La Russie a introduit des contre-sanctions en réponse à celles décrétées à son encontre par l’UE et les États-Unis. Moscou a décidé le 6 août 2014 un embargo sur les produits alimentaires provenant de pays ayant adoptés des sanctions contre la Russie.
« Je considère qu’il est indispensable d’analyser rapidement les possibilités de remplacer de façon compétitive les produits importés dans l’industrie et le secteur agricole. De plus, nous mettrons en place tout un système de soutien aux industries nationales », annonçait Vladimir Poutine en juin 2014.
Selon les analystes de l’agence de notation Moody’s, la substitution des importations en Russie ne fonctionne que pour la production alimentaire. « Il n’existe aucun signe clair que la substitution aux importations stimule la production domestique », affirme le rapport intitulé Global Macro Outlook, publié le 17 août 2015. Le seul secteur sur lequel le programme de substitution des importations fonctionne bien est l’agriculture, note l’agence.
Une étude réalisée par l’Académie Présidentielle Russe d’Économie Nationale, l’Institut Gaïdar et le Ministère du Développement Économique, montre que la substitution aux importations a d’ores et déjà augmenté les revenus des agriculteurs.
Au premier trimestre 2015, les bénéfices nets des compagnies agricoles russes atteignaient 91,3 milliards de roubles (1,27 milliard d’euros), contre 32,3 milliards de roubles (442 millions d’euros) l’année passée, soit une multiplication par 2,82. Cette augmentation de la production se retrouve sur tous les produits alimentaires de base : la viande (6,4%), le lait (0,9%), les œufs (1,7%) par rapport à la même période de l’année dernière.
En revanche, la production de certains produits diminue. La comparaison des données de production de viande et de lait illustre ceci de façon frappante. D’après les données du Service fédéral russe des statistiques (Rosstat), au premier trimestre 2015, l’importation de viande et de produits à base de viande a diminué de 54% par rapport au premier trimestre 2014, alors que dans l’ensemble, la production importée est remplacée par de la production domestique. Dorénavant, la part de marché des produits à base de viande fabriqués en Russie atteint 97%.
À titre de comparaison, sur la même période, la production de lait n’a augmenté que de 34 000 tonnes, ce qui représente moins de 3% du volume des importations interrompues, qui ont chuté de 75%. Cela signifie que l’industrie laitière subit un lourd déficit de matières premières et ne parvient pas à compenser la chute des importations.
Les importations de fromage ont été divisées par 9,4 entre juillet 2014 et juillet 2015 pour atteindre 41 000 tonnes, alors que le volume de production nationale n’a crû que de 22,6%.
Hormis l’agriculture, d’autres secteurs devraient en principe bénéficier du protectionnisme, soulignent les analystes de Gazprombank. Selon eux, la production des sociétés nationales d’industrie lourde, d’aérospatiale et d’aéronautique conserve un niveau de compétitivité élevé sur le marché global.
Le soutien à la production nationale se fait aussi à travers la lutte contre la contrebande de nourriture en provenance des pays sous embargo. Depuis le 6 août, les autorités russes prennent le taureau par les cornes et n’hésitent pas à détruire les produits confisqués à la frontière et concernés par l’embargo russe.
Ces derniers mois, peu de décrets signés par le président russe Vladimir Poutine ont suscité une polémique aussi forte. L’encre du décret n’était pas encore sèche que déjà les bulldozers écrasaient les têtes d’oies et meules de fromage importées clandestinement.
Dès que les autorités vétérinaires se sont lancées dans une chasse aux denrées interdites à l’importation, une vague de protestations a grondé sur l’Internet, car certains produits alimentaires détruits étaient autorisés d’un point de vue technique. Mais les autorités se sont montrées intraitables.
Lorsque l’Union européenne a décidé de prolonger les sanctions à l’encontre du pays, Moscou a répliqué début août par un renforcement de son embargo.
Crédit : Gaia Russo
Des produits mis à l’index et confisqués à la frontière russe - en majorité importés de l’UE - ont été voués à la destruction. C’est ainsi que l’on lutte contre des importations illégales de produits issus des pays frappés par l’embargo.
Par la même occasion, l’Albanie, le Monténégro, l’Islande, le Liechtenstein et l’Ukraine ont été ajoutés à la liste des pays dont les exportations sont concernées par ces mesures d’interdiction. En revanche, les particuliers ont toujours le droit d’importer des denrées alimentaires pour leur consommation personnelle.
Tous les moyens sont bons pour détruire des chargements entiers de camions, tant que l’on respecte les normes environnementales. Les autorités ne cherchent pas uniquement les denrées prohibées aux frontières du pays, mais aussi sur l’ensemble du territoire russe, jusque dans les hangars et les rayonnages des supermarchés ou des détaillants.
D’après les services des douanes russes, 552 tonnes de denrées interdites ont été ainsi détruites par les autorités compétentes au cours du premier semestre 2015. Le vice-Premier ministre russe Arkadi Dvorkovich a fait savoir qu’au cours des derniers mois, on avait officiellement recensés entre 700 et 800 violations de l’embargo sur les denrées alimentaires. Selon lui, 44,8 tonnes de marchandises prohibées ont été confisquées dans les magasins.
Crédit : Gaia Russo
La destruction des produits d’importation a commencé le 6 août, date d’entrée en vigueur du décret. Elle a touché d’abord une livraison à la frontière russo-ukrainienne, où 10 tonnes de fromage d’origine inconnue furent saisies.
Peu de temps après, ce fut le tour d’un camion frigorifique transportant 1,5 tonne de tomates illégales, découvertes dans la région de Pskov, à la frontière occidentale du pays. Un porte-parole des autorités de contrôle agricoles a précisé que le plus souvent, les denrées sont incinérées.
Certaines marchandises sont transportées dans des décharges pour déchets solides et broyées à l’aide de machinerie lourde.
L’analyste en chef de la société d’investissements UFS, Timour Nigmatoulinne, souligne l’impossibilité de mettre en œuvre l’embargo dans son intégralité : « C’est dû aux particularités de la législation supranationale et aux règlements douaniers en vigueur au sein de l’Union eurasiatique ».
Ainsi, le Biélorussie, qui fait partie de l’Union douanière avec la Russie, n’a pris aucune sanction envers l’Union européenne. Or, il n’existe aucun contrôle douanier entre la Russie et ce pays.
La plupart des Russes ne comprennent pas pourquoi les denrées d’importations doivent être détruites. D’après un sondage du Centre Levada, 48% de la population est opposée au décret ; seul 40% s’y déclare favorable. 41% des sondés préfèreraient voir les importations clandestines transférées aux orphelinats, aux foyers pour sans-domicile fixe ou encore à des retraités dans le besoin, des personnes handicapées ou des familles nombreuses.
27% des personnes interrogées suggèrent de faire don des marchandises illégales à des œuvres caritatives. 24% des sondés sont quant à eux favorables à l’envoi des denrées confisquées dans le Donbass en proie à un conflit, et 12% proposent de les expédier dans les pays africains souffrant de famine.
De fait, l’indignation de la population est palpable. 250 000 personnes ont signé une pétition contre la destruction des produits. À Novossibirsk, capitale de la Sibérie, le parti d’opposition Iabloko a manifesté contre le décret. L’association de défense des consommateurs a même déposé un recours en justice contre la décision gouvernementale auprès de la Cour suprême de Russie.
Dans une interview accordée au webzine Gazeta.ru, le directeur des autorités de contrôle agricoles Sergueï Dankvert a répondu fermement qu’une redistribution aux nécessiteux était trop hasardeuse. Selon lui, une telle pratique encouragerait la corruption.
Face à ceux qui dénoncent un gaspillage, il répond : « Le système fonctionne comme cela partout dans le monde : si des documents douaniers sont falsifiés ou l’origine des produits est inconnue, il faut détruire ces derniers ».
Les dirigeants russes se sont justifiés par un souci sanitaire.
Pour Dmitri Peskov, porte-parole de Vladimir Poutine, « il s’agit de produits de contrebande sans certificats d’authenticité. Personne ne peut garantir que ces denrées ne soient pas nocives pour la santé, même si elles ont l’air délicieux ».
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