Faites des blinis, pas la guerre ! (+Vidéo)

Les activiés de Rossotroudnitchestvo prouventque le Proche-Orient reste une région géopolitique prioritairepour l’influence russe.Crédits photo : Darko Vojinovic, AP

Les activiés de Rossotroudnitchestvo prouventque le Proche-Orient reste une région géopolitique prioritairepour l’influence russe.Crédits photo : Darko Vojinovic, AP

La Russie veut de nouveau se faire entendre au Proche-Orient. Au Liban, elle ne vient pas, cette fois, armée de kalachnikovs, mais de blinis et de ballets.

Dans l’air humide d’une chaude soirée méditerranéenne, des 4x4 de luxe ralentissent et se garent le long du trottoir d’une rue animée, ornée de lilas et de bougainvilliers roses. « Bystreï ! [dépêche-toi] », crie une gamine à son père. « Ya seïtchas ! [j’arrive] », répond-il, avec un lourd accent oriental.

Main dans la main, ils courent vers un bâtiment de cinq étages et s’engouffrent dans une salle en sous-sol. Ici, loin des chantiers bruyants de Beyrouth en plein essor, ce concert d’un groupe folklorique russe paraît presque surréaliste : « Les bouleaux se dressent dans un silence ensommeillé. Et la neige tombe dans la lumière dorée ». La douce mélodie de l’accordéon et de la guitare jette un voile de mélancolie sur le public.

En 60 années d’existence, le Centre de Russie pour la Science et la Culture de Beyrouth s’est transformé, passant d’une école de langue et de ballet à tous les étages pendant la journée, à un centre de loisirs et de fêtes le soir ; mais quand la guerre reprend, il sert aussi d’abri contre les bombes pour les Russes de la capitale libanaise.

La communauté russe de Beyrouth a grandi toute seule, après avoir été à l’origine liée aux pèlerins orthodoxes qui, pendant des siècles, se sont rendus à pied à Jérusalem, certains s’arrêtant là où se situe aujourd’hui le Liban. Cette communauté a reçu le renfort d’officiers blancs, venus avec l’armée d’occupation française dans les années 1920, pour travailler en tant que topographes. Dès les années 1930, ils étaient près de 3 000 Russes blancs à vivre dans la ville, organisant notamment un bal russe annuel, tandis que les Soviétiques offraient des bourses aux communistes libanais.

L’approche de Medvedev

Il y a du nouveau. Afin de renforcer le pouvoir diminué de la Russie dans le monde et promouvoir la langue et la culture russes, le président Medvedev a fondé, il y a deux ans, une agence fédérale, Rossotroudnitchestvo (collaboration russe). Le financement de l’agence a augmenté d’au moins 50% l’an dernier. Cette année, l’État a investi 424 millions d’euros dans divers programmes humanitaires et les salaires des employés des 72 centres culturels de par le monde. Plutôt que de repartir à zéro, on mise sur les diasporas russes existantes, en s’adaptant aux particularités et intérêts de poches de culture russe aussi peu connues que celle de Beyrouth.

La coopération par le biais de 
l’enseignement à distance

Afin d’aider des professeurs de russe tels que Marina Yermilova-Sarieddine, Rossotroudnitchestvo est en train d’élaborer un programme d’enseignement à distance financé par Gazprom. Les professeurs russes auraient la possibilité d’enseigner aux étudiants étrangers sans quitter leurs salles de cours de Moscou ou Saint-Pétersbourg. L’agence finance également des programmes d’échanges pour 400 étudiants de divers pays, en espérant atteindre le chiffre de 3 000 d’ici à deux ans. « La Russie et les États-Unis ont cessé leur compétition militaire au Proche-Orient », dit Sergueï Vorobiev, un attaché culturel à l’ambassade de Russie au Liban. « La course reprend, avec les États-Unis et la France, mais sur le terrain de la culture et de l’économie désormais ». Vorobiev ajoute qu’une étude récente dans 50 pays a montré que c’est au Liban que l’attitude est la plus positive envers la Russie.

Selon le vice-président de l’agence, Mikhaïl Kojokine, le Proche-Orient est une région géopolitique prioritaire pour l’influence russe. Le Centre russe de Damas compte 500 étudiants, et celui de Tel-Aviv organise des concours d’écriture pour les jeunes de l’immense diaspora russe d’Israël. L’année dernière, l’agence a inauguré un nouveau centre russe à Amman, en Jordanie.

Néanmoins, Ekaterina Sokirianskaïa, de l’Organisation Non Gouvernementale « Memorial », reste sceptique sur les sommes investies dans ces Centres pour la Science et la Culture au Proche-Orient. Selon elle, cet argent serait plus utile à certaines républiques de la Fédération de Russie : « Je n’ai jamais vu de palais de la culture à Grozny ou Nazran. Les enfants de Tchétchénie et d’Ingouchie ne voient pas les Russes danser des ballets ou chanter des opéras : ils pensent que tous les hommes russes portent des uniformes et patrouillent dans les rues ».

Au Proche-Orient comme à la maison

«Je pense que les Russes ont la possibilité d’égaler les Américains et les Français en terme d’influence culturelle au Liban» estime Leena Saïdi, une productrice de films documentaires. «Nos cultures et nos valeurs sont largement similaires. La principale barrière reste la langue. Ce sont les Libanais qui sont allés étudier en Russie dans les années 80 et 90 qui continueront à former le cœur de la communauté russophile»

Les 10 000 Russes de la diaspora et les 10 000 Libanais qui ont étudié dans les universités soviétiques dans les années 1980 et 90 attendent beaucoup de la promesse de Moscou de régler leur principal problème au Liban, la sécurité. Le rôle traditionnel de la Russie dans les pays arabes - vente d’armes et ingénierie industrielle – n’a pas disparu. En quête de soutien militaire et de contrats, le président libanais Michel Suleiman s’est rendu à Moscou en février. À cette occasion, Medvedev a déclaré que la sécurité mondiale et régionale était « le sujet le plus brûlant » dans les négociations russo-libanaises.

Une histoire commune

La première vague d’émigrés russes fuyant la révolution bolchevique a formé le noyau de la classe professionnelle de Beyrouth. La Société topographique des officiers blancs dessinait des cartes du Liban pour l’armée française. L’un d’entre eux, Alexandre Serov, était le fils d’un célèbre peintre russe, Valentin Serov. Sa famille vit toujours dans la même maison ottomane que dans les années 1940, non loin de l’Université américaine de Beyrouth (UAB).




Représentation à l’étranger

Grigori Seroff, qui préfère l’ancienne transcription de son nom, enseigne l’architecture à l’UAB et peint de magnifiques aquarelles de paysages ruraux et urbains libanais. L’année dernière, Vladimir Poutine a décerné à 
Seroff et à son épouse française Florence des médailles pour leur contribution à la promotion de la culture russe au Liban. « À Moscou, j’ai expliqué à tous qu’après 80 ans de vie à Beyrouth, je suis resté 100% russe, mais je suis aussi devenu 100% libanais », plaisante Seroff.

Un nouveau rôle ?

Les étudiants de l’Université américaine de technologie au Liban ont célébré le Jour des étudiants, fête traditionnelle russe, en récitant des poèmes de Pouchkine et la Maslenitsa, la fête de la chandeleur, en se gavant de blinis. « Il ne faut pas se faire d’illusions, la Russie ne réglera pas les conflits au Proche-Orient en enseignant le ballet ou en préparant des blinis », conclut Kojokine. « Mais c’est le début de la restauration de son influence dans la région ».





L’expansion de Rossotroudnitchestvo :




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