Andreï Makine : à la charnière de deux cultures

Andreï Makine Crédit : Opale/East News

Andreï Makine Crédit : Opale/East News

Devenu célèbre après la sortie de son "Testament français", Andreï Makine publie aujourd'hui son treizième roman "Une femme aimée".

Au milieu des années 90 Andreï Makine faisait une entrée fulgurante dans le panorama des lettres françaises avec Le Testament français, qui reçut en 1995 le prix Goncourt, le prix Médicis et le Prix Goncourt des Lycéens. Depuis, il a reçu le prix RTL-Lire pour La Musique d'une vie, le prix de la Fondation Prince Pierre de Monaco pour l'ensemble de son œuvre et divers prix étrangers. Il nous a donné aussi des livres essentiels : La femme qui attendait, L’amour humain, L’histoire d’un homme inconnu, Le livre des brèves amours éternelles.

De lui on sait peu de choses et il ne se livre pas volontiers, éludant systématiquement jusqu’à toute tentative de pointer des échos autobiographiques dans son œuvre. Oui, il a eu une enfance baignée par la langue française, celle de sa grand-mère qui l’a élevé. Une enfance sibérienne, il est né en le 10 septembre 1957 à Krasnoïarsk. Des blessures profondes sans doute… absence des parents, déportés peut – être, l’orphelinat dont on imagine la dureté dans les années 60. Après des études de lettres à Moscou où il soutient une thèse sur la littérature française, il arrive en 1987 à Paris pour enseigner. Il demande l’asile politique, fait une thèse sur Ivan Bounine. Suivent des années d’extrême pauvreté jusqu’à la publication de la Fille d'un héros de l'Union soviétique, puis après maints refus, du Testament français qu’il présente comme une traduction.

Comme beaucoup de ses héros Andreï Makine campe à la charnière du siècle, entre deux Russies que tout oppose, entre deux cultures, nous offrant d’un côté l’accent rocailleux et la stature d’un bûcheron sibérien, de l’autre une des plumes les plus raffinées de la littérature française. D’un côté Requiem pour l’Est de l’autre Cette France qu’on oublie d’aimer.

C’est grâce à un autre pseudonyme, Gabriel Osmonde, sous lequel il a publié plusieurs romans, Le Voyage d’une femme qui n’avait plus peur de vieillir, Les 20.000 Femmes de la vie d’un homme, Alternaissance, qu’il échappe à cette problématique duelle, tout en continuant sa quête spirituelle, dans le deuxième versant d’une œuvre, empreint d’un optimisme dont Makine n’est pas coutumier.

Andreï Makine publie aujourd'hui son treizième roman.Une femme aimée, l’histoire d’une petite princesse protestante allemande mariée à 15 ans au futur Pierre III et qui devint la Grande Catherine, impératrice de toutes les Russies sur laquelle le cinéaste Oleg Erdmann écrit un film. Étrange figure que cette femme, amie des philosophes français, qui fit de son pays une puissance économique et défraye la chronique par ses appétits sexuels. Ses amants sont nombreux, les détails croustillants.

A travers le travail d’Oleg et ses tentatives de cerner le personnage de Catherine, Andreï Makine peut multiplier des angles, les points de vue et les éclairages sur Catherine. En convoquant diverses époques et le regard de leurs représentants sur le personnage, il peut créer une profondeur de champ qui permet de donner au personnage plus d’épaisseur. Il fait aussi le choix, récurrent, de prendre le lecteur à contre pied : Catherine et les mœurs de  la Russie qu’elle gouverne ne sont pas plus cruelles que celles de la France des révolutionnaires. L’époque soviétique, malgré la censure politique a produit les films de Tarkovski, qui « prenait des postures accablées, on aurait dit un bagnard de la Kolyma… dans son terrible exil de Venise, où il vivait accueilli par de généreux mécènes »,dit Jourbinele producteur d’Oleg.

Mais au-delà de l’être social, au delà des gesticulations et de la mascarade de l’Histoire, la vérité des êtres palpite, dans un endroit intime et fragile comme la vie que l’on voit battre sous la veine, dans le regard aimant de l’être aimé. C’est le souvenir d’Oleg d’une étreinte fugace dans un petit matin d’hiver qui arrache Zoïa sa voisine disparue au néant et c’est l’amour sincère et désintéressé de Lanskoï qui nous dira la vraie Catherine.

Dans le cadre d'une utilisation des contenus de Russia Beyond, la mention des sources est obligatoire.

Ce site utilise des cookies. Cliquez ici pour en savoir plus.

Accepter les cookies