Affaire Ioukos : la Belgique et la France saisissent des biens russes

L'entrée du siège administratif de la société Ioukos, 2007. Crédit : Vladimir Viatkine/RIA Novosti

L'entrée du siège administratif de la société Ioukos, 2007. Crédit : Vladimir Viatkine/RIA Novosti

La Belgique et la France ont saisi des actifs russes dans le cadre de la décision de la Cour d’arbitrage de La Haye qui a auparavant condamné la Russie à rembourser environ 50 milliards de dollars (44,1 milliards d'euros) aux ex-actionnaires de la société pétrolière russe Ioukos. Le ministère russe des Affaires étrangères déclare que la Belgique s’est attaquée aux comptes de l’ambassade et annonce avoir convoqué l’ambassadeur de Belgique en signe de protestation.

La diplomatie russe a annoncé que la Belgique avait saisi les comptes de l’ambassade, des représentations de la Russie auprès de l’UE et de l’OTAN, ainsi que d’autres structures. Il a convoqué l’ambassadeur belge pour lui déclarer que Moscou considérait les actions de la Belgique comme « un geste ouvertement inamical » et comme « une grossière violation des normes universellement reconnues du droit international ». Le ministère a menacé de prendre « des mesures adéquates de riposte » vis-à-vis des biens belges en Russie si la Belgique ne rétablit pas « les droits souverains violés de la Russie ».

Mercredi soir, quarante-sept organisations russes et internationales (représentant des intérêts russes) enregistrées en Belgique ont reçu une circulaire d’huissiers de justice leur intimant de soumettre sous quinze jours la liste des fonds et biens propriété de l’État russe. Le lendemain, les représentants de la banque russe VTB ont annoncé la saisie en France des comptes de sociétés et représentations diplomatiques russes ouverts dans la filiale française de la banque. Les comptes des missions diplomatiques ont été dégelés un peu plus tard. Dans le même temps, il a été annoncé le 18 juin que la France et la Belgique avaient ordonné la saisie des biens de plusieurs médias publics de Russie, comme l’agence TASS, MIA Rossiya Segodnya et VGTRK.

La décision de La Haye

La saisie d’actifs russes en Belgique est opérée sur demande de la société Ioukos Universal Limited, filiale de GML (Group Menatep Limited, contrôlé par l’un des anciens dirigeants de Ioukos, Leonid Nevzline). La justice belge s’est appuyée sur le verdit de la Cour d’arbitrage de La Haye du 18 juillet 2014. D’après l’agence RIA Novosti, le document diffusé par les huissiers de justice belges indique que Ioukos Universal Limited s’est adressée à eux par le biais d’un avocat bruxellois en vue d’appliquer la décision de la Cour condamnant Moscou à payer plus de 1,6 milliard d’euros à la société.

La Cour a également décidé que la Russie devait rembourser 39,9 milliards de dollars (35,2 milliards d'euros) à une autre filiale de GML, Hulley Enterprises Limited, enregistrée à Chypre. Toujours selon RIA Novosti, les comptes des sociétés russes en France ont été saisis suite à la demande de cette société. Andreï Kostine, président du conseil d’administration de VTB, a déclaré dans une interview au quotidien d’affaires RBC que les sommes saisies étaient « peu importantes et ne constituaient que plusieurs dizaines de milliers d’euros ». La Cour de La Haye a également condamné la Russie en juillet 2014 à rembourser 8,2 milliards de dollars (7,2 milliards d'euros) à Veteran Petroleum Ltd., le fonds de pension des anciens employés de Ioukos. Mais cette compagnie ne figure pas pour le moment dans les informations des médias. Les autorités russes affirment que la décision de la Cour d’arbitrage est politisée, et ont d’ores et déjà fait appel.

L’agence Interfax a annoncé mercredi soir que la justice belge avait adressé une circulaire à la quasi-totalité des grandes banques et à toutes les représentations, ONG et médias russes. La liste comprend notamment le diocèse de Bruxelles et celui de Belgique de l’Eglise orthodoxe russe.

Le ministre russe du Développement économique, Alexeï Oulioukaïev, a déclaré que cette saisie était illégale et que Moscou ferait appel de la décision. Il a fait remarquer que la Russie excluait toute éventualité de paiements dans le cadre de l’affaire Ioukos. Les actifs saisis ne sont pas importants, mais « le fait même est, bien entendu, très désagréable ».

Situation sans issue ?

Les juristes sont partagés sur un éventuel recouvrement judiciaire par le biais de saisie de comptes et biens russes à l’étranger. Artour Zourabian, directeur des pratiques de litiges internationaux et d’arbitrage de la société judiciaire Art De Lux, estime que la situation « est pratiquement sans issue ». Selon lui, les biens publics russes liés à la réalisation par la Russie de ses fonctions publiques et juridiques – notamment les locaux de représentations et de consulats – ne peuvent pas faire l’objet d’une saisie car ils bénéficient de l’immunité diplomatique. Par conséquent, les autorités de Belgique et de France (et d’autres pays qui viendront éventuellement allonger cette liste) doivent trouver une propriété de l’Etat russe n’ayant pas de rapport avec ces fonctions, ce qui est loin d’être chose facile, a-t-il souligné.

Alexandre Aroutiounov, chef du collège d’avocats de Moscou Aroutiounov et partenaires, a un autre point de vue. La situation est regrettable et il se peut que la Russie soit obligée de rembourser la somme, a-t-il indiqué à RBTH. Selon lui, il est possible de voir se répéter la situation liée à la société suisse Noga qui s’est livrée à une chasse aux actifs de l’État russe à l’étranger pendant plusieurs années.

Signal politique de l’UE ?

Selon d’autres experts, ces saisies constituent avant tout un signal politique lancé par l’UE à Moscou. Le fait que les huissiers aient adressé leur demande aux représentations de médias, aux organisations à but non lucratif et même à l’Eglise orthodoxe russe « qui juridiquement n’est pas liée à la Russie » prouve que « pour le moment, c’est une démarche politique et non juridique, a poursuivi Artour Zourabian. L’Union européenne fait ainsi comprendre (à la Russie) qu’il est nécessaire de réfléchir à l’exécution de cette décision (de la Cour de La Haye) et de celle de la Cour européenne des droits de l’homme… ».

En effet, parallèlement au verdict de la Cour d’arbitrage, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a décidé l’année dernière que Moscou devait verser 1,9 milliard d’euros aux actionnaires de Ioukos. Comme dans le cas de la Cour de La Haye, Moscou a rejeté le verdict de la CEDH. Lorsque l’information sur la saisie des biens russes en Belgique a paru mercredi soir, les médias ont annoncé, citant la décision de la justice belge, la réticence de la Russie à exécuter la décision de la Cour de Strasbourg. Mais le lendemain, la CEDH a affirmé qu’il n’y avait aucun lien direct entre la condamnation de la Russie et la décision des autorités belges.

Andreï Bouchouïev, l’un des sept juges de la CEDH qui ont présidé les séances sur l’affaire Ioukos, a expliqué à RBTH qu’il lui était difficile de préciser pourquoi il était fait référence à la CEDH dans cette situation. Dans le même temps, a-t-il ajouté, « il est évident aujourd’hui que les décisions des tribunaux internationaux sur l’affaire Ioukos sont très contradictoires, voire inconciliables sur nombre de questions ».

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