Crise syrienne : la Russie changerait-elle de cap ?

Une marche en soutien aux autorités russes et syriennes à Lattaquié. Crédit : Andreï Stenine/RIA Novosti

Une marche en soutien aux autorités russes et syriennes à Lattaquié. Crédit : Andreï Stenine/RIA Novosti

Les djihadistes remportent victoire sur victoire en Irak. Fin mars, en Syrie, ils ont repris le contrôle de la ville d'Idleb contrôlée par l'opposition modérée. Et à la fin du mois de mai, ils ont conquis la célèbre cité de Palmyre qui était, elle, aux mains des troupes gouvernementales. Les combats se sont à nouveau intensifiés à Alep.

L'expansion djihadiste a laissé entrevoir un tournant sur le front syrien. Toutefois, la majorité des experts russes estiment que personne ne devrait réussir à gagner véritablement cette guerre prochainement. Quel que soit l'avenir politique du président Bachar el-Assad, l'instabilité en Syrie perdurera. En effet, l'opposition entre les groupes qui s'affrontent est bien trop forte. L'opposition modérée est morcelée, et les radicaux, qui le sont eux aussi, en profitent. En Syrie, c'est la guerre de tous contre tous.

D'après les chiffres de l'ONU, environ cinq mille personnes périssent chaque mois dans les combats et les attaques terroristes en Syrie. Selon les chiffres d'organisations de défense des droits de l'homme, ce chiffre atteindrait sept mille. Les civils représentent environ la moitié des victimes.

Pourquoi Moscou ne change pas de position

Dans ce contexte, la Russie peut-elle changer brusquement de position et miser sur l'un des opposants ? Moscou espère encore que les États-Unis vont changer d’approche sur ce dossier. Ainsi, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a récemment déclaré : « Si les États-Unis changent d'avis, alors tout s'arrangera ». Selon lui, « il faut définir ce qui constitue la plus grande menace : la personnalité du président syrien ou l'État islamique ? ».

Néanmoins, ces derniers temps, la télévision et les journaux occidentaux et arabes entrevoient la possibilité d'un changement de la position russe. Certains annoncent même sans ambages que le Kremlin serait en train de « lâcher Assad », ces allégations provenant de sources « anonymes » dans des cercles diplomatiques. Si cela rend ces déclarations encore plus mystérieuses, il est cependant peu probable qu'elles reflètent l'état réel des choses.

La position de Moscou ne se réduit pas à soutenir Assad, la Russie ayant d'autres arguments. Dès le début du conflit, Moscou s'est déclarée hostile à une intervention extérieure visant à renverser le gouvernement syrien. La Russie a insisté sur le fait que seul le dialogue national était en mesure de mettre fin au conflit.

La Russie est logiquement opposée à toute intervention militaire de l'Occident dans la région, notamment car ce type d’actions est contraire aux décisions du Conseil de sécurité de l'ONU. Ainsi, Moscou était clairement opposé à la guerre américaine en Irak en 2003. La France et l'Allemagne avaient alors aussi critiqué cette décision des États-Unis, mais leur avis n'avait pas été pris en compte. Aujourd'hui encore, d'après l'ONU, près de trois mille personnes périssent en Irak chaque mois.

Lorsqu'à l’automne 2013, le président des Etats-Unis, Barack Obama, s'apprêtait à bombarder la Syrie, le Kremlin a trouvé une solution pour éviter une nouvelle guerre. Selon l'initiative proposée par la Russie, Assad acceptait de détruire son arsenal d'armes chimiques et Obama renonçait aux frappes de missiles sur les cibles gouvernementales en Syrie.

« Malheureusement, quand les Américains ont déclaré lancer une croisade contre l'État islamique en Irak et en Syrie, ils ne sont pas adressés une seule fois au Conseil de sécurité. Ils ont simplement annoncé la création d'une coalition », a récemment expliqué le ministre russe Lavrov.

Le consentement de Damas rend possibles les opérations contre l'EI

Les actions de la coalition antiterroriste n'ont pas eu le résultat escompté. Au contraire, comme le fait remarquer le directeur de l'Institut russe d'études orientales Vitali Naoumkine, « les frappes aériennes américaines en Syrie et en Irak font naître un sentiment antiaméricain chez la population ».

Les frappes de missiles et les bombardements touchent aussi les civils. Au début du mois de juin, une famille de cinq personnes (un couple et leurs trois enfants) ont péri dans un petit village au nord-est de la Syrie, dans la province d'Alep. L’ensemble des chiffres concernant le mois de juin n'ont pas encore été dévoilés, mais on estime que depuis septembre 2014, les frappes de la coalition ont coûté la vie à 148 civils, dont 48 enfants et 32 femmes. Ces données ont été rassemblées par l'Observatoire syrien des droits de l'homme basé à Londres.

Comme il y a deux ans, Moscou continue de s'élever contre les initiatives susceptibles de favoriser une intervention militaire étrangère en Syrie. Toutefois, la Russie propose de s'unir pour lutter contre le terrorisme en incluant le gouvernement syrien, qui y participerait aux côtés de la coalition.

En premier lieu, on peut commencer par mettre au point une coopération avec le voisin de la Syrie, l'Irak. Moscou a deux conditions principales : il faut que le gouvernement irakien donne son feu vert (et cela ne devrait pas causer de problème) et que l'initiative de création d'une coalition élargie pour lutter contre le terrorisme soit adoptée par le Conseil de sécurité de l'ONU.

Comme l'a expliqué l'ambassadeur de Russie en Grande-Bretagne, Alexandre Iakovenko, « nous essayons encore de convaincre nos partenaires d'adopter une stratégie commune de lutte contre l'État islamique et le terrorisme au Proche-Orient ».

Au printemps, il semblait que les Américains étaient prêts à accepter cette proposition. Le secrétaire d'État John Kerry s'est rendu à Sotchi en mai et y a rencontré Poutine. D'autres diplomates américains ont suivi son exemple et se sont rendus à Moscou. Mais plus aucune tentative de trouver un terrain d'entente n’a été constatée : les États-Unis ont à nouveau mentionné la nécessité du départ d'Assad.

La Russie ne change pas de cap et continue d'organiser des rencontres entre le gouvernement syrien et la partie de l'opposition acceptant de dialoguer avec lui. Comme l'a indiqué le ministère russe des Affaires étrangères à RBTH, une troisième rencontre de ce type se prépare en ce moment même dans la capitale russe.

Cependant, Moscou craint que l'Occident et les pays du Golfe maintiennent leur position et continuent d'aider certains groupes de l'opposition tout en en bombardant d'autres, plus radicaux. Toutefois, il n'est pas toujours facile de dissocier les uns des autres. De plus, les extrémistes vivent au milieu des civils et il est impossible de les bombarder. Plus il y aura de victimes innocentes, plus les gens qui viendront grossir les rangs de l'EI, et moins la Syrie aura de chances de se sortir de ce cercle vicieux, estime-t-on côté russe.

Elena Souponina est conseillère du directeur de l'Institut russe d'études stratégiques

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