Vitaly Tchourkine à la sortie d’une séance du Conseil de sécurité. Crédits photo : Reuters/Vostock-Photo
Le vote d’une intervention humanitaire n’est pas un blanc-seing pour un changement de régime, explique l’ambasseur de Russie auprès des Nations Unies, Vitaly Tchourkine.
Pour le dernier mois d’une année marquée par les révoltes dans le monde arabe, la Russie assume la présidence tournante du Conseil de sécurité des Nations Unies. Alors que la répression sanglante des manifestations se poursuit en Syrie, l’hypothèse d’une résolution appelant à des sanctions contre le régime de Bachar Al Assad pourrait être relancée. Mais Vitaly Tchourkine, Représentant permanent de la Fédération de Russie depuis cinq ans auprès de l’ONU, explique dans un entretien exclusif qu’il nous a accordé à New York en quoi la situation syrienne diffère de celle de la Libye, pour laquelle la délégation russe avait voté une première résolution autorisant une intervention humanitaire, avant de s’abstenir sur une seconde qui instaurait une zone d’interdiction de survol.
Vitaly Tchourkine maintient que pour la Russie, opposée à de nouvelles sanctions, la voie diplomatique reste le meilleur moyen d’empêcher l’Iran d’acquérir des armes nucléaires. Les inquiétudes manifestées lors de la publication du dernier rapport de l’Agence internationale de l’énergie atomique n’y changent rien : « Nous continuons de l’analyser mais à première vue, il n’ajoute rien à la connaissance générale » . L’ambassadeur voit dans les fuites et les commentaires précédant la sortie du rapport « une opération de relations publiques » mais se dit encouragé « qu’après la publication, le Conseil des gouverneurs de l’Agence ait adopté une résolution appelant l’Iran à renforcer sa coopération avec elle et réaffirmé l’intention de la communauté internationale de poursuivre le dialogue » .
« Dans nos déclarations après l’adoption de cette résolution, nous avons
clairement exprimé nos craintes de la voir conduire à un usage excessif de la force » , rappelle V. Tchourkine, avant d’indiquer que « ce qui s’est passé en Libye
dans la réalité a influencé notre façon de penser sur la question syrienne » .
« On a assuré aux membres du Conseil de sécurité que la résolution 1973 [NDLR : la seconde résolution sur la Libye] ne signifiait pas ‘changement de régime’, qu’il s’agissait uniquement de protéger les populations civiles, ce qui nécessitait qu’on élimine quelques installations anti-aériennes mais ce ne serait en aucun cas une opération militaire majeure , explique l’ambassadeur russe. Puis, très vite, on nous a dit qu’il fallait en fait changer le régime et s’attaquer à Kadhafi pour appliquer la résolution. C’est quelque chose que nous n’avons pas apprécié, car nous étions en face d’un cas flagrant de détournement des prérogatives du Conseil de sécurité, ce qui portait atteinte au prestige du Conseil et à sa capacité d’agir efficacement à l’avenir » .
Pour la Fédération de Russie, l’un des cinq membres permanents du Conseil de
sécurité, il n’était pas question de laisser le scénario libyen se reproduire :
« Dans le cas de la Syrie, nous avons vu ce projet de résolution, qui ne
contenait pas de sanctions particulièrement sévères, mais qui entraînait le
Conseil de sécurité et la communauté internationale sur la voie de
l’affrontement avec la Syrie, et qui attisait aussi l’affrontement à l’intérieur
du pays » . D’où le veto russe, conjugué à celui de la Chine.
Cette position fut vivement critiquée par les trois autres membres permanents
du Conseil (les États-Unis, la France et le Royaume-Uni). « Le courageux peuple
syrien voit nettement qui, dans ce Conseil, soutient son aspiration à la
liberté et aux droits de l’homme, et qui l’ignore » , déclara la Représentante
américaine, Susan Rice. Son homologue français Gérard Araud alla plus loin : « Les appels de la Ligue Arabe à faire cesser l’effusion de sang, les
déclarations des pays du voisinage, les souffrances du peuple syrien montrent
bien que ce veto est à contre-sens de l’histoire qui se déroule en Syrie et
dans toute la région ».
Vitaly Tchourkine a une autre vision de la situation : « Oui, il y a eu de
grandes manifestations pacifiques dans certaines parties du pays, mais il y a
eu aussi des attaques violentes contre les institutions gouvernementales et
cette tendance s’est accentuée. Ce qu’a fait la Russie, c’est qu’elle est
restée en pourparlers permanents avec les autorités et l’opposition syriennes,
et elle a prié les membres de la communauté internationale de pousser les
Syriens au dialogue, parce que nous pensons fortement que pour instaurer le
dialgoue, les gens qui, en Syrie, veulent vraiment le changement doivent se
dissocier des extrémistes violents.Nous ne voulons pas croire que le régime
d’Al Assad ne peut pas changer » .
Tchourkine a beau jeu d’opposer l’impatience des Occidentaux sur la Syrie à
leur volonté de négocier pendant de nombreux mois pour obtenir le départ du
Président du Yémen, Ali Abdallah Saleh, et, dans le cas du Barheïn, aux appels
des États-Unis au dialogue, malgré d’interminables manifestations des opposants
au régime : « Nous sommes très heureux de l’accord politique qui vient d’être
signé au Yémen après des mois de négociations. La communauté internationale a
su se montrer patiente et a encouragé les deux parties à dialoguer, bien qu’il
y ait eu, je pense, plus de sang versé au Yémen que ces derniers mois en Syrie.
Dans de telles situations, la communauté internationale devrait toujours
appuyer la recherche d’une solution par le dialogue plutôt que d’ajouter à
l’agitation intérieure ».
Mais pour l’instant, même les efforts diplomatiques de la Ligue arabe n’ont
guère ébranlé la détermination du régime syrien : « Si le dialogue échoue,
conclut l’ambassadeur, la Syrie peut plonger dans la guerre civile, ce qui
aurait de graves conséquences pour toute la région et nulle résolution de
l’ONU ne nous aiderait » à sortir de la crise.
Retrouvez sur notre site Web l’intégralité de l’entretien que l’Ambassadeur Vitaly Tchourkine nous a accordé sur un large éventail de sujets.
Dans le cadre d'une utilisation des contenus de Russia Beyond, la mention des sources est obligatoire.
Abonnez-vous
gratuitement à notre newsletter!
Recevez le meilleur de nos publications directement dans votre messagerie.