Expansion tout azimut des russes

Crédits photo : Photoxpress

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L'accord historique entre BP et Rosneft offre l'exemple le plus frappant d'une tendance récente où les groupes russes investissent des régions de plus en plus éloignées à l'extérieur de leurs frontières

Fort étonné fut l’observateur posté à la fenêtre d’un bureau avec vue sur le Kremlin, par un soir glacial de l’hiver russe, de voir telle petite troupe s’affairer autour d’un objet impossible à distinguer… Le bureau existe, c’est celui de Rosneft, la principale compagnie pétrolière du pays.

Quant à l’objet microscopique, il s’agit d’Edouard Khoudaïnatov, le nouveau PDG enthousiaste de la compagnie, qui exposait, devant une foule de journalistes et d'analystes de l'industrie, ses projets d’avenir pour la compagnie. Selon lui, en 2010, la Russie battrait le record d'extraction de toute la période postsoviétique.
 
Parmi les sujets évoqués, Khoudaïnatov, grandi dans les orphelinats russes, sur sa volonté de voir Rosneft devenir un producteur mondial opérant sur tous les continents.

Vendredi, il a prouvé qu’il était tout sauf velléitaire ; il a annoncé le plus gros accord de l'histoire de Rosneft, qui lie la compagnie au géant international du pétrole BP.

Rosneft n'est toutefois pas la seule à nourrir des ambitions internationales. L'année dernière, TNK-BP a acquis 1,8 milliards de dollars d'actifs au Venezuela et au Vietnam, tandis que LUKoil déclarait en septembre que le potentiel pétrolier de l'Afrique de l'ouest était supérieur à celui de la Sibérie occidentale.

« L'industrie pétrolière est prête à s'étendre à l'étranger » a déclaré Lev Snykov, analyste de VTB Capital, « Ce sera la tendance de l'année à venir ».

Les forces qui poussent les compagnies gazières et pétrolières hors de Russie,  dont les terres recèlent pourtant les principales réserves mondiales d'énergie, peuvent sembler opaques à certains observateurs.

Cette volonté de diversification géographique est le résultat de très fortes taxes intérieures tout comme de l’incertitude qui entoure le futur de la production russe.

Les experts contactés par The Moscow Times ont souligné que la clarté en matière de régime d'imposition, l’un des dossiers phares du gouvernement pour 2011, aurait de très fortes implications sur le long terme.

« Du point de vue des investisseurs, il n'y a que les impôts qui comptent », a indiqué Constantin Tcherepanov, analyste chez UBS. La production russe est maintenue à flot par d'importants gisements – comme celui de Vankor contrôlé par Rosneft – mis en exploitation il y a moins de dix ans, a-t-il ajouté. Mais à mesure que ceux-ci commenceront à se tarir au cours des trois à cinq ans à venir, le pays pourrait faire face à un déclin de sa production ».

De nombreuses compagnies contrôlant des réserves à l'apogée de leur rentabilité s'abstiennent d'investir en raison du flou de l'État en matière d'imposition. Le PDG de Surgutneftgaz, Vladimir Bogdanov, a indiqué en décembre que sa compagnie « pouvait atteindre la croissance grâce à l'intensification du redémarrage ; mais ce ne serait pas possible avec l’actuel fardeau fiscal actuel ».

L'accord conclu la semaine dernière par Rosneft et BP, qui établit la coopération des compagnies dans l'exploitation de vastes réserves encore intactes du plateau continental arctique, s’est accompagné de la promesse du Premier ministre Vladimir Poutine de créer « un  régime fiscal très favorable à la réalisation de ce projet »

L'accord conclu la semaine dernière par Rosneft et BP, qui établit la coopération des compagnies dans l'exploitation de vastes réserves encore intactes du plateau continental arctique, s’est accompagné de la promesse du Premier ministre Vladimir Poutine de créer « un  régime fiscal très favorable à la réalisation de ce projet ».

Bien qu'aucune refonte significative du système fiscal ne soit prévue, l'industrie s'attend à quelques ajustements à venir dans l’année.

Écartelé entre la perspective d'une augmentation des impôts, par trop pénalisante, et un allègement fiscal impossible compte tenu des pressions budgétaires, le gouvernement pourrait envisager de répartir les taxes au sein du secteur.

Selon M. Tcherepanov, il est probable qu'une partie du fardeau fiscal sera transférée de la prospection et de la production vers les complexes situés en aval. Les travaux de construction au Tatarstan par Tatneft de la première raffinerie mise en place depuis la chute de l'URSS ont pris fin en 2010. Elle devrait entrer en service en début d'année.

Le régime fiscal n'est cependant pas la seule question cruciale. Inauguré par l'union de BP et Rosneft, l'ordre du jour de l'année 2011 comprend également la question des partenariats potentiels.

Le choix du partenaire de Bashneft dans l'exploitation des énormes champs de Trebs et Titov est d'une grande importance. Nombre considèrent que LUKoil est le mieux placé pour jouer ce rôle.

La plus grande compagnie gazière indépendante, Novatek, est également susceptible de rechercher un partenaire cette année, peut-être étranger, afin de l'assister dans les travaux d'extraction dans la péninsule de Iamal.

Pour ce qui est de l'industrie gazière, elle connaîtra un tournant important au second semestre quand le gaz commencera à circuler dans le premier tronçon du gazoduc Nord Stream reliant directement la Russie à l'Allemagne via la mer Baltique, lorsque la réalisation de ce projet qui aura coûté 10 milliards de dollars arrivera à son terme.

Rosneft et BP ont fait le premier pas, mais d'autres décisions de premier plan modifieront sans doute la stratégie énergétique du pays dans la région riche, mais largement inexploitée, de l'Arctique. L'énorme gisement gazier de Shtokman, dans la mer de Barents (géré par Gazprom, Total et Statoil), attire pour l’instant toutes les attentions. L'année dernière, la date de lancement des livraisons gazières de ce gisement avait été repoussée à 2016.

« La Russie produira-t-elle du GNL dans l'Arctique dans le cadre de ce projet, qui a été compliqué par la situation du marché américain ? », s'interroge Maria Koutouzova, rédactrice en chef du magazine Pétrole de la Russie. « Cette question reste ouverte ».

Des doutes ont émergé quant à la viabilité financière de ce projet en raison de la chute de la demande en GNL aux États-Unis. Ces derniers se tournent de plus en plus vers les réserves de gaz non conventionnelles, notamment le gaz de schiste. La décision finale concernant les investissements dans Shtokman, dont la première tranche est estimée à 15 milliards de dollars, sera prise au printemps 2011.

Après l'Arctique vient l'Asie, non seulement en vertu des lettres de l'alphabet, mais surtout parce que cette région devrait constituer une autre zone d'activité pétro-gazière de premier plan cette année : la Russie cherche à accroître ses livraisons vers l'Est.

Le PDG de Gazprom Alexeï Miller a déclaré en novembre que « le volume des livraisons de gaz russe sur le marché asiatique pourrait égaliser celui des livraisons à l'Europe d'ici peu ».

Ce sont les exportations de pétrole, toutefois, qui ont les premières connu une forte croissance. A peine les Russes avaient-ils éteint leurs télévisions suite au message de félicitations du président le soir du nouvel an, qu'à 00h30 le premier janvier, le brut commençait à affluer vers la Chine par un nouvel oléoduc.


 « A peine les Russes avaient-ils éteint leurs télévisions suite au message de félicitations du président le soir du nouvel an, qu'à 00h30 le premier janvier, le brut commençait à affluer vers la Chine par un nouvel oléoduc »

Le pipeline Skovorodino-Daqing a été construit par Transneft et par la China National Petroleum Company, avant d'être inauguré par le président Dmitri Medvedev et son homologue chinois Hu Jintao en septembre. Il constitue une extension de l'oléoduc Sibérie orientale – Océan pacifique, dont la construction par le monopole public Transneft a été la source d'un vol présumé de 4 milliards de dollars. Rien qu'en janvier, 1,3 millions de tonnes devrait traverser la frontière par cette conduite.

Les intérêts croissants de Moscou à l'Est sont sous-tendus par les prévisions selon lesquelles le déficit énergétique de l'Asie pourrait au cours des 20 prochaines années devenir sept fois supérieur à celui de l'Europe et de l'Amérique, cette zone devant représenter 75% de la croissance de la demande mondiale d'ici 2030.

C'est en matière de prix des livraisons gazières à la Chine que des décisions cruciales sont attendues en 2011. Selon les calculs de Mikhaïl Korchemkine, directeur d'East European Gas Analysis, Gazprom voulait initialement faire payer aux Chinois trois fois le prix du marché pour son gaz.


Le vice-premier ministre Igor Setchine a déclaré que le différentiel de 100 dollars entre le prix demandé par la Russie et celui que les Chinois acceptent de payer pour 1.000 mètres cube allait être résolu, mettant fin à des négociations pénibles qui fêteront leurs cinq ans en milieu d'année.

Les volumes de l'accord ont déjà été fixés. Gazprom livrera 30 milliards de mètres cube de gaz par an à la Chine au cours des trente prochaines années, les livraisons devant débuter en 2015.

Finalement, un tour d'horizon des perspectives du secteur des ressources naturelles doit prendre en compte les prévisions concernant la volatilité du brut, un indice clé pour le gouvernement qui engrange 45% de ses revenus fédéraux sous forme d'or noir. En 2010, le prix moyen d'un baril de pétrole était de 77,5 dollars, mais une hausse vigoureuse sur cinq mois lui a fait percer le seuil des 100 dollars, pour atteindre $100,37 vendredi, un record depuis 27 mois.

Les analystes de JPMorgan et Goldman Sachs ont déclaré que le prix du brut continuerait de grimper tout au long de 2011, avant d'atteindre les 120 dollars courant 2012. Le ministère russe du Développement économique est moins optimiste, tablant sur un prix moyen du baril de 81 dollars en 2011.

Pour sa part, le ministre des Finances Alexei Koudrine est encore plus prudent. « Le prix du pétrole ne peut être prédit précisément, particulièrement sur plus d'un an et dans des conditions de croissance fragile », a-t-il déclaré à Vedomosti courant décembre. Selon lui, une croissance économique stable ne peut être atteinte que si le baril se stabilise au dessus de 60 dollars le baril. Quelles que soit ses prédictions, M. Koudrine souhaite ardemment un pétrole évoluant au dessus de 100 dollars, ce qui permettrait à la Russie de venir à bout du déficit budgétaire.

Mais tous ne s’accordent pas pour affirmer que des prix du pétrole élevés seront profitables à la Russie sur le long terme. « Du point de vue de la santé et de la qualité de l'économie », a déclaré Tcherepanov, d'UBS, « je préfèrerais que le gouvernement essaie de trouver des solutions en recourant à des instruments fiscaux plutôt qu'en s'en remettant à la hausse des prix du pétrole pour résoudre tous les problèmes ».


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