Victor Pelevine Source : service de presse
Pelevine scrute le présent en observant tous les plis de la vie russe. Mais, au lieu de chroniques historiques ou de petites chansons satiriques sur l’actualité, il insère des constructions théologiques de l’antiquité dans les sujets de ses livres. Ils sont tous construits sur le même fondement philosophique : le monde environnant correspond à une kyrielle de constructions artificielles où nous sommes condamnés à errer éternellement à la recherche stérile de la réalité « crue » et primitive.
Aucun de ces mondes n’est authentique, mais tant qu’il y a des gens pour y croire, on ne peut pas non plus dire qu’ils soient factices. Chaque version du monde existe seulement dans notre âme et la réalité physique ne connaît pas de mensonge. Ainsi, l’œuvre de Pelevine Tchapaïev i poustota (publiée en français sous le titre de La mitrailleuse d’argile), la première nouvelle bouddhiste zen russe, se dresse contre l’impossibilité de distinguer la réalité réelle de la réalité inventée.
La formule par laquelle se créent ces mirages provient des variations que l’auteur fait des mesures et de la construction du « viseur » : le cadre de la fenêtre depuis laquelle son personnage regarde le monde. Toute la pertinence provient des rebords, de la frontière entre les différents mondes, parce que Victor Pelevine est le poète, le philosophe et le chroniqueur de la zone frontière.
On s’installe dans les jointures des réalités. C’est à l’endroit où elles convergent qu’émergent des effets artistiques brillants parce qu’un tableau du monde, en se chevauchant avec un autre, crée un troisième monde différent des deux mondes antérieurs. Ecrivain de la rupture entre les époques, Pelevine a l’habitude de peupler ses textes de personnages qui habitent dans deux mondes à la fois. Les fonctionnaires soviétiques du récit Le prince du Gosplan vivent au même moment dans un ou deux jeux vidéos.
Lumpen, du récit Une journée d’un conducteur de bulldozer, s’avère être un espion américain, le paysan chinois de la région du Sichuan, le chef du Krelim et un étudiant soviétique se convertit en loup.
La frontière entre les deux mondes est inaccessible et l’on ne peut pas traverser car ces mêmes mondes, comme l’affirme l’auteur bouddhiste, sont seulement une protection de notre conscience.
L’unique manière de passer d’une réalité à l’autre est de se transformer soi-même, de supporter une métamorphose. La capacité de réussir cette transformation constitue la condition pour survivre au saut vertigineux entre des réalités fantômes qui se substituent arbitrairement les unes aux autres.
En composant des légendes et des mythes de la nouvelle Russie, Pelevine a fusionné les frères Strougatski à Lem pour, à son tour, se multiplier par Borges.
L’imagination satirique qui découle de ce schéma produit continuellement des sujets vénéneux, divertissants et éternellement créatifs qui accompagnent et se démarquent de la réalité que l’on trouve dans les journaux. Pourtant, les questions sociales n’épuisent jamais la prose de Pelevine. Derrière une contemporanéité convulsive se laisse entrevoir un ciel éternel, un ciel vers lequel tous les personnages de Pelevine aspirent à se frayer un passage.
Les aventures d’une conscience errante à la recherche d’une Vérité qui ne peut être, mais qu’il faut proférer, structurent précisément le thème intrinsèque et constant de ses compositions. Se cache aussi en lui une mystérieuse tentation : comme beaucoup d’autres, Pelevine voit tout, sait tout, ne croit en rien et pourtant il n’écrit pas d’œuvres morbides.
A la place, citant ici Platon, il affirme que, derrière la réalité extérieure, qui dans le meilleur des cas offre la perspective de « poser à côté du pot d’échappement d’une Porsche rouge brillante », il existe une réalité différente. Quoi que ce soit, quel que soit le nom qu’on lui donne, les espoirs placés dans cette réalité différente constituent le meilleur cadeau pour ces lecteurs fidèles qui, à l’instar de tous les personnages de Pelevine, « désirent seulement quelque chose de merveilleux, quelque chose pour tout changer ».
Pelevine est entré avec succès dans la littérature occidentale, et il ne l’a pas fait par la porte de la slavistique. En Angleterre, aux Etats-Unis, en France et, avec une attention toute particulière, au Japon, il est lu comme un auteur contemporain, et non comme un auteur russe.
Les réalités de la vie soviétique ne lui ont pas constitué un obstacle pour réussir, même pas dans Le petit doigt de Bouddha, roman peu connu en Occident. Les traductions de ses nouveaux livres placent Pelevine, à l’instar de Pavic ou de Murakami, dans le même groupe des maîtres d’un réalisme velléitaire qui rendent vivable la réalité du XXIè siècle.
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