Un Centre quantique pour la « Silicon Valley russe »

Wolfgang Ketterle. Crédits photo : DR

Wolfgang Ketterle. Crédits photo : DR

La fondation de la technopole moscovite Skolkovo a réveillé l’intérêt des scientifiques du monde entiers envers la Russie. L’élite scientifique globale se met peu à peu à fréquenter notre pays, ce qui, il faut bien le reconnaître, est une nouveauté

 Wolfgang Ketterle est arrivé à Moscou en février à la tête d'une délégation de jeunes professeurs. La plupart d'entre eux travaillent pour l'Institut de Technologie du Massachusetts (MIT), où le nombre de détenteurs du Nobel frise la centaine. Pourquoi quitter la capitale mondiale de la science pour Moscou, une ville froide et provinciale en termes scientifiques? Le professeur Ketterle a raconté au journal Izvestia qu'il était intéressé par le projet Skolkovo, qui, parmi d'autres équipements, prévoit la construction d'un Centre d'optique et de technologies quantiques.


« Le monde est à la veille d'une révolution quantique, lors de laquelle les acquis fondamentaux de la physique seront activement utilisés pour produire des matériaux dotés de propriétés fondamentalement nouvelles, encore jamais vues jusqu'à présent », a expliqué avec une certaine fantaisie Ketterle. « L’ordinateur quantique super-rapide, considéré comme une percée révolutionnaire, sera bientôt une réalité. Les technologies quantiques promettent d'énormes bénéfices commerciaux dans tous les domaines, de l'informatique à l'énergie en passant par la médecine et les transports. Nous sommes venus en Russie parce que ce pays dispense toujours une excellente formation scientifique. La proposition d'ordinateur quantique topologique a d’ailleurs été émise par Alexeï Kitaïev  de l'Institut de Physique de l'Académie russe des Sciences, qui a longtemps travaillé en Californie. J'ai la certitude que la connaissance et la science doivent avoir de nombreux points de croissance géographiques. Le Centre quantique de Skolkovo, dont nous souhaiterions déterminer les paramètres pendant notre voyage, n'aidera pas uniquement la Russie, mais l'ensemble de la communauté scientifique mondiale. Nous visiterons les centres scientifiques russes et aurons des entretiens avec le premier adjoint du chef de l'administration présidentielle Vladislav Sourkov, et le président de la Fondation Skolkovo, Viktor Vekselberg.” 


La rencontre a débouché sur la création du Centre d'optique quantique et de technologies quantiques, qui se concentrera sur le développement de l'une des branches les plus prometteuses de la recherche. Le groupe de Ketterle comprend deux professeurs américains formés en Russie: Mikhail Lukin et Eugene Demler. Ces derniers sont diplômés de l'Institut moscovite de Physique et de Technologie, tout comme les prix Nobel Andre Geim et Konstantin Novoselov. Les scientifiques n'ont jamais travaillé en Russie: immédiatement après avoir obtenu leur diplôme au début des années 1990, grande époque de la fuite des cerveaux russes, ils sont partis pour les Etats-Unis. Ils y ont obtenu la reconnaissance, mais sans oublier la Russie, qui aujourd'hui leur donne une chance d'obtenir de nouveaux résultats.


« Dans le célèbre MIT, 10% des professeurs de physique viennent de Russie, plus de n'importe quel autre pays. Mais la Russie ne peut pas s'en réjouir », indique Mikhail Lukin, lauréat de nombreux prix américains. « Le projet Skolkovo et le centre quantique constituent une idée unique. Après une longue stagnation, la science se voit offrir une chance de renaître en Russie. Bientôt, nous commencerons à palper les avantages de recherches fondamentalement novatrices en matière de physique quantique. Si nous parvenons à réunir les conditions pour faire de la science à Skolkovo, le nouveau Centre quantique emploiera non seulement des scientifiques russes, qui ne penseront même plus à émigrer, mais aussi des spécialistes d'autres pays, ce qui, aujourd'hui, est encore inconcevable pour la Russie ».


« La science globale s'enrichit par l'interaction de nombreuses cultures et universités scientifiques », estime le professeur  John Doyle, dont l'indice de citation est encore plus élevé que celui de Wolfgang Ketterle. « La Russie possède parmi les standards les plus élevés dans le domaine de l'enseignement de la physique. De nombreux jeunes scientifiques viennent aux Etats-Unis, mais les Russes sont les meilleurs. Toutefois, je pense que si les Russes ont l'opportunité de faire de la physique chez eux, en Russie, la communauté scientifique mondiale en bénéficiera tout autant que les spécialistes russes ».


Le seul membre de l'équipe de Ketterle qui ne soit pas américain est le professeur italien Tommaso Calarco. Ce dernier n'est pas moins intéressé par la Russie que le reste des chercheurs américains. M. Calarco travaille en Allemagne et est le coordinateur des programmes d'informatique quantique de l'Union européenne. Malheureusement, reconnaît le professeur, l'Europe ne possède actuellement aucun projet conjoint avec les instituts russes, même si les contacts personnels sont nombreux. « La création d'un Centre quantique à Skolkovo », estime Tommaso Calarco, « c'est la création d'une structure puissante, qui ouvre les portes de projets conjoints. Il y a de nombreux exemples de réussites dans le monde: l'Institut Max Planck de Munich, le Centre d'optique quantique de Barcelone, et le Centre sur les atomes ultra-froids du MIT. Skolkovo devrait compléter cette liste ».


D'ailleurs, l'idée d'un ordinateur quantique a été pour la première fois proposée, il y a de nombreuses années, par Iouri Manine, un diplômé de l'Université d'Etat de Moscou, qui a défendu sa thèse à 26 ans, reçu le Prix Lénine à 30 ans, et vit à l'ouest depuis déjà 20 ans. Iouri Manine est académicien de presque toutes les académies du monde, sauf de l'Académie russe des Sciences, faute de temps pour se plier à tous les processus bureaucratiques. La différence entre un ordinateur quantique et une machine classique est que cette dernière est basée sur le principe 0-1, tandis que son homologue quantique n'y est pas réduit: il peut combiner 0 et 1 simultanément. Ceci est dû la dualité onde-particule du photon, vecteur d'information de l'ordinateur quantique, qui opère avec des bits quantiques ou « qubits », ce qui rend la réalisation de plus d'un calcul simultanément. Cette capacité permettra une augmentation vertigineuse de la puissance de l'ordinateur. 

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