Les 10 livres d’après lesquels les Français connaissent la Russie

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Des tyrans et cosaques jusqu’à Staline le sage, et les orgies des oligarques

L’histoire des relations entre la Russie et l’Europe est une histoire d'attentes mutuelles et de mythes réciproques. En fonction de l’époque et de la situation politique, ces mythes et ces attentes furent réels ou utopiques : nous décevions l’Europe et vice versa, en accumulant des stéréotypes et en laissant des deux côtés des ellipses sur des cartes idéologiques.

 

La France figure parmi les pays qui observèrent la Russie avec le plus de discernement. A partir du XVIIème siècle, ses historiens et ses écrivains en ont donné soit l'image d’un pays au choix barbare, asiatique et païen, ou bien féérique, chrétien et européen. Une dizaine de livres, choisis par Russkij Reporter, reflète le processus d'identification réciproque qui associe la Russie et la France. Parfois, il est utile de prendre du recul et d’apprendre ce que les autres pensent de nous. Cela permet de comprendre des choses importantes sur nous-mêmes.

 

1. « Estat de l'empire de Russie et Grande Duché de Moscovie »


 

Auteur : Jacques Margeret

Année de la rédaction : 1606

Synopsis : Le mercenaire français Jacques Margeret a servi en Russie de 1600 à 1606 puis de 1608 à 1611. Il est parvenu à entrer au service de Boris Godounov, des imposteurs Dimitri I et Dimitri II (dits les Faux) et enfin du roi de Pologne Sigismond III. Son œuvre consiste en une description très complète de la Russie des Godounov et du Temps des troubles. Il décrit en détail la géographie de l’empire russe, l’agriculture du pays, la généalogie des familles russes les plus nobles, parle de la trésorerie du pays, de la religion et, bien entendu, de la guerre civile.

Attentes : A cette époque, le monde européen commence à s’agrandir : les Européens s’avancent outre-Atlantique et, parallèlement, sont en expansion parallèle à l’Est. La Russie est une énorme tâche blanche sur la carte de l’Europe de l’époque, le pays de différentes attentes, mais Margeret s’attendait à y voir une espèce de double de la Pologne, un pays inconnu certes, un peu plus arriéré peut-être, mais tout de même européen.

En réalité : Le pays est immense et riche mais en proie à une guerre civile. Les Russes se distinguent radicalement des Européens par leur langue, leur religion, leur alphabet et leurs coutumes. Dans l’ensemble, leur niveau de développement est inférieur à celui de l’Occident. La Russie de Margeret apparaît néanmoins comme un pays des merveilles. Il était ainsi convaincu que l’on trouvait un « baranets », semi-plante, semi-mouton, en aval de la Volga.

Conséquences : Margeret fut le premier Français à vivre aussi longtemps en Russie et il laissa des notes détaillées. En les lisant, les Français se sont imaginé la Russie comme un pays complètement arriéré. Le choc fut d’autant plus grand après les réformes de Pierre le Grand.

Citation : « Malgré l’abondance et le faible prix des victuailles, le bas peuple se contente de très peu… Il est assez paresseux, n’aime pas le travail et est entièrement voué à la beuverie. »

 

2. « Histoire de Charles XII ; et Histoire de la Russie sous Pierre le Grand »



Auteur : Voltaire (de son vrai nom François Marie Arouët)

Année de la rédaction : 1730

Synopsis : Double portrait de deux monarques qui, pour l'un, conduisit une nation développée dans une impasse, et qui, pour l’autre, arracha ses sujets à la barbarie pour les rapprocher de l’Europe. Voltaire éprouve une sympathie totale pour Pierre le Grand.

Attentes : Pour Voltaire, la Russie est une incarnation vivante de sa conception philosophique de l’histoire et de la conduite des affaires de l’État. Un monarque instruit et énergique est capable de prendre conscience du destin de son pays et de faire du bien à son peuple. Plus l’État arrivait arriéré entre les mains d’un monarque instruit, et plus l’expérience lui semblait pure. C’est pourquoi, pendant de longues années, la Russie est restée dans la ligne de mire des encyclopédistes français qui devaient ensuite tant admirer Catherine II.

En réalité : Comme cela était prévisible, la Russie est vue comme un empire barbare et retardé, englué dans l’ignorance et la superstition. Pourtant, tout n’est pas perdu : si les barbares se donnent un monarque sage et énergique, ils obtiendront une chance de devenir européens.

Conséquences : Ce livre a ouvert une longue période d’admiration des dirigeants russes par les intellectuels français. De Voltaire à nos jours, dans la tradition intellectuelle française (et, d’une manière plus générale, européenne), les voltairiens s'opposent à leurs adversaires libéraux. Ces derniers accusent les monarques russes de tyrannie quand les voltairiens, fidèles à leur modèle, expliquent toutes les atrocités du pouvoir en place par l'urgente nécessité de moderniser le pays.

Citation : « Les Moscovites étaient moins civilisés que les Mexicains quand ils furent découverts par Cortez ; nés tous esclaves de maîtres aussi barbares qu’eux, ils croupissaient dans l’ignorance, dans le besoin de tous les arts, et dans l’insensibilité de ces besoins. […] Pierre Alexiowitz avait reçu une éducation qui tendait à augmenter encore la barbarie de cette partie du monde. Son naturel lui fit d’abord aimer les étrangers avant qu’il sût à quel point ils pouvaient lui être utiles. Son puissant génie, qu’une éducation barbare avait pu détruire, se développa presque tout à coup. »

 

3. « La Campagne de Napoléon en Russie »

Auteur : Armand Augustin Louis de Caulaincourt

Année de la rédaction : les années 1820, première édition complète en 1933.

Synopsis : Les mémoires du diplomate français, qui fut d’abord ambassadeur de Napoléon à Saint-Pétersbourg, avant de participer au sein de la Grande Armée à la campagne napoléonienne de 1812. De Caulaincourt a tout décrit : de la joie des premières victoires aux ruines de Moscou et à la débâcle complète des troupes napoléoniennes. Mais il connaissait la Russie et dès le début devinait que cette entreprise de l’Empereur était vouée à l’échec.

Attentes : Les Français pensaient que la Russie était un pays européen et qu’il leur suffisait d'une grande bataille suivie de la prise de la capitale pour que l’armée russe capitule.

En réalité : L’idée clé des mémoires est que la Russie ne ressemble pas au reste de l’Europe. Il n’y a qu'en Russie et en Espagne que l’armée française a du faire face au soulèvement de tout un peuple et non seulement à des soldats professionnels. Au début, Napoléon méprisait énormément la Russie. Toutefois, au fur et à mesure de l’opposition grandissante des Russes, il a compris la puissance de son ennemi. Quant à Armand de Caulaincourt, il en avait déjà conscience et était particulièrement émerveillé par les Cosaques.

Conséquences : L’impact le plus important des mémoires d’Armand de Caulaincourt dans l’histoire mondiale est un coup psychologique porté aux Allemands en 1941 : il est connu que de nombreux officiers de Wehrmacht lisaient ce livre lors de l’attaque de Moscou et ont commencé à s’attendre à la même situation. Ainsi, pour les Européens, la fin de la Guerre Patriotique (appellation de la Deuxième guerre mondiale en Russie), fut-elle, en quelque sorte, prévisible. Pour ce qui est des Français eux-mêmes, c’est un livre sur leurs rêves irréalisés de conquérir le monde.

Citation : « Les Cosaques sont sans aucun doute les meilleures troupes légères au monde et sont prévues pour la garde de l’armée, pour l’éclairage et les sorties de la guérilla. Cependant, quand nous les affrontions ou les attaquions en rangs serrés, ils n'opposaient jamais de résistance à notre cavalerie. Mais tentez de les déranger lorsque vous êtes coupés des vôtres ! Ou bien de les attaquer d’une manière dispersée ! Vous êtes vaincus, car ils contre-attaquent avec la même rapidité qu’ils se retirent. »

 

4. « La Russie en 1839 »


Auteur : Astolphe de Custine

Année de la rédaction : 1839

Synopsis : Le marquis français Astolphe de Custine voyage en Russie sous le règne de Nicolas Ier. Il rencontre des gens de tous les milieux, depuis de simples paysans jusqu’au Tsar en personne et se montre horrifié par les mœurs de l’État.

 

Attentes : En France existait à l'époque une monarchie constitutionnelle. Custine prônait quant à lui l’absolutisme et considérait avant son voyage la Russie comme un État idéal. Dans ce pays, il espérait découvrir toutes les vertus de l’autocratie tsariste.

En réalité : L’absolutisme dans sa version russe s’est avéré pratiquement identique à la tyrannie. La Tsar est un tyran pour les nobles et les fonctionnaires, la noblesse et les fonctionnaires sont des tyrans pour les paysans et les citadins. Le despotisme et la soumission cruelle du faible au fort imprègnent toute la société russe. Les Russes sont esclaves et hypocrites, leur culture n’est qu’une piètre imitation de la culture européenne.

Conséquences : Le tableau de la vie dans l'Empire russe peinte par Custine est très sombre. La Russie des années 1830-40 est un pays vainqueur, un empire fort et le gendarme de l’Europe : les rues des villes européennes se souviennent encore du tagada des Cosaques. Mais soudain, on s’aperçoit que ce colosse est pourri à l’intérieur. Quinze ans plus tard, l’Angleterre et la France infligeront à la Russie la défaite de Sébastopol. Le mérite de cet événement ne revient pas directement à Astolphe de Custine, mais c’est à la suite de la parution de son livre que l’on a commencé à avoir un peu moins peur de l’Empire de Nicolas Ier. Le texte de Custine est devenu l’exemple du pamphlet sur la Russie.

Citation : « De tous les Russes, quel que soit leur niveau, on peut dire qu’ils se délectent de leur esclavage ».

 

5. « Impressions de voyage : En Russie »


Auteur : Alexandre Dumas, père.

Année de la rédaction : 1859

Synopsis : Alexandre Dumas a voyagé en Russie pendant presque neuf mois. Lors de son voyage, il a visité Saint-Pétersbourg, Moscou, Kazan, Nijni-Novgorod, Saratov, Astrakhan, Kizliar, Derbent, Bakou, Tiflis et Batoum. Tout en racontant son périple, Dumas livre à ses lecteurs des anecdotes sur l’histoire russe et des récits colorés sur les peuples sauvages vivant aux confins du pays.

Attentes : Au milieu du XIXème siècle, grâce au développement des communications maritimes et des chemins de fer, l’Europe commence à connaître le tourisme. Pour le voyageur passionné qu’était Dumas, la Russie devient l'un des territoires les plus intrigants. C’est un pays à la fois proche et inconnu.

En réalité : Un pays exotique, absurde mais assez agréable, où le voyageur joyeux peut connaître les autres et se montrer aux autres. Point important : la Russie est peuplée non seulement de Russes, mais aussi de nombreuses peuplades « sauvages ». En gros, la Russie est un paradis touristique et exotique, à l’exemple de certains pays d’Asie d’aujourd’hui.

Conséquences : Le livre de Dumas a légèrement enjolivé l’image de la Russie, auparavent noircie par Custine et la guerre de Crimée. Bientôt, il y aura le rapprochement franco-russe, d'abord instable mais qui finira par devenir, à la fin du XIXème siècle, une véritable alliance précédant l’Entente. Par ailleurs, on dit que c’est précisément Dumas qui, dans l'une de ses notes de voyage, nous a légués cette expression « Un kliukva [canneberge] majestueux » à l’ombre duquel il aurait fait une sieste.

Citation : « Lorsqu’une femme kalmouke se sent sur le point d’accoucher, elle prévient les prêtres qui s’empressent d’accourir, et qui, debout devant la porte, implorent le Dalaï-Lama en faveur de l’enfant qui va naître. Alors, le mari prend un bâton […] et frappe l’air pour chasser les esprits malfaisants. Aussitôt que l’enfant a vu le jour, un parent s’élance hors de la kibitka (c’est ainsi que se nomme la tente kalmouke) ; l’enfant portera le nom du premier objet animé ou inanimé sur lequel s’arrêtera le regard de ce parent, et ainsi s’appellera Pierre ou Chien, Chèvre ou Fleur, Marmite ou Chameau. »

6. « Michel Strogoff : le courrier du tsar »


Auteur : Jules Verne

Année de la rédaction : 1875

Synopsis : Le soulèvement des Tatares en Sibérie. Le destin de la Russie est suspendu à un fil. Un jeune noble, Mikhaïl Strogoff, doit atteindre Irkoutsk avant les hordes tatares et prévenir le gouverneur local, frère du Tsar, de la catastrophe imminente. Strogoff traverse toute la Russie, franchit les montagnes et la taïga, des rivières abondantes et de grands lacs. Il fait connaissance de Nadia, une belle jeune femme. Il est capturé par l’ennemi, rendu aveugle au cours de sa détention, mais il parvient naturellement à remplir sa mission.

Attentes : La deuxième moitié du XIXème siècle voit de nouvelles découvertes géographiques dans le monde. Le progrès scientifique a aidé les Occidentaux à pénétrer dans les coins les plus reculés du monde. La popularité des voyageurs est comparable avec la gloire des stars du show-biz d’aujourd’hui et des cosmonautes. Les endroits les plus intéressants sur terre sont le Far West, l’Amazonie, l’Alaska, la Patagonie et l’Afrique Equatoriale. Et tout d’un coup, l’Europe se souvient qu’elle a un autre territoire inconnu sous la main : la Sibérie. C’est ici que naît une nouvelle utopie européenne : un pays qui ressemble à l’Europe, mais qui est meilleur par ses mœurs (plus purs) et ses caractères (plus forts), car formés par une nature exigeante.

En réalité : C'est l’image la plus flatteuse de la Russie dans l’histoire de la littérature française. Un pays idéal d’aventure : les hommes y sont forts et intrépides, les femmes sont courageuses et incroyablement belles. Lui, il est prêt à mourir pour le tsar, elle, elle est toujours prête à le suivre. L’impavidité et la dignité des Russes vont de paire avec les richesses naturelles de leur pays.

Conséquences : Si vous rencontrez un Français russophone, vous pouvez être sûr qu’il a lu Michel Strogoff dans son enfance et qu’il est tombé amoureux de la Russie. Dans des cas « extrêmes », ce Français a rêvé de s’enfuir en Sibérie et d'aider Strogoff à sauver le frère du tsar. Il est curieux qu’en Russie ce roman de Jules Verne soit pratiquement inconnu et qu'il ne soit pas inclus dans la plupart des éditions complètes de l’écrivain. En effet, en France, ce livre est vendu même dans les plus petites librairies. Le désir d’une utopie à portée de main est encore d’actualité pour les Européens.

Citation : « De sa véritable profession, [le père de Michel] Pierre Strogoff était chasseur. Eté comme hiver, aussi bien par les chaleurs torrides que par des froids qui dépassent quelquefois cinquante degrés au-dessous de zéro, il courait la plaine durcie, les halliers de mélèzes et de bouleaux, les forêts de sapins, tendant ses trappes, guettant le petit gibier au fusil et le gros gibier à la fourche ou au couteau. […] Pierre Strogoff avait tué plus de trente-neuf ours, et l’on sait, à en croire les légendes cynégétiques de la Russie, combien de chasseurs ont été heureux jusqu’au trente-neuvième ours qui ont succombé devant le quarantième ! […] A quatorze ans, Michel Strogoff avait tué son premier ours, tout seul – ce qui n’était pas rien - ; mais, après l’avoir dépouillé, il avait traîné la peau du gigantesque animal jusqu’à la maison paternelle, distante de plusieurs verstes – ce qui indiquait chez l’enfant une vigueur peu commune. »

 

7. « Tintin aux pays des Soviets »


Auteur : Hergé (de son vrai nom : Georges Prosper Remi)

Année de la rédaction : 1929

Synopsis : Un jeune reporter belge, Tintin, part dans ce pays lointain et mystérieux qu'est la Russie soviétique. A première vue, tout va bien dans cette contrée de paysans et d'ouvriers. Les bolcheviks jouissent d’un soutien incontestable du peuple, de nouvelles usines fonctionnant dans les villes. Pourtant, ce n’est qu’une illusion : les communistes forcent les électeurs à voter sous la pression des armes, les usines « marchent » sans matériel ni ouvriers. En vérité, des commissaires malins font brûler du foin dans les fours et tapent sur les rails pour faire du bruit et imiter l’activité industrielle. Moscou est en ruines, les villes comptent des foules de sans-abris.

Après avoir obtenu des informations exclusives, Tintin tente de fuir le pays des Soviets, mais se retrouve, par hasard, dans la « cachette de Lénine, Trotski et Staline » où sont gardés la vodka et le caviar « volés au peuple ». Après d’innombrables aventures, Tintin quitte enfin l’URSS après avoir démasqué un agent secret de Moscou déterminé à faire exploser toutes les capitales européennes.

Attentes : Pendant la première décennie de son existence, l’URSS était un monde nouveau et très vaste aux yeux des étrangers. Hergé ne partageait pas l'enthousiasme élogieux des socialistes pour la révolution soviétique, mais il tentait de mieux connaître cette nouvelle formation sur la carte de l’Europe. « Mais qui est donc ce commissaire du peuple dont j’ai entendu dire tant de choses différentes ? », se demande Tintin après avoir franchi la frontière soviétique. Il amène avec lui de nombreux stéréotypes traditionnels sur la Russie : la vodka, le caviar et les jolis endroits de Moscou. On aimerait savoir si l’on peut y ajouter quelque chose de neuf .

En réalité : La Russie est un pays arriéré, pauvre et totalitaire. Les gens y sont tous habillés de la même façon : bottes, pantalon bouffant, gilet simple et (le plus souvent) calot sur la tête ou chapka cosaque. À la place de jolis immeubles moscovites, Tintin ne trouve que des ruines. Un autre trait de la Russie : des champs enneigés à perte de vue. En gros, à la place de l’ancien monde détruit, on ne trouve que des ruines, plutôt que les signes d’un nouveau monde.

Conséquences : « Tintin au pays des Soviets » fut le premier épisode d’un cycle de BD très populaires. Ce personnage et son auteur ont dû attendre la gloire plusieurs années. On ne peut pas dire qu’Hergé soit parvenu à ajouter quelque chose à l’image de la Russie. Il a plutôt réuni et solidifié tous les stéréotypes existants, y compris celui d'un ours ivre qui figure dans le livre.

Citation : « Camarades ! On manque de blé ! Tout ce qu’on a, on le dépense pour montrer à l’Occident qu’ici, tout va bien !!! Il faut en trouver plus, sinon, c’est la famine !.. La seule issue, c’est d’organiser une expédition contre les koulaks, les paysans riches et de leur faire abandonner leur blé ! »

 

8. « Retour d’URSS »


Auteur : André Gide

Année de la rédaction : 1936

Synopsis : En 1936, le futur prix Nobel (et, à l’époque, l'un des écrivains français les plus importants) André Gide, en compagnie de ses collègues, arrive en URSS. Socialiste ardent, il espérait découvrir un État idéal. Reçu en grande pompe en Russie, André Gide a néanmoins écrit un pamphlet sur l’URSS à son retour.

Attentes : Le paradis socialiste avec Staline le sage à sa tête, telle était la vision de tous les libéraux de l’Ancien monde. Les nazis s’étaient déjà installés en Italie, en Allemagne et dans d’autres pays, y compris en France, où leur influence était très forte. Du coup, la gauche commençait à chercher de l’aide à l’Est et à y envoyer ses messagers.

En réalité : La Russie est un pays formidable, ses habitants sont gentils et talentueux, mais – hélas – la liberté d’expression ou le droit de choisir n’existent point. Le socialiste André Gide a été saisi d’horreur en voyant beaucoup de ses idées préférées devenir absurdes dans leur réalisation (par exemple, la propagande antireligieuse). La politique est mise en oeuvre avec violence et dans l’atmosphère du culte de Staline. L’écrivain refuse de croire à ce qu’il voit, mais se sent obligé de dire la vérité.

Conséquences : L’œuvre d’André Gide a sérieusement terni le mythe de l’URSS, perçue comme un État idéal par la gauche française.

Le scandale éclate. En URSS, on ridiculise André Gide dans un vers populaire : « Lion Feuchtwanger tente d’entrer d’un pas furtif // Faites gaffe à ce que ce p’tit Juif ne soit un autre André Gide ! »

Citation : « Nous admirons en U.R.S.S. un extraordinaire élan vers l'instruction, la culture ; mais cette instruction ne renseigne que sur ce qui peut amener l'esprit à se féliciter de l'état de choses présent. […] Cette culture est toute aiguillée dans le même sens ; elle n'a rien de désintéressé ; elle accumule et l'esprit critique (en dépit du marxisme) y fait à peu près complètement défaut. »

 

9. « Les Hommes du Tsar »


Auteur : Vladimir Volkoff

Année de la rédaction : 1989

Synopsis : Le sujet du roman s’articule autour des trois personnages : le Tsar Ivan le Terrible, un mystique sanguinaire, Boris Godounov, décrit par Volkoff comme un jeune idéaliste, et un valet de meute que le Tsar excentrique a transformé en un des seigneurs les plus puissant du pays. Fils d’un officier de Koltchak devenu chauffeur de taxi après son arrivée en France, Vladimir Volkoff s’est spécialisé  dans l'écriture de thrillers consacrés à l'espionnage sans jamais oublier ses racines russes. Il a écrit une trilogie, Les Hommes du Tsar, sur la fin du règne d’Ivan le Terrible, le Temps des Troubles et le début du règne des Romanov. Tout au long du roman, les personnages conduisent des dialogues prolixes et, selon leurs capacités et le moment, se gâchent mutuellement la vie en dévoilant au lecteur français tous les mystères de l’âme russe.

Attentes : À travers les descriptions du temps d’Ivan le Terrible et du Temps des Troubles, Volkoff essaye de comprendre ce qu’est réellement ce pays et s’il représente une menace pour le monde européen instruit. Peut-être la tyrannie de ce tsar a-t-elle fait naître le penchant ultérieur des Russes pour le despotisme ?

En réalité : La Russie est un pays où tout est possible et dans lequel tout est concentré entre les mains d’un tyran qui, demain, peut agir selon ses caprices.

Conséquences : La recherche de la solution de l’énigme de l’âme russe est une préoccupation importante et bien répandue chez les Français russophiles. Selon eux, une fois la solution trouvée, ils pourront enfin tout comprendre de la Russie. Un bon moyen pour cela consiste à fouiller dans l’histoire russe, ce que prouvent les livres de Volkoff. Le moment de la parution des Hommes du Tsar est logique : à la fin des années 1980, la Russie, en proie à de profonds changements, intéressait tout le monde. L’Europe voulait comprendre ce qui allait être construit à la place de l’URSS en ruines. L’un des points de bifurcation dans l’histoire russe, selon, les Européens, fut le Temps des Troubles. En réalité, dans les années 1990 et 2000, après une courte période assimilable au « Temps des Troubles », on a assisté au retour d’une nouvelle « autocratie ».

Citation : « Ivan n’avait que treize ans, treize ! Mais il réunit la Douma et déclara : « Boyards, je vous ai réunis ici pour vous déclarer que je suis outré. Vous vous comportez comme des voleurs et des loups ! » A quel point le pouvoir du Tsar était-il sacré, pour que les gros boyards s’inclinèrent devant un enfant. »

 

10. « Au secours pardon »


Auteur : Frédéric Beigbeder

Année de la rédaction : 2007

Synopsis : Un Français cynique part pour Moscou dans les années 2000 à la recherche d’un mannequin dans le but de faire de la publicité pour une firme de cosmétiques. Pour des raisons liées au « politiquement-correct », les bosses de la firme demandent que l’élue soit une jeune femme tchétchène. Pourtant, les dirigeants n’ont aucune idée du faciès des montagnards, et le héros arrive à leur « fourguer » une blonde Lena de 13 ans, originaire de Saint-Pétersbourg. Entre les entrevues avec l’élite russe, la vodka, la consommation de drogues et la fréquentation de prostituées, le personnage principal tombe amoureux de Lena. Cependant, celle-ci le quitte pour un oligarque qui porte un nom à la Dostoïevski : Idiot. L’amoureux déchu réunit l’élite russe dans l’église du Saint-Sauveur et fait exploser l’endroit.

Attentes : La Russie qui est généralement associée aux « folles » années 1990 : la misère et l’argent fou, les drogues et les prostituées, les bandits et les oligarques, un pays de l’absurde et possédant de grands potentiels. C’est ainsi que les Européens ont vu la Russie post-soviétique au moins jusqu’à la moitié des années 2000.

En réalité : Le roman a été écrit à la suite à de nombreux voyages de Beigbeder à Moscou. Il a vu ce qu’il voulait y voir : des bandits, des oligarques fous et des beautés à vendre. Pour l’auteur, qui représente la société européenne relativement stable de l’ « ancien temps », l’époque des changements et de l'instabilité, avec son culte de la chance, son esprit d'entreprise et sa gaillardise, est très séduisante par son côté romantique et aventurier.

Conséquences : Frédéric Beigbeder est encore plus connu en Russie qu’en France. En Russie, le mythe des années 1990 devient plus fort avec l’installation d’une stabilité durable. Si, dans les années à venir, on n’assiste pas à de grands bouleversements, on peut s’attendre à ce que ce mythe s'enrichisse encore de nouvelles légendes. A la fin, ce mythe solide sera aussi loin de la réalité que le sont les légendaires bandits américains du Far West. Les méchants de la série télévisée « Le Pétersbourg des bandits » deviendront des stars glamour de superproduction cinématographique.

Citation : « Il fallait trouver les filles avant qu’elles ne tombent sur un magnat du pétrole ou un banquier qui les gâterait. Après elles ne voulaient plus travailler, elles avaient vite un appartement et une bagnole. […] À Moscou, on devait agir vite, il fallait les dénicher de plus en plus tôt, avant que Peter Listerman ne leur glisse un diamant dans la bouche. Vous ne connaissez pas Peter ? C’est un Israélien qui a une piscine olympique et une piste de ski dans sa datcha. Difficile de lui résister, elles tombent toutes dingues de lui ! Et après elles ne veulent plus faire de photos à moins de 100.000 euros de l’heure. Prenez par exemple Anna Kuznetsova, la star d’Avant Agency, découverte dans le petit village de Medvetsevo. À 17 ans, elle est déjà hors d’atteinte ! »

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