Les « Architectes de papier » au secours des chefs d’ œuvre en péril du vieux Moscou

Projet « Matriochka » conçu par Avvakoumov en 2004  www.avvakum.com

Projet « Matriochka » conçu par Avvakoumov en 2004 www.avvakum.com

Les « Architectes de papier », un groupe non conformiste né au temps de l’Union soviétique, élaboraient à l’époque des projets condamnés à ne pas être réalisés. Aujourd’hui, c’est ce qui existe qui est menacé...
Pouvez-vous décrire le mouvement des « Architectes de papier » en Russie, l’ambiance sociale qui régnait à cette époque et ce contre quoi ces architectes luttaient ?

L’architecture de papier était un genre d’architecture conceptuelle en URSS dans les années 1980, il s’agissait de plans qui n’ont jamais vu le jour, de « projets de projets ». Historiquement, la formule « architecture de papier » était une expression péjorative qui est apparue à la fin des années 1920 et désignait des idées absurdes éloignées des exigences vitales. Pour nous, c’était l’occasion de présenter nos projets dans des concours internationaux à l’étranger en contournant les restrictions imposées par les censeurs soviétiques. Nous formions également un groupe de jeunes architectes utopiques diplômés de l’Institut d’Architecture de Moscou.

Observez-vous un intérêt de plus en plus vif pour l’avant-garde russe ? En quoi les œuvres de ce mouvement sont-elles toujours d’actualité ?

Dans les années 1980, j’étais le seul architecte qui revendiquait l’utilisation des styles constructiviste et suprématiste dans mon travail. Récemment, lors d’un concours des plus beaux bâtiments de Russie, le premier prix fut décerné à une école d’enseignement général moscovite qui semble entièrement d’influence constructiviste. Si l’indéboulonnable maire de Moscou, Iouri Loujkov, ne s’y était pas opposé, Moscou serait aujourd’hui une ville constructiviste.

Quel est l’état de l’architecture russe aujourd’hui ?

Le secteur de la construction, en Russie comme partout ailleurs, est en crise, et ceci est une bonne chose ! Car la rapidité avec laquelle les bâtiments historiques de Moscou sont rasés et remplacés par des centres commerciaux et des immeubles de bureaux pendant les années fastes de la promotion immobilière est sans précédent. Les architectes, comme l’a montré le dernier Festival russe d’architecture, travaillent maintenant davantage sur des projets sociaux.

Quel est votre bâtiment préféré à Moscou ?

Mes bâtiments préférés à Moscou sont ceux qui risquent à présent d’être démolis : le « Monde des enfants » d’Alexeï Douchkine, l’imprimerie d’Ogonyok d’El Lissitzky, la Maison centrale des Artistes de Nikolay Sukoyan.

Pensez-vous que les Russes devraient davantage se préoccuper de la conservation des bâtiments modernistes ?

Je ne diviserai pas l’architecture en différents styles afin de déterminer ce qui doit être conservé et ce qui ne doit pas l’être... Les bâtiments devraient être conservés en tant que monuments de la culture matérielle et aussi pour la simple raison que toute destruction porte atteinte à notre environnement.

Le futur imaginé dans le roman de Ray Bradbury, « Fahrenheit 451 », c’est ce qui se déroule actuellement, à la différence près qu’en Russie ce ne sont pas les livres qui sont brûlés mais les immeubles.

Qu’espérez-vous pour l’architecture et le paysage urbain de Moscou au cours de la nouvelle décennie ?

Il n’y a pas d’espoir d’amélioration, il n’y en a jamais eu et il n’y en aura jamais. Mais je ne peux pas m’y résoudre. Je rêve que je vais me réveiller demain matin et que la banque qui, aujourd’hui, me cache la vue du Kremlin aura disparu...


Biographie
Iouri Avvakoumov est architecte, artiste et conservateur. Né à Tiraspol en 1957, il a obtenu en 1981 un diplôme de l’Institut d’Architecture de Moscou. Depuis 1982 il organise des expositions d’art et d’architecture, auxquelles il participe également. Il est l’un des membres fondateurs du groupe des « Architectes de papier » et il a créé en 1988 le studio AGITARCH.

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