Moscou n’a pas l’intention de payer l’ex-actionnaire de Ioukos

Crédit : AP

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La Russie a officiellement déclaré que le tribunal arbitral de La Haye « n’était pas la juridiction adéquate » pour l’examen de la plainte des anciens actionnaires de la société pétrolière Ioukos. Les experts pensent que le montant de la plainte est trop élevé, et sont certains que Moscou fera appel.

« Le tribunal arbitral n’était pas en droit d’examiner le désaccord sur le fond, puisqu’il manque pour cela une base juridique : la Russie n’a pas donné son accord pour un arbitrage pour la procédure de contentieux », a déclaré le 12 août à ITAR-TASS le vice-ministre des Affaires étrangères de Russie Vassili Nebenzia.

Rappelons qu’à la suite d’une décision du tribunal arbitral de La Haye, la Russie doit payer une compensation aux anciens actionnaires de Ioukos d’un peu plus de 50 milliards de dollars pour la banqueroute et la vente des actions de la compagnie.

Selon le fonctionnaire, les questions faisant l’objet d’une procédure à La Haye, sont considérées par la législation russe comme compétence exclusive des tribunaux nationaux de la Fédération de Russie. Le contentieux entre les ex-actionnaires de Ioukos et la Fédération de Russie a été soumis à l’étude du tribunal arbitral sur la base de l’Accord de la Charte énergétique du 17 décembre 1994, qui a été signé mais non ratifié par la Russie. 

La somme compensatoire réclamée suscite des doutes tant chez l’assistant du chef du MAE de la Fédération de Russie que chez les experts. Les plaignants ont considéré qu’ils ont perdu des investissements, mais également qu’ils n’ont pas reçu les bénéfices d’une somme de 114,2 milliards de dollars. Les experts du côté des accusés ont avancé un chiffre deux fois moindre : 61,1 milliards de dollars. Au final, le tribunal a choisi le chiffre de dommages qu’ont avancé les trois plaignants : 66,7 milliards de dollars. Le chiffre est obtenu sur la base d’un coût hypothétique estimé du capital d’actions de Ioukos au 30 juin 2014 (42,6 milliards dollars), les dividendes estimés et un pourcentage de ce que n’ont pas obtenu les plaignants (52 milliards de dollars), en tenant compte du fait que la part des plaignants dans le capital équivalait à 70,5%. D’autre part, le tribunal a réparti la responsabilité entre les accusés et les plaignants dans la banqueroute de Ioukos dans une proportion de 75/25, au final on obtient un peu plus de 50 milliards de dollars.

D’après Arthur Zourabian, responsable de la pratique des arbitrages internationaux de la société ART DE LEX, une telle proportion d’accusations suscite des questions. « L’Etat russe est accusé dans les faits seulement dans une approche partiale (« tout le Monde a enfreint la loi, mais seulement Ioukos est condamné ») et d’infractions dans des questions de procédures distinctes (délais, conduite des négociations, etc.) », a-t-il fait remarqué. D’ailleurs, le tribunal de La Haye a reconnu les infractions dans les activités de Ioukos, incluant la fraude fiscale et l’utilisation de modèles « gris ». « Même si on prend pour hypothèse que ladite approche « partiale » et les infractions de procédure aient eu lieu, qui ferait l’objet d’une étude distincte, alors dans ce cas, la compensation ne correspond clairement pas au caractère de l’éventuelle infraction vis-à-vis des actionnaires de Ioukos, puisque la somme indiquée dans le jugement est de facto comparable aux capitalisations des grandes compagnies russes des secteurs gazier et pétrolier », a fait remarquer l’expert.

D’après Monsieur Zourabian, Moscou peut déjà déposer une contestation prochainement. « La Fédération de Russie peut adresser une demande de changement ou d’annulation de cette décision au tribunal d’Etat compétent du royaume de Pays-Bas, qui dans ce cas sera la Cour de District de La Haye. Comme le mentionnent les articles 1064 et 1068 du Code de procédure civile du Royaume des Pays-Bas, les délais pour de tels types d’action sont de trois mois à partir de la date du dépôt du jugement d’arbitrage dans la Cour de district en question. Par ailleurs, il est peu probable que la partie russe attende l’écoulement d’un tel délai », fait-il remarquer.

Comme le font remarquer les juristes interrogés, le jugement de la plainte des ex-actionnaires de Ioukos paraissait hautement engagé politiquement, et les contentieux sur l’affaire de la compagnie pétrolière peuvent s’éterniser de longues années.

D’autre part, les opinions des experts s’accordent sur le fait que Moscou ne décidera probablement pas d’indemniser les victimes. Selon Dmitri Polevoï l’économiste principal d’ING Group pour la Russie et la CEI, ces dépenses seront des charges graves pour le budget de l’Etat russe. « C’est une grosse somme, environ 2,5% du PIB de la Fédération de Russie. Du point de vue de la dette de l’Etat c’est encore plus terrifiant : c’est à peu près autant, d’après les pronostics, que la hausse de la dette en deux ou trois ans. En principe, la Russie peut prendre de l’argent dans le Fonds de réserve, mais il se réduirait remarquablement », a fait remarquer l’expert. Au 1er août, le volume du Fonds de réserve de la Fédération de Russie était de 64 milliards d’euros (près de 83 milliards de dollars). 

D’ailleurs, les plaignants ont l’air décidé : si Moscou refusait de payer, ils veulent obtenir une confiscation des actifs russes à l’étranger. Selon Zourabian, « il peut s’agir, avant tout, d’objets d’art appartenant à la Fédération de Russie comme personne juridique, qui se trouvent sur le territoire d’Etats étrangers (par exemple, dans le cadre d’expositions). En outre, la technologie aéronautique présentée dans les salons d’aviation, peut tomber sous le coup de la confiscation. Les comptes de la Banque Centrale de la Fédération de Russie peuvent également se trouvent sous la menace, bien que du point de vue du droit russe, qui sur cette question se base sur le droit international, la Banque de Russie n’est pas responsable de la dette de la Fédération de Russie. Et les biens des établissements consulaires et des ambassades sont protégés par des conventions internationales. »

D’ailleurs, confisquer les biens russes ne sera probablement pas si simple. « Il n’y a pas dans la pratique mondiale un tel type de précédent. Dans le cas présent, cette décision est encore une première dans le fait que les droits de plaintes de l’actionnaire a été renouvelé dans le détails, quand la compagnie elle-même n’existe déjà plus », déclarait Zourabian. Selon lui, ce ne sont pas seulement les décisions mais aussi leur application qui peuvent être très lié à la situation politique. « Si on regarde le jugement ajouté aux sanctions vis-à-vis de la Russie et des entités russes de droit, cela coïncide étrangement au niveau des dates, alors on peut penser que l’application sera également liée à la politique de sanctions contre la Russie », a fait remarquer l’expert.  

 

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