des Etats-Unis Ashton Carter lors d'une conférence de presse à la suite de la Réunion des Ministres de la Défense de l'Otan à Bruxelles, le 11 février 2016.

Reuters
Washington et Londres sont simultanément montés d’un cran dans la rhétorique antirusse, ajoutant de la tension aux relations déjà électriques avec Moscou et déclenchant un rejet particulièrement rigoureux.

Moscou a pris acte de la récente flambée de rhétorique antirusse des responsables du tandem anglo-saxon (Etats-Unis et Grande-Bretagne), accompagnée de projets détaillés visant à renforcer le potentiel militaire en Europe.

Le secrétaire d’État à la Défense des Etats-Unis Ashton Carter a déclaré que des réformes étaient nécessaires pour rendre l’armée américaine capable de relever les cinq défis stratégiques qu’il définit comme « la Russie, la Chine, la Corée du Nord, l’Iran et le terrorisme ».

Le chef de la diplomatie britannique Philip Hammond a qualifié la Russie de « défi et menace » et a refusé la coopération avec Moscou tant que la Russie ne « respecterait » pas les règles du système international. 

Pour appuyer ces déclarations belliqueuses, le général Philip M. Breedlove, en tête du Commandement des forces des États-Unis en Europe, a révélé que le Pentagone allait déployer trois brigades complètes de l’Armée américaine en Europe d’ici fin 2017 – une brigade de blindés, une brigade aéroportée et une brigade Stryker.

Tout cela s’inscrit dans la logique de militarisation du « théâtre européen », laissant craindre la perspective d’une guerre éventuelle.

Adieu « train-train »

La Russie surveille attentivement ces évolutions négatives et les prendra en compte dans la planification des mesures de protection de sa sécurité nationale, a souligné Maria Zakharova, porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères.

Sur le plan pratique, la réponse immédiate à la militarisation occidentale à proximité des frontières russes sera « asymétrique », peu coûteuse et très efficace, a déclaré Alexandre Grouchko, représentant permanent de la Russie auprès de l'Otan.

Au fond, la nouvelle fermeté avec laquelle Moscou articule sa position vis-à-vis de l’Occident reflète un changement d’attitude.

En janvier, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a envoyé un signal clair : pour la Russie, le temps du « train-train habituel » avec les Etats-Unis et l’Union européenne est révolu. Désormais, le redémarrage ne sera possible que s’il est basé sur l’égalité des droits, le respect mutuel et le droit international.

Retour dans les années 80 ?

Accroître l’arsenal militaire sur le vieux continent témoignerait d’un mépris flagrant des leçons de l’histoire. Lady Ashton, ancienne chef de la diplomatie européenne, peut témoigner des risques que l’on prend lorsqu’on maltraite l’Europe de la sorte. 

Au début des années 1980, elle était la trésorière du mouvement pacifiste Campagne pour le désarmement nucléaire (CND). Elle protestait contre la décision des Etats-Unis de déployer des missiles de croisière à lanceur naval et des missiles Pershing en Grande-Bretagne et dans d’autres pays d’Europe de l’Ouest.

Les missiles Pershing II, stationnés en Allemagne de l’Ouest, pouvaient atteindre des cibles à Moscou en huit minutes (temps de vol), ce qui ne laissait pas la moindre chance d’utiliser la ligne d’urgence avec la Maison Blanche. Il y avait juste le temps d’appuyer sur le bouton rouge pour la frappe de représailles.

Les dangers de cette nouvelle réalité n’ont pas échappé aux Européens, qui ont lié ce déploiement au changement de la doctrine militaire des Etats-Unis. La directive présidentielle N°59 a révélé que les Etats-Unis étaient prêts à mener une « guerre nucléaire limitée » avec l’Union soviétique pendant des semaines ou quelques mois, pas plus. 

L’accroissement du nombre d’ogives nucléaires américaines en Europe a entraîné une nouvelle « Crise des missiles de Cuba », deuxième version, cette fois, aux portes de l’Union soviétique. Le seuil permettant l’utilisation potentielle d’armes de destruction massive était alors tombé dangereusement bas.

Le discours de Munich répété

Aujourd’hui, la promesse d’une réponse « totalement asymétrique » par les responsables russes et le refus de reprendre le « business as usual » (relations habituelles, ndlr) font également écho à la lettre et à l’esprit du discours de Munich, prononcé par Poutine en 2007. 

Le discours de Munich constituait un avertissement historique, et affirmait que la Russie n’accepterait pas un statut de subordonné dans l’ordre mondial en mutation. 

En 2007, l’alliance anglo-saxonne ne l’a pas pris en compte, pensant qu’il s’agissait d’une fanfaronnade. En 2016, ignorer le ressentiment de Moscou à l’égard de la politique continue d’encerclement et des rodomontades de l’Otan constituerait un exercice des plus périlleux.  

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