L'économiste en chef de l’AIE sur l’industrie pétrolière de Russie

Fatih Birol, économiste en chef de l’Agence internationale de l'énergie. Crédits photo : Reuters/Vostock/Photo

Fatih Birol, économiste en chef de l’Agence internationale de l'énergie. Crédits photo : Reuters/Vostock/Photo

« La Russie doit assurer à l'industrie pétrolière 700 milliards de dollars d’investissements et un traitement fiscal favorable : c’est la seule façon d'éviter une violente baisse de la production », met en garde dans une interview exclusive accordée au site Gazeta.ru Fatih Birol, économiste en chef de l’Agence internationale de l'énergie.

L'Agence internationale de l'énergie (AIE) a abaissé sa prévision de demande de pétrole. A quoi est-ce dû ? Trouvez-vous les cours déraisonnablement élevés ?

Le niveau actuel des prix est dans la zone dangereuse. Dangereuse pour l’économie mondiale

La récession en Europe et l'attention de la communauté internationale concernant les ambitions nucléaires de l'Iran ne peuvent-elles pas, toutefois, entraîner une baisse des cours du pétrole ?

Le revers de la médaille comporte de nombreux facteurs qui pourraient réduire la pression sur les prix à court terme. Certains sont la détérioration des indicateurs macroéconomiques dans la zone euro. D’autres sont liés au rétablissement de l'approvisionnement en provenance de Libye et à l'augmentation de la production de pétrole aux États-Unis. Je ne prétends pas prédire la direction que prendra le marché mondial du pétrole. Tout dépendra de la relation entre ces facteurs. A court terme, l'incertitude concernant les prix persistera.

Dans le rapport World Energy Outlook, nous évaluons les facteurs qui déterminent la dynamique à plus long terme. Dans cette veine, la hausse du marché automobile dans les pays en développement est très importante pour le marché pétrolier. Nous nous attendons à ce qu'au cours des 25 prochaines années, il y ait dans le monde 1,7 milliard de voitures. Cela ne signifie pas que la demande de pétrole va doubler, car l’effet est atténué par le passage des transports au carburant alternatif ou, au minimum, l'utilisation de technologies énergétiques efficaces. Mais le parc automobile est de toute façon très important pour la dynamique des prix du pétrole à l'avenir.

Autre facteur : chaque baril de pétrole qui à l’avenir arrivera sur le marché sera obtenu par les producteurs avec une difficulté croissante, et sera donc plus cher. Il y a plusieurs années que je répète que l’ère du pétrole bon marché est révolue.

Le modèle de « marché ouvert » peut-il s’appliquer au secteur énergétique ? Ou cette industrie sera-t-elle toujours protégée par des barrières protectionnistes ?

Des marchés de l'énergie solides sont la meilleure façon d'assurer la sécurité de l'approvisionnement et de soutenir la croissance économique mondiale. Une telle opinion est partagée par tous les pays membres de l'Agence internationale de l'énergie. Bien sûr, vous ne pouvez pas confier toutes les nuances de l'industrie à la fonction autorégulatrice du marché. La pratique régulatrice est très importante, surtout pour protéger l'environnement et limiter le changement climatique.

Les compagnies russes devront-elles modifier leur modèle d’affaires pour conserver le marché européen ?

Toute entreprise opérant sur un marché donné doit se conformer aux règles de ce marché. Et c'est mieux si la société n'est pas simplement observatrice de la façon dont évoluent les exigences des régulateurs, mais s'adapte aux nouvelles conditions, en appliquant de nouvelles technologies.

L'Europe met en place un marché unique, intégré et concurrentiel du gaz. Parallèlement, la structure de consommation du carburant change : il est utilisé dans l'énergie électrique ou comme solution de repli en cas de manque d'énergie renouvelable. Une société qui fournit du gaz à l'UE devrait donc construire des modèles d'affaires qui répondent à cette nouvelle réalité.

Le développement des énergies alternatives modifie-t-il la structure des économies dépendantes du pétrole ? Est-ce d’actualité pour la Russie ?

Le dernier rapport World Energy Outlook met l’accent sur les perspectives de développement du complexe énergétique de la Russie. Les énormes possibilités de votre pays en matière de développement des sources d'énergie renouvelables, à l'exception de l'hydroélectricité, sont évidentes pour tous. Par exemple, dans le nord-ouest de la Russie et en Sibérie orientale, il pourrait y avoir une plate-forme pour la production de biocarburants, il y a là-bas beaucoup de déchets de l'industrie du bois. Dans un pays aussi vaste que la Russie, l'énergie renouvelable pourrait être une issue pour les villages reculés, où il y a des problèmes de connexion aux réseaux, et où il est cher de transporter du carburant.

Mais nous ne prévoyons pas de transformation en profondeur du complexe énergétique russe. Le sous-sol compte pour environ 90% de l’offre sur le marché énergétique en Russie. D’ici 2035, les chiffres auront légèrement diminué, à 85%, la part de l'énergie nucléaire et des énergies renouvelables va croître lentement.

La baisse de la production de pétrole est-elle, dans ces conditions, une réelle menace pour la Russie ?

Nous prévoyons que la production en Russie va pendant quelques années se maintenir au niveau actuel. Puis une légère baisse commencera. Jusqu’en 2035, le volume restera à un niveau proche de 10 millions de barils par jour.

Les gisements de la Volga, de l'Oural et de Sibérie occidentale sont déjà vieux et développés. Et les nouveaux gisements sont situés dans des zones reculées aux conditions de travail extrêmes. Le problème de la Russie n'est pas le manque de ressources – elles y sont abondantes – mais le coût élevé de la production, les dépenses importantes en temps et les difficultés techniques liées au développement des gisements. Pour maintenir la production au niveau spécifié dans nos projections, la Russie a besoin d'investir des sommes considérables dans l'industrie – plus de 700 milliards de dollars d’ici 2035 – et de fournir un régime fiscal plus favorable aux entreprises.

Lisez article original sur le site gazeta.ru

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