Chef Le Provos : «Je travaille à 100% avec des produits russes»

Le chef Anton Zharikov, Eric Le Provos et le directeur-consultant Pierre-Alain Beaufayt (de gauche à droite).

Le chef Anton Zharikov, Eric Le Provos et le directeur-consultant Pierre-Alain Beaufayt (de gauche à droite).

Bistrot Le Provos
Au lendemain de la mise en place de l’embargo alimentaire russe sur une série de produits occidentaux, RBTH avait rencontré le chef Eric Le Provos qui s’apprêtait à ouvrir un bistrot français à Moscou - projet qui semblait osé à l’époque vu l’incertitude qui planait sur les perspectives de la campagne de substitution des importations envisagée par les autorités russes. Deux ans plus tard, le projet du chef riche de plus de vingt ans d’expérience en Russie est sur les rails.

Ouvert en octobre dernier dans le quartier français de la capitale, à une vingtaine de minutes de marche du Kremlin, le petit bistrot Le Provos propose à la clientèle des plats traditionnels de la cuisine française à des prix démocratiques. En fin d’après-midi, l’établissement fourmille de clients venus « se dépayser » et savourer des escargots au beurre persillé, du veau sauce moutarde ou encore du hachis Parmentier dans un cadre simple et convivial. Et si certains demandent en entrant avec une légère note d’indécision de leur montrer la carte avant de s’attabler (la réputation de cherté de la cuisine française n’y étant certainement pas pour rien) d’autres semblent avoir déjà pris leurs quartiers.

« Ce bistrot est différent de tout ce que j’avais fait précédemment en Russie et c’est la première fois que je ressens le projet que j’ai monté et la cuisine que je fais, confie l’ex-propriétaire du prestigieux établissement gastronomique Le Carré Blanc (2002–2012). Lassé par des plats minimalistes et prétentieux, le chef décide de se tourner vers un autre concept jusque-là sous-exploité en Russie. En ouvrant un bistrot je voulais faire découvrir aux Russes une autre facette de la cuisine française, une cuisine simple à base des plats traditionnels servis dans une ambiance conviviale et décontractée ». Pari tenu, car dans les mois qui ont suivi l’ouverture de l’établissement, un grand nombre de journaux spécialisés dans la gastronomie de la capitale russe lui ont dédié des articles élogieux. Mais le succès est sans doute et avant toutdû au bouche à l’oreille : la majorité des clients – dont l’écrasante partie sont des Russes contrairement à ce que l’on aurait pu croire – viennent sur la recommandation de leurs amis, relate Eric Le Provos.

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Neuf mois après son ouverture, l’établissement de 40 places seulement rapporte des bénéfices, attire de nouveaux clients et ne cesse de diversifier la carte. Et pourtant, le projet n’était pas gagné d’avance : il a été lancé en pleine crise économique, accompagnée de la dégringolade du rouble et d’une baisse du pouvoir d’achat.

La crise n’est pas une fatalité

Eric Le Provos assure que la crise économique qu’a connue le pays n’a pas retardé ses projets. « Je connaissais bien le marché, je savais parfaitementde quoi je suis capable et j’étais sûr d’avoir une force là-dedans », dit Eric Le Provos.

D’ailleurs, le modèle choisi est une assurance anti-crise par excellence. Le temps des établissements gastronomiques proposant des portions congrues pour des prix exorbitants est révolu, assure-t-il. Restait à élaborer un concept accessible à tout le monde.

« Je me souviens qu’en France, il y avait un bistrot à côté de la Bastille. On pouvait y voir des gens très riches, des célébrités du théâtre et des hommes d’affaires aisés, mélangés avec du tout le monde. Les gens venaient pour la carte », explique Eric avant de poursuivre qu’à l’origine, le but des bistrots était de présenter des plats traditionnels de différentes régions du pays dans un même endroit. Ainsi, les personnes qui ne pouvaient pas se permettre de voyager pouvaient aller au bistrot pour découvrir la cuisine des autres régions. « Mon principe, c’est la même chose, mais pour la France. Avec la crise il y a beaucoup de monde qui ne peuvent pas se permettre de voyager et c’est leur donner un petit bout de rêve », confie-t-il, assurant que les petits bistrots ont de beaux jours devant eux en Russie,comme le prouve le retour des clients au bistrot Le Provos.

Du bien-fondé des sanctions

L’embargo alimentaire russe ? Il ne s’en plaint pas non plus, et approuve entièrement la décision des autorités russes de proroger ces restrictions sur les importations jusqu’à la fin de l’année 2017, jugeant que cette mesure donne un avenir à la campagne russe.

« L’agriculture va permettre aux habitants des régions de trouver du travail, de vivre différemment, d'avoir des familles, et ça commence à se créer. Aujourd'hui on ne peut pas l'arrêter. Pensez aux Russes et à certains étrangers qui ont commencé à investir dans le domaine agricole », résume Eric Le Provos.

Lui-même dit n’en avoir pas subi les conséquences et avoir envisagé dès le départ de baser sa cuisine sur les aliments locaux bien avant la mise en place des restrictions sur les importations de produits occidentaux. « Avant que nous n’entrions dans les sanctions, j'avais commencé à regarder un peu partout pour me renseigner sur ce qu'il y avait sur place pour mon futur bistrot », dit Eric Le Provos, ajoutant que les produits surgelés importés ne pouvaient pas concourir avec les produits frais et naturels du terrain avec un atout absolu qui est l’absence d’OGM, interdits en Russie.

Ainsi se sont tissés des liens avec des fournisseurs locaux et à l'ouverture du bistrot, Eric Le Provos avait trouvé à peu près tous les produits qu’il lui fallait.« A ce jour, je travaille à 100% avec des produits russes, à part les vins, et j’ai la qualité tous les jours que ce soient les fruits, les légumes ou la viande », affirme M. Le Provos non sans fierté.Il avoue cependant que pour certains aliments, les salades par exemple, il existe un certain manque, la production locale ne pouvant pas couvrir le besoin. L’achat de gibier pose aussi des problèmes.

Mais en général, le restaurateur se dit impressionné par l’évolution observée en deux ans. Suite à la mise en place des sanctions alimentaires, les entrepreneurs se sont très vite adaptés aux nouvelles réalités du marché et ont relevé le défi lié à la substitution de certains produits alimentaires. D’ailleurs, la production de fromages à la française est en vogue. Avec la disparition du brie, du camembert et d’autres fromages étrangers des rayons de supermarchés, une série d’exploitations se sont tournées vers la fabrication de leurs analogues russes. Certains ont connu du succès et, selon le restaurateur, leurs produits ne se distinguent guère des originaux.

« Actuellement je coopère avec deux fournisseurs locaux qui proposent du chèvre de qualité. J'ai donc des fromages pour ma salade de chèvre produits dans la région de Moscou, j’ai rencontré le fabricant sur une exposition à six mois de l’ouverture du bistrot. Depuis décembre, j'ai des fromages affinés, dont le Valençay et le Sainte-Maure de qualité exceptionnelle, qui viennent de la région de Saint-Pétersbourg, soit de plus de 700 km, chaque semaine », indique Eric.

Pour le foie gras, on en produit aujourd’hui également en Russie, mais ce metscoûteux n’a pas sa place dans le menu démocratique proposé par le bistrot Le Provos.

Des progrès évidents, mais les producteurs locaux peuvent mieux faire

Or, reconnait Eric, si les Russes se sont massivement tournés vers l’expérimentation avec la production detypes de fromages jusque-là importés, d’autres niches non moins importantes restent inexploitées.

« En l’espace d’un an j’ai entendu parler de beaucoup de projets qui se mettent en place, mais pratiquement tous concernent les fromages. Mais il y a d'autres produits dont tu as besoin, et qui sont complètement oubliés. Par exemple le beurre ou toute la charcuterie. J’ai l’impression que les gens n'essaient pas de se renseigner sur le besoin réel », poursuit-il.

Un autre problème est le poids des monopoles qui prédominent en Russie : dans plusieurs domaines, dont celui de la viande, les fournisseurs ne sont pas nombreux, ce qui empêche d’avoir une concurrence saine. Et cette lacune devrait être comblée, juge-t-il.

Des aliments russes à la saveur française

Outre les plats de la cuisine traditionnelle, Eric propose aux clients ses propres mets cuisinés à partir des produits du terroir et dit faire découvrir aux Russes une nouvelle palette gustative d’aliments connus, mais souvent non appréciés.

« J'ai fait découvrir tant de choses aux Russes, alors que ce sont des produits qu'ils ont comme le sandre, la rhubarbe qu'à l'époque j'avais mise en place dans un carpaccio, les navets et d’autres légumes », indique-t-il.

Certes, il existe des mets russes cuisinés à base de ces produits. Or, ce qui distingue la cuisine française c’est qu’elle accorde une importance au goût originel des aliments, dit Eric Le Provos.

D’ailleurs, lui-même ne cesse de découvrir de nouveaux aliments et n’hésite pas d’expérimenter avec eux. « Mon poissonnier m’a fait découvrir le mulet local. En France ce poisson du port n’est pas apprécié, mais là, en Russie, c'est un autre, celui de mer. Je l'ai essayé et j’ai été très étonné. J'ai mis trois plats avec ce poisson, carpaccio, tartare et mulet à la plancha avec une petite ratatouille. Et ça plait. Aujourd’hui on est à 200 kg de poissons par mois, ce qui est énorme pour un bistrot de 40 places », poursuit-il.

Mais l’échange avec les fournisseurs va dans les deux sens : « Pour la viande, je travaille avec la deuxième plus grosse société de viande en Russie qui propose des produits de très bonne qualité, ce qui m’a permis de proposer des pièces de viande qu’on n’avait pas à l’époque ici à Moscou – de la bavette, qui est maintenant très appréciée. Le fournisseur cherche à m’en trouver d’autres pièces ce qui est un pas en avant, parce qu’ils ont commencé à comprendre en regardant les Français qu’au lieu de donner certaines parties de bœuf pour les côtelettes on pouvait trouver leur trouver un marché ici ».

Eric Le Provos est convaincu que son approche permet d’opérer progressivement un partage aussi bien avec le client qu’avec les fournisseurs, un échange qui ne peut qu’être enrichissant à tous les niveaux, conclut-il.

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