Deux grands axes se dégagent dans les parutions de l’année et donnent le sentiment d’une littérature qui rend compte d’une Russie en quête de son identité, à travers, d’une part, l’orthodoxie et, d’autre part, un des moments fondateurs de la Russie contemporaine, la grande guerre patriotique.
On note le renforcement d’une tendance : l’importance grandissante accordée aux textes qui ont trait à la religion, avec pour chef de file, les éditons des Syrtes, qui publient notamment deux textes qui se font écho et réjouiront le cercle étroit des lecteurs de Vassili Rozanov, penseur à la fois orthodoxe et scandaleux, qui a influencé les intellectuels de son temps et révolutionné l’écriture : Dernières feuilles de Rozanov et, Koukkha le tombeau de Rozanov d’Alexeï Remizov qui construit, en reprenant la forme du collage de documents divers de Rozanov, la sépulture du penseur.
Même la littérature contemporaine vient se plonger aux sources du christianisme russe, dans les racines de la Russie ancienne, avec Les quatre vies d'Arséni : roman non historique (Fayard) d’Evgueni Vodolazkine, récompensé en 2013 par le prix Bolchaïa Kniga (Le grand livre), qui tout en s’inscrivant dans le genre de la chronique, le refonde avec brio. Ce roman proche de la fable, emmène le lecteur à travers la Russie de la 2e moitié du XVe siècle, que la grande peste ravage, pour suivre un héros tour à tour herboriste, médecin, exorciste, en quête de sainteté.
Le second axe est celui de la grande guerre patriotique compte trois ouvrages écrits par des témoins directs de la tragédie. Deux romans puissants mettent en scène des jeunes gens pris dans le tourbillon absurde et cruel de la guerre : Viens et Vois du Biélorusse Ales Adamovitch, (Piranha), et La joie du soldat, de Victor Astafiev, (le Rocher) l’un des plus grands prosateurs russes de la fin du XXe siècle, auxquels vient s’ajouter Le journal de Maria: une institutrice soviétique dans la guerre : 1941-1943 de Maria Germanova, (Autrement).
Notons parmi les nombreux livres qui échappent à ces deux axes, trois ouvrages très différents qui rendent compte de la grande diversité de la production littéraire en russe. Tout d’abord, le très beau livre publié par les Éditions Allia Les écrits de Kazimir Malévitch où l’on découvre que l’auteur du Carré blanc sur fond blanc, peintre fondateur du suprématisme, est peut-être surtout un théoricien. Ses écrits, rassemblés et traduits par Jean-Claude Marcadé regroupent ses cours, ses traités et ses manifestes, ils permettront au lecteur de comprendre le cheminement du père de l’Avant-garde russe et son influence sur la peinture du XXe siècle.
Elena Botchorichvili poursuit quant à elle sa route singulière, l’écrivaine géorgienne installée au Québec, revient avec un bref roman, Belle vie (Naïve), qui raconte l’amitié improbable, pleine de poésie et de pudeur, de deux hommes, un vieux chanteur russe qui s’achemine vers la mort et un jeune fermier niçois qui cherche sa vie. Ensemble ils se déplacent de ville en ville, achètent et revendent des hôtels qu'ils nomment toujours « Belle Vie », car au delà des souvenirs douloureux, des pertes, des cheminement la quête ultime est celle du bonheur. À son habitude Elena Botchorichvili conduit une narration syncopée, pleine d’évocations, de non-dits, de dialogues décalés qui ravira le lecteur par sa légèreté.
Saluons enfin la sortie de La conjuration des anges, (Gallimard) troisième roman d’Igor Sakhnovski qui creuse son sillon loin des enjeux sociétaux et politiques qui passionnent ses compatriotes. Au départ, une bévue divine « Au risque de rompre un pacte honteusement silencieux autour d’une bévue divine, je souhaiterais évoquer ici la première épouse d’Adam, dont les droits, plus invisibles que des rayons X, demeurent à ce jour universellement bafoués. » Déclinant le mythe à travers des histoires de femmes qui s’enchevêtrent dans des époques et des lieux différents, de Lilith à Eurydice, en passant par Anne Boleyn ou Jeanne la Folle, reine de Castille et d’Aragon, Sakhnovski met en scène des héroïnes qui partagent le même désir farouche d’être maîtresses de leur vie. Mais il réalise aussi l’exploit de poser la vie de son narrateur au centre de cette trame lui donnant ainsi une toute autre résonnance.
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