L'Altaï s’ouvre sur l'extérieur

Perdu pendant des siècles dans les gorges montagneuses entre le Kazakhstan, la Chine et la Mongolie, l’Altaï abrite le plus haut mont de Sibérie, le Mont Belukha. Crédit : Emmanuel Grynszpan

Perdu pendant des siècles dans les gorges montagneuses entre le Kazakhstan, la Chine et la Mongolie, l’Altaï abrite le plus haut mont de Sibérie, le Mont Belukha. Crédit : Emmanuel Grynszpan

Dans le monde d’aujourd’hui, infiniment interconnecté, ceux qui s’aventurent dans la république de l’Altaï, tout au Sud de la Sibérie, découvrent le comble du luxe : vivre quelques jours sans internet et sans téléphone portable.

Lors d’un récent voyage dans cette région, j’étais déconnecté de mon bureau. En échange, je pouvais contempler le silence des forêts de cèdres, la grâce des chevaux sauvages gambadant dans les prairies alpines et la beauté des rivières gorgées de glaciers qui fendent les montagnes accidentées de l’Altaï.

Perdu pendant des siècles dans les gorges montagneuses entre le Kazakhstan, la Chine et la Mongolie, l’Altaï abrite le plus haut mont de Sibérie, le Mont Belukha. Pour certains visiteurs bouddhistes, Belukha serait le jumeau de Shambhala, cette « Terre pure » mythique de paix, tranquillité et bonheur.

Avec ses sommets de 4500 mètres et ses vallées escarpées, l’Altaï a toujours été le bout du chemin. Absorbés par la Russie tsariste il y a 250 ans pour définir une frontière entre l’empire russe et la Chine, les peuples des montagnes de l’Altaï n’ont jamais été inquiétés. À ce jour, la région est l’une des rares, parmi les 83 régions russes, à ne pas être traversée par une voie ferrée.

L’isolation du « Tibet russe » a pris fin cette année quand les ingénieurs ont terminé la construction d’une nouvelle piste d’atterrissage à l’aéroport de Gorno-Altaïsk, la capitale de 60 000 habitants de la république. En juin, S7 Airlines a lancé des vols directs depuis Moscou.

Au sol, les ouvriers ont enfin achevé de goudronner la piste Chouïski, une route de 600 km de long. Désormais, une bande lisse d’asphalte court de la capitale jusqu’à la frontière de la Mongolie, après laquelle, la route redevient une piste de terre battue.

La route principale de la république se faufile entre les montagnes déchiquetées de l’Altaï-Sayan. Dans les langues turques et mongoles, « Al-tai » veut dire « montagnes dorées ». À la mi-septembre les mélèzes explosent comme d’immenses feux d’artifice sur fond de cèdres d’un vert profond. Aujourd’hui, les montagnes dorées sont classés héritage mondial par l’UNESCO parmi neuf sites naturels russes.

Les hauteurs sont la demeure des moutons Argali, les plus gros moutons de montagne au monde. Un bélier peut peser jusqu’à 182 kilos, dont 28 kilos de cornes en tire-bouchon.

Les villageois accueillent proposant aux touristes des randonnées à cheval dans les montagnes. Crédit : Alamy/Legion Media

Et tout en haut de la chaîne alimentaire rôdent les léopards des neiges. Bien adaptés à l’altitude, ils possèdent de larges pattes, pour marcher dans la neige, un pelage épais résistant au froid et de grosses queues, très longues, pour se réchauffer le visage dans leur sommeil. Créatures secrètes et solitaires, les léopards sont les maîtres du camouflage. Ils ne manifestent leur présence que lorsqu’il est trop tard, et tuent leur proie avec une unique morsure décisive au cou.

Les Argali et les léopards des neiges vivent au sommet du monde, un univers de haute altitude qui s’étire en un large croissant, du sud de l’Altaï, vers l’est de l’Himalaya et le Tibet. Ces deux gros mammifères sont des espèces en voie de disparition. Dans l’Altaï, ils ont peut-être une chance de survivre.

Un quart de la république est protégées par des réserves naturelles, surtout les forêts montagneuses. La république de l’Altaï fait la taille de la Hongrie, mais n’abrite que 206 000 habitants, soit 2% de la population hongroise.

Les Russes et les ethnies de l’Altaï voient leur avenir de plus en plus lié au marché de l’éco-tourisme. En rentrant à Moscou, j’ai été étonné d’apprendre que deux riches amis expats, qui n’ont rien de New Agers à la recherche de Shambhala, se sont pourtant récemment rendus dans l’Altaï pour des vacances nature.

Un changement démographique est également en cours. Comme dans de nombreuses régions aux franges du cœur slave de la Russie moderne, les peuples autochtones de l’Altaï semblent être sur la voie de redevenir majoritaires sur les terres de leurs ancêtres.

Aujourd'hui les peuples natifs composent 44% de la population de l'Altaï. Crédit : Vera Undritz

Sous Staline, l’Altaï, à l’instar de nombreuses régions éloignées dans l’empire soviétique, était une destination d’exil intérieur. Volens nolens les russes ethniques transférés ici ont endossé le rôle de colonisateurs. Au recensement de 1939, les peuples natifs ne composaient que 29% de la population locale.

Mais le recensement de 2010 montre que la taille de la population russe de l’Altaï n’a pas varié depuis 1939, 115 000 personnes, tandis que les autres groupes ethniques représentent aujourd’hui 44% de la population. Vers les années 2020, ils devraient redevenir majoritaires.

Une renaissance culturelle est perceptible dans les villages. À deux reprises, notre groupe de voyageurs a pu écouter des chanteurs de gorge, des bardes traditionnels et des poètes épiques, qui ont, comme dans la Mongolie voisine, retrouvé popularité et statut social dans la Russie postsoviétique.

Dans le cadre de programmes de soutien de la WWF et de la Citi Foundation, les villageois ouvrent leurs maisons aux touristes, en les accueillant avec des bols de lait de brebis, proposant des randonnées à cheval dans les montagnes, et vendant des souvenirs fabriqués avec la laine des moutons du coin.

Sur les routes de montagne, on peut observer la résurgence de la « foi blanche », Ak Jang. Réprimée par les tsars puis par le régime soviétique, cette croyance chamanique est entrelacée, au XXe siècle, avec l’identité ethnique de l’Altaï. Il n’est pas rare de croiser des bosquets de cèdres qui semblent avoir été frappés par le blizzard. De plus près, on voit qu’il s’agit de milliers de lambeaux de tissu porte-bonheur attachés aux branches.

James Brook est le chef du bureau de Moscou de Voice of America.

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