Tous les ingrédients d’un nouvel Afghanistan (+Infographie)

83 000 personnes appartenant à l'ethnie ouzbèke ont fuile territoire kirghiz vers l'Ouzbékistan à la suite des affrontementssurvenus dans les provinces sud de la république.Crédits photo : RIA Novosti

83 000 personnes appartenant à l'ethnie ouzbèke ont fuile territoire kirghiz vers l'Ouzbékistan à la suite des affrontementssurvenus dans les provinces sud de la république.Crédits photo : RIA Novosti

À l’heure de la mondialisation, on ne peut ignorer cet immense ensemble du monde, même si nos manuels scolaires ont quelque peu oublié de nous en parler ! On peut d’autant moins l’ignorer que l’Occident y est déjà engagé (on pourrait dire embourbé), la France ayant pour sa part un contingent en Afghanistan dont une des bases arrières est précisément au Kirghizstan.

Parmi les raisons sous-jacentes du carnage interethnique s’entrecroisent, comme en Afghanistan, la drogue, les trafics et mafias, la situation de la femme et des enfants, l’islamisme et surtout la pauvreté qui, comme toujours, fait le lien de tout ça…

Le président russe Dmitri Medvedev ne s’y est pas trompé qui, au cours de son voyage aux États-Unis en juin, a mis en garde l’opinion mondiale contre une division possible du Kirghizstan, avertissant que cette ex-république soviétique pourrait se transformer en un Afghanistan bis.

Le sud-Kirghizstan : maillon faible de l’Asie centrale

La région où se sont passés les massacres porte le nom exotique de vallée de la Ferghana. Ça sonne comme un titre de film ou de roman d’aventures.

Un pouvoir en quête de légitimité

Des violences interethniques ont fait plus de 2 000 morts au mois de juin dans le sud du Kirghizstan, selon la présidente kirghize par intérim Rosa Otounbaïeva. Elle assumait depuis la mi-avril la présidence d’un gouvernement provisoire, à la suite d'un soulèvement populaire sanglant qui a chassé le président Kourmanbek Bakiev. Ce dernier était lui-même arrivé au pouvoir à la faveur des violences d’une « révolution de couleur », dite des tulipes en 2005, chassant le président Askar Akaev qui était aux manettes depuis l’époque soviétique. Les massacres interethniques ont aussi provoqué le déplacement de près de 400 000 personnes et poussé près de 75 000 réfugiés (83 000 selon certaines estimations) à traverser provisoirement la frontière de l’Ouzbékistan voisin. La plupart sont revenues. Le référendum voulu par le gouvernement provisoire pour légitimer son pouvoir a pu se dérouler malgré tout dans l’ensemble du pays le 27 juin, mais la situation reste précaire et malheureusement tout est possible, tant le contexte local est volatil et à la merci de n’importe quelle provocation. D.K.

Et bien sûr, la réalité dépasse la fiction. La vallée de la Ferghana est séparée du nord du Kirghizstan, où se trouve la capitale Bichkek, par de hautes montagnes. Elle est souvent isolée car les quelques routes de cols se retrouvent coupées en hiver et au printemps par les avalanches de neige, de rochers et des coulées de boue. Toute la région est répartie sur trois pays aux frontières biscornues et aux nationalités entremêlées : l’Ouzbékistan, le Tadjikistan et le Kirghizstan. Elles sont toutes musulmanes et à part les Tadjiks persanophones, parlent des langues turques.

Des traditions nomades et sédentaires se mêlent avec les antagonismes séculaires pour la terre, les pâturages, les cultures et l’eau. C’est une des raisons des frictions interethniques héritées de l’Histoire. Staline a évidemment jeté de l’huile sur le feu, en dessinant des frontières artificielles créant des minorités et un potentiel de tensions chez les uns et les autres. Tant qu’il y avait l’URSS, les antagonismes s’amortissaient dans la masse d’un empire et le régime totalitaire. Mais dès les débuts de la Perestroïka, c’est dans la vallée de la Ferghana que se sont produits les premiers affrontements entre nationalités qui ont marqué l’implosion de l’Union soviétique. Comme aujourd’hui, ils ont mis aux prises Kirghizes et Ouzbeks.

La Ferghana : des Basmatchis aux zones tribales

Dans la vallée de la Ferghana, la guerre civile, qui a saigné l’empire russe au lendemain de la révolution de 1917, a duré jusque dans les années 35-36. Les détachements de l’Armée rouge se sont heurtés à une résistance farouche des Basmatchis, groupés sous le drapeau de l’islam et de l’organisation sociale, largement féodale, qui prévalait dans la région contre la « soviétisation » de l’Asie centrale. Cette dernière visait notamment à casser le système féodal en instituant une école non confessionnelle pour tous, filles et garçons, à lutter contre le voile et l’endettement menant à l’esclavage (en raison de la pratique de la dot), contre les mariages forcés, la religion mais aussi contre les Beys (seigneurs féodaux) et les émirs. La politique de collectivisation des terres et de la production et l’institution du régime totalitaire de parti unique ont suivi.

Des survivants des Basmatchis et des émirats de Boukhara ou Khiva (aujourd’hui en Ouzbékistan) ont trouvé refuge à l’époque en Afghanistan, où vivent aussi des Ouzbeks, des Tadjiks et des Kirghizes… et dans les zones tribales du Pakistan (à l’époque, l’Inde sous domination britannique), où aujourd’hui les troupes de l’OTAN et l’armée pakistanaise combattent quotidiennement les talibans afghans, en majorité d’ethnie pachtoune…

Cet héritage historique et la situation géographique, économique et politique actuelle se prêtent à une éventuelle sanctuarisation pour des groupes islamistes, en appui ou en relais des zones tribales pakistanaises et afghanes.

Pouvoirs des clans et des mafias

Les barons de la drogue de tous calibres, parfois mêlés aux commandants islamistes-talibans et parfois en conflit avec eux, ont aussi une influence dans la région. L’Afghanistan est le premier producteur d’opium du monde. L’une des principales routes de l’exportation de drogue passe par Osh et Djalal-Abad, au sud du Kirghizstan, où ont eu lieu les affrontements. L’Ouzbékistan et le Kirghizstan sont aussi des pays producteurs de marijuana-haschisch et d’opium-héroïne. Entre le transit, la production et une consommation locale non négligeable, les clans concernés par des contrôles de territoires ou de marchés ne manquent pas.

S’y ajoutent les combats politiques du moment, qui ont cette fois servi d’étincelle. L’ex- président Kourmanbek Bakiev, chassé du pouvoir début avril à la suite d'un soulèvement populaire sanglant (notre encadré) est originaire de Djalal-Abad. Il représentait les « clans du sud », lors de son arrivée au pouvoir, cinq ans plus tôt à la faveur d’une « révolution » de couleur, moins médiatisée que ses clones ukrainien, géorgien ou libanais…

Le gouvernement provisoire, qui lui a succédé à Bichkek, était incapable de contrôler le pays et particulièrement au sud, favorable à « l’enfant du pays ». A Djalal-Abad, des partisans de Bakiev se sont emparés de bâtiments administratifs du pouvoir à la mi-mai. Le gouvernement provisoire semble avoir fait appel à une milice ouzbèque locale pour les chasser. Compte tenu des antagonismes locaux entre les deux ethnies, c’était une erreur et les Kirghizes ont protesté. Le gouvernement provisoire a aggravé son cas, en autorisant des poursuites judiciaires contre le chef ouzbek des milices qu’il avait lui-même sollicité, un homme d’affaires et universitaire. Le cycle des vengeances et des règlements de comptes était ouvert…

L’ex-président Bakiev a obtenu un refuge politique en Biélorussie. Le récent conflit gazier en juin entre la Russie et la Biélorussie n’est pas sans rapport avec les tensions dans cette région trop fragile pour être négligée par les Russes.

Une petite fille d'origine ouzbèque se réfugie auprès de sa maman au moment où des policiers Kirghiz procèdent à une perquisition à Osh au sud du Kirghizstan le 22 juin dernier. Des organisations de droit de l'Homme ont accusé des forces de police Kirghizes de violence et d'exactions contre les populations d'ethnie ouzbèque, renforçant les plaintes de ses dernières contre des collusions supposées entre forces de l'ordre Kirghizes et personnes se livrant à des violences interethniques. Ces violences ont aussi pour résultat de décourager les nombreux réfugiés de retourner chez eux. Crédits photo : Sergey Ponomarev, AP Photo
Misère et émigration

Pour que mettre le feu aux poudres, il suffisait d’une autre étincelle : la misère, le désarroi idéologique postsoviétique, la désagrégation des familles, du système éducatif et des références morales et sociales y ont pourvu.

L’éclatement de l’URSS a pris ces pays par surprise et a totalement déstructuré l’économie, provoquant un chômage massif, des industries à l’abandon, une agriculture en quenouille, des crises d’identité, aggravées par un recul de la scolarisation et de la russophonie. Le tout accompagné par la drogue, le retour à grande échelle de coutumes anciennes caricaturales, comme l’enlèvement violent des fiancées, les mariages de gamines de 13 ans avec une prière comme seul état civil, la polygamie et la prostitution, un islamisme assis sur l’ignorance et entretenu par la destruction des jardins d’enfants et des écoles, au profit de mosquées financées généreusement par des États du Golfe. Les familles sont détruites par l’émigration économique massive des parents au Kazakhstan ou en Russie et des gosses confiés à des grands-parents souvent totalement dépassés… L’émigration économique est d’ailleurs en cascade car des Ouzbeks et des Tadjiks encore plus pauvres viennent chercher des revenus au Kirghizstan ! Le tout encore accentué par la crise économique mondiale qui a frappé la Russie, réduisant les sommes d’argent que de nombreux émigrés envoyaient au pays.

Ce maillon faible de l’Asie centrale aurait pu céder si les autorités ouzbèques avaient répondu aux appels à l’intervention armée. Sans doute aussi, si les Russes avaient envoyé des gendarmes comme le leur demandaient les autorités kirghizes, encore bien mal installées. « La Russie n'a pas prévu et ne prévoit pas d'y envoyer son contingent de paix, bien que les consultations sur ce sujet aient été menées », avait déclaré Dmitri Medvedev aux États-Unis, devant le président Barack Obama.

Ce dernier est décidément différent de son prédécesseur et la retenue des voisins et des grandes puissances au cours de cette crise a sans doute évité le dérapage vers un second Afghanistan, comme le craignait Medvedev, en pensant sans doute à ce qui se serait passé sous George Bush.



L'INFOGRAPHIE :



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