Boldino : le havre de paix du roi des poètes russes

L'histoire de la famille Pouchkine est intrinsèquement liée au village de Boldino.

Photographies de William Brumfield


Pour les amoureux de culture russe, le village de Boldino, dans le sud-est de la région de Nijni-Novgorod, sera toujours associé au génie du grand écrivain russe Alexandre Pouchkine. Après avoir séjourné dans la propriété familiale de Boldino pour affaires à la fin de l'été 1830, Pouchkine fut forcé d'y rester pour l'automne en raison d'une épidémie de choléra dans les territoires entourant Moscou. Ce concours de circonstances inattendu provoqua un envol de créativité baptisé « automne de Boldino ». Parmi les chefs-d'œuvre achevés pendant cette brève période figurent les chapitres finaux de son épopée en vers, Eugène Onéguine, une des œuvres les plus influentes de la culture russe.

 

Boldino ne se résume pourtant pas à une abstraction littéraire. Bolchoïe Boldino (nom officiel de la petite ville) et sa région possèdent une histoire riche. Elles ont notamment été les témoins d'événements dramatiques tels que la campagne d'Ivan le terrible contre Kazan en 1552 et la révolte de Pougatchev de 1774. Au XIXe siècle, la région s'est heurtée à la famine et à la transition du servage à une forme d'agriculture sous-développée. Au XXe siècle, Boldino, comme le reste de la Russie, fut entraînée dans le cataclysme de la guerre, de la révolution, de la collectivisation, et d'une guerre encore plus vaste à laquelle participèrent des milliers d'habitants de la région de Boldino.

 

Le centre culturel de Boldino est le domaine de la famille Pouchkine. La propriété de Boldino, située sur la petite rivière Azanka, est associée à la famille Pouchkine depuis la fin du XVIe siècle, et fut formellement transmise à l'ancêtre du poète Fiodor Pouchkine pour ses services lors de la reconquête de Moscou aux Polonais, en 1612. Aucune trace de l'apparition des premières maisons familiales ne subsiste, mais le plan général de la maison actuelle, avec sa partie centrale sur pignons, respecte le schéma typique des demeures provinciales en bois. Ces robustes constructions en rondins étaient généralement dotées de revêtements de planche afin de leur donner une apparence plus imposante. La demeure de Boldino est désormais peinte en jaune vif, bien qu'une couleur plus traditionnelle pour ce type de bâtisses soit le gris ou le vert.

 

Les opinions varient concernant l'âge du manoir de Boldino, qui a subi des modifications profondes tout au long du XIXe siècle. Des tests récents indiquent que les supports en rondins de la structure principale datent au moins du début du XIXe siècle, et auraient donc existé pendant les visites de Pouchkine dans les années 1830. L'aile arrière de la résidence a été ajoutée en 1870. L'intérieur des maisons possède un plan du XIXe en enfilade, avec des poêles en tuiles de céramique dans les plupart des pièces et des meubles basés sur un inventaire de 1849. Le bureau d'angle, où virent le jour la plupart des écrits de Boldino, est d'un intérêt particulier. L'apparence originale du bureau - sacré pour tous les amoureux de culture russe - a été restituée sur la base d'un croquis de Pouchkine lui-même. Depuis ses larges fenêtres, le poète contemplait directement l'Eglise de la Dormition, dont les formes néoclassiques impressionnantes s'élèvent au-dessus de la place centrale.

 

La construction de l'Eglise de la Dormition a été entamée en 1780 par le grand-père du poète, Lev Alexandrovitch Pouchkine, qui ne vécut pas assez longtemps pour la voir achevée. La construction fut poursuivie à partir de 1791 par la grand-mère de Pouchkine, Olga Vassilievna Pouchkine, qui mena ce vaste projet jusqu'à sa consécration en octobre 1799, l'année de naissance du poète. Cette vaste structure, remarquable pour un village modeste, possède, à l'ouest, un clocher menant vers un grand réfectoire doté de deux autels dédiés à Saint Nicolas et à l'Archange Michel, patron des ancêtres de Pouchkine. Le vaste réfectoire (la partie la plus large de l'église) mène à l'espace principal, une tour octogonale surplombant le portique néoclassique de la façade. Des photographies du début du XXe siècle, exposées près de l'entrée du manoir, montrent l'efficacité avec laquelle l'Eglise de la Dormition organisait l'espace au centre de Boldino. 

 

Il est difficile de nos jours de comprendre comment un point de repère aussi extraordinaire, si proche de la vie du plus grand poète russe, a pu être presqu'entièrement détruit. Tel fut pourtant le cas. Peut-être que le caractère monumental de l'édifice lui a causé du tort pendant les campagnes soviétiques conte la religion. Les deux tours de l'église furent détruites dans les années 1930, avant le centenaire de la mort de Pouchkine en 1937.  Les travaux de destruction du reste de l'église débutèrent à la fin des années 1950, pendant une nouvelle campagne antireligieuse de l'ère Khrouchtchev. Heureusement, une vigoureuse opposition au niveau régional et national permit de préserver l'espace encore debout dans les années 1970 et 1980, en le faisant servir de bibliothèque. Pendant les années 1990, l'église et ses parties démolies furent impeccablement restaurées, avant d'être à nouveau consacrées en 1999, pour le 200e anniversaire de la naissance de Pouchkine. La restauration de l'église visant à lui conférer un rôle actif dans la communauté de Boldino ne revêt pas une signification strictement religieuse : elle nous renvoie également à une partie indispensable de ce bourg tel qu'il existait à l'époque de Pouchkine. 

 

Le territoire adjacent à l'Eglise de la Dormition est la Maison de la Culture, un vaste bâtiment en brique non stuqué, construit pour le centenaire de 1937. Bien que clairement destiné à remplacer l'église dans la vie de Boldino pendant l'époque soviétique, ce bâtiment néoclassique, imposant à sa façon, coexiste désormais avec l'église et continue à accueillir des concerts et d'autres événements.

 

Outre le manoir, le territoire du parc-musée comprend différents bâtiments plus modestes, tel qu'une cuisine séparée, des étables et un hangar destiné aux attelages, tous construits en bois. Le parc contient aussi une pommeraie et quatre étangs qui descendent en étages vers la rivière Azanka. Ces étangs en cascade, trait commun à de nombreuses demeures de la fin XVIIIe-début XIXe, est un rappel des efforts constants de la famille Pouchkine de s'assurer que Boldino soit une propriété « civilisée ». La Chapelle de l'archange Michel constitue un rajout récent au parc. Situé sur le site de l'ancien cimetière de la propriété, elle a été achevée en 1999 dans le cadre du bicentenaire de la naissance du poète. Bien qu'elle ne soit pas en service, son emplacement offre un superbe panorama du paysage environnant.

 

La région de Boldino regorge de villages conservant des exemples de propriétés du XIXe siècle. L'une d'elles est Lvovka, créée à la fin du XVIIe siècle par le grand-père de Pouchkine, Lev Alexandrovitch, en tant que résidence secondaire à celle de Boldino. Au départ reléguée au second plan, son sort s'améliora dans les années 1840, et en 1856 elle devint la résidence du fils de Pouchkine, Alexandre. Le bâtiment principal, avec son sol de maçonnerie, a été joliment restauré. Non loin se trouve une église en bois de la fin du XIXe siècle, dédiée au Saint Alexandre Nevski. Récemment remise à neuf, l'église donne une idée de la taille qu'avait jadis le village de Lvovo, aujourd'hui presqu'entièrement abandonné. Le manoir de Lvovka est entouré de pins altiers, donc certains furent, semble-t-il, plantés du vivant d'Alexandre Pouchkine.  

 

Le district de Boldino bénéficie de la beauté de son paysage et de l'héritage architectural lié à la famille Pouchkine. Malgré son emplacement rural, Boldino est accessible par des routes goudronnées, et possède un hôtel confortable à la hauteur de ce site historique majeur. Boldino mérite une visite au printemps et en été, mais le début de l'automne lui confère un charme particulier, quand la pommeraie regorge de fruits et que la récolte est en cours. C'est une époque que Pouchkine aimait par-dessus tout. 

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