Sokourov : le diable à Venise

Crédits photo : Itar-Tass.

Crédits photo : Itar-Tass.

Le réalisateur russe Alexandre Sokourov dévoile jeudi à Venise son film phare, Faust, une méditation sur la corruption du pouvoir.

Si Sokourov est allé à Venise, ce n’était pas par goût de l’agitation autour des grands festivals. « Je n’aime pas y être. Je n’aime pas le système de compétition » , nous déclarait avant coup le réalisateur, 60 ans, dans un parc à proximité de son domicile de Saint-Pétersbourg. « Comment pouvez-vous affirmer que je suis meilleur qu’un autre ? Les cinéastes qui se sont déjà fait un nom ne devraient pas rivaliser avec les jeunes », estime-t-il. « Nous devons faire place aux jeunes » . Le franc-parler de Sokourov concernant le festival n’a rien d’étonnant : le cinéaste est connu pour ne pas avoir la ­langue dans sa poche. Ses premiers films ont été interdits par les autorités soviétiques. Sokourov ­affirme que son obsession pour les dictateurs, comme Faust lui-même, qui constitue l’aboutissement d’un quadriptyque de films, remonte à 30 ans. « C’est in­croyable qu’on accorde si peu d’attention à «Faust», déclare-t-il . Si n’importe quel politicien lit «Faust», tout y est. C’est comme si cela avait été écrit au XXIe siècle, pas au XIXe » . Mais sans dire quel personnage réel est visé...

De nombreuses recherches historiques ont été intégrées au film, qui a été tourné en Espagne et en Islande, où le réalisateur a fait construire des répliques de villes allemandes du début du XIXe siècle (son Faust em­prunte à celui de Goethe et au Doctor Faustus de Thomas Mann).  


Le cadre du film Faust. Photo: kinopoisk.ru

Sokourov en bref

Avec Faust , Sokourov clôt sa tétralogie sur les dictateurs. Moloch (Hitler), Taurus (Lénine) et Le Soleil (Hirochito) lui ont valu une renommée mondiale. Son film ­ l’Arche russe , tourné à l’Ermitage, est le seul long métrage fait sans montage.

Sokourov n’a demandé aucune subvention pour produire son film. Mais l’argent est apparu après que le Premier ministre Vladimir Poutine a manifesté son soutien au tournage de Faust . La raison en reste un mystère pour Sokourov. « Je ne sais pas s’il [le film] va l’intéresser, bien que la culture allemande lui soit chère , explique-t-il. Je ne comprends pas pourquoi une telle aide m’a été accordée, car je ne suis pas de ceux qui soutiennent la cul­ture politique russe ». D’ailleurs, Sokourov, qui a longtemps milité pour la préservation du patrimoine architectural historique de sa ville, a été un adversaire féroce des autorités de Saint-Pétersbourg, ce qui lui a valu l’annulation de la représentation d’un opéra. Il n’avait pas hâte de parler de Faust aux critiques à Venise : « Personne n’est plus dur que moi-même dans la critique de mes films. Je sais mieux que quiconque ce que je voulais faire et ce qui n’a pas fonctionné. Une fois que je commence à parler des défauts de ‘Faust’, il est impossible de m’arrêter ». Le jury en a décidé autrement.

Le cadre du film Faust. Photo: kinopoisk.ru


La raison pour laquelle Poutine a soutenu le film reste un mystère pour Sokourov. Le fait que son film traite de Faust constitue probablement, selon lui, un facteur important de son soutien.

« Je ne sais pas si [le film] va l'intéresser, bien que la langue et la culture allemandes lui soient chères », explique-t-il. « Je ne comprends pas pourquoi une telle aide m'a été accordée, car je ne suis pas de ceux qui soutiennent la culture politique en Russie ».

D'ailleurs, Sokourov a longtemps milité pour la préservation du patrimoine architectural historique de sa ville, et a été un un contempteur féroce du gouvernement de Saint-Pétersbourg. L'opéra qu'il mettait en scène au Théâtre Mikhaïlovski a même été annulé lorsqu'il a signé une lettre fustigeant les politiques de la ville.

« Ils m'ont téléphoné et m'ont demandé si je voulais retirer ma signature, si je ne pensais pas que c'était une erreur », raconte le cinéaste, qui a refusé. « Le lendemain le spectacle était annulé, et j'ai été viré ».


Sokourov est aussi en première ligne de la campagne visant à sauver Lenfilm, le deuxième plus grand studio de cinéma russe après Mosfilm. Le studio basé à Saint-Pétersbourg pourrait être repris par la holding médiatique de l'énorme conglomérat Sistema Financial Corp, une société de services au consommateur dirigée par l'oligarque Vladimir Ievtouchenkov.

Les promesses de préserver le studio, faites par Sistema ont suscité l'incrédulité d'un certain nombre de réalisateurs russes, qui se sont élevés contre cet achat. Sokourov a commencé sa carrière cinématographique au Lenfilm grâce à une recommandation du réalisateur Andreï Tarkovski, l'auteur d'Andreï Roublev et de Solaris. Lenfilm a longtemps eu la réputation d'être plus favorable au cinéma d'art et d'essai que son concurrent Mosfilm. Mais le studio ne produit que quelques films par an et se trouve aujourd'hui dans une situation financière désespérée.

« Je ne serais pas entré [à Mosfilm] car ce n'est pas un bon studio », explique-t-il. « Quand Tarkovski est mort, Mosfilm était très heureux car ils le haïssaient, ils étaient jaloux de lui ».

Sokourov dit ne pas avoir hâte de parler de Faust aux critiques à Venise. D'ailleurs, il n'aime pas beaucoup les critiques, à l'exception de la défunte Susan Sontag, qui, dit-il, a fourni un point de vue unique sur ses films, en ajoutant quelque chose à sa propre compréhension.

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