De la nécessité des sanctions contre l’Iran

Intégration, oui isolement, non

Sergueï Markedonov spécialement pour La Russie d’Aujourd’hui

L’attention des hommes politiques et des experts du monde entier se focalise aujourd’hui sur la République islamique d’Iran. Avec la guerre d’Afghanistan et l’interminable conflit israélo-palestinien, le programme nucléaire iranien s’est retrouvé en tête des grands sujets de politique internationale. Cependant, la « question iranienne » est beaucoup plus large et complexe que le désir de posséder une « bombe nucléaire islamique ».

D’un côté, l’Iran reste « l’exportateur de la révolution islamique » qui soutient nombre de groupements terroristes à caractère islamiste. C’est aussi un ennemi acharné des États-Unis et d’Israël. Téhéran souhaite avoir un rôle dominant non seulement parmi les chiites, mais également dans le monde islamique dans son ensemble. Il en découle un soutien politique et financier du Hezbollah chiite comme du Hamas sunnite.

D’un autre côté, l’Iran reste l’un des pays les plus démocratiques du monde islamique, à l’exception de la Turquie laïque. On y organise régulièrement des élections présidentielles et parlementaires qui donnent lieu à une vraie concurrence et dont le résultat final n’est pas pré-déterminé. Il n’est donc pas simple de dresser un tableau cohérent et non linéaire du pays.

Sans l’Iran, impossible de résoudre les problèmes du Proche-Orient (Liban, Palestine, Irak) et de la sécurité en Afghanistan, en Asie centrale et dans le Caucase. La réalisation de cet objectif passe par la prise de conscience du fait que la politique de Téhéran n’est pas uniquement basée sur une idéologie. L’Iran associe à l’agressivité et au triomphalisme de ses gouvernants, des éléments de pragmatisme et de retenue. La République islamique a montré à de nombreuses reprises que ses intérêts nationaux étaient pour elle plus importants que la pureté religieuse. Les relations fructueuses entretenues pendant des années entre Téhéran et Erevan le prouvent. Pour l’Arménie, l’Iran (comme la Géorgie) constitue pratiquement une deuxième « fenêtre sur le monde » dans le contexte du blocus turco-azerbaïdjanais.

Autre exemple intéressant qui illustre les contradictions de la politique iranienne : celui des relations entre Moscou et Téhéran. La capitale iranienne dit et répète que le radicalisme religieux au Nord-Caucase russe est non pas chiite, mais salafiste et sunnite. En même temps, les groupements islamistes radicaux soutenus par l’Iran (comme le Hezbollah) considèrent que la Tchétchénie fait partie du « Djihad mondial » et font des extrémistes religieux du Nord-Caucase des « militants pour la Foi ». C’est bien cela qui rend la coopération stratégique entre Téhéran et Moscou problématique.

La politique extérieure de l’Iran est donc complexe. Sous la rhétorique belliqueuse se cachent des raisons pragmatiques. Le recours exclusif à une politique de sanctions ne peut donc être efficace car il existe à l’intérieur du pays un consensus sur le désir d’indépendance géopolitique. L’idée qui unit conservateurs et libéraux modérés, c’est de faire du pays une superpuissance régionale. La pression extérieure (américano-européenne, ou celle des États-Unis, de la Russie et de l’UE collectivement) risque surtout de cimenter les Iraniens sur une base d’idéologie patriotique. Donc, la stratégie, qui consisterait à intégrer l’Iran dans des projets internationaux majeurs, sera plus efficace. La reconstruction de l’Afghanistan semble l’objectif le plus actuel et le plus évident. Une telle « intégration » permettrait d’un côté de mieux contrôler les agissements de l’Iran et de l’autre, de stimuler des transformations internes.

Sergueï Markedonov est politologue, spécialiste du Caucase.


Un nécessaire durcissement

Vladimir Evseev spécialement pour La Russie d’Aujourd’hui

La raison officielle des sanctions américaines contre Téhéran est de contrer le développement menaçant de son programme nucléaire et son soutien à de nombreuses organisations terroristes. Mais à l’origine, le véritable motif de ces sanctions résidait dans le fait que l’Iran avait commencé à ouvrir son secteur énergétique aux investissements étrangers, ce qui menaçait les intérêts des États-Unis. En 1996, les mesures ont pris la forme d’un « Pacte de sanctions contre l’Iran et la Lybie », qui limitait les investissements étrangers dans ces pays et établissait des sanctions contre les entreprises qui tenteraient d’enfreindre les restrictions.

Quand elle a renoncé à concevoir sa propre arme nucléaire, la Libye a été, de fait, libérée des sanctions américaines. Celles-ci ont été maintenues contre l’Iran et le délai de validité de ces pénalités économiques a été prolongé une nouvelle fois en mars 2010 par Barack Obama.

L’opinion assez répandue, selon laquelle les sanctions américaines contre l’Iran seraient trop clémentes, ne correspond pas à la réalité. Tout d’abord, ce genre d’action est entrepris dans le cadre du concept de sanctions ciblées qui prévoit de focaliser la pression sur le régime en place, en limitant ainsi les effets néfastes sur le niveau de vie de la population locale. Deuxièmement, les grandes compagnies étrangères comme Total (France), Royal Dutch /Shell (Angleterre, Hollande, États-Unis), Lukoil (Russie), Statoil (Norvège) et Repsol (Espagne) ont dû quitter le marché iranien (et y cesser toute activité).

Certes, le déploiement de sanctions contre l’Iran va à l’encontre du droit international. Mais Washington a su obtenir une légitimité de la part de l’Union Européenne et du Conseil de Sécurité de l’ONU, lequel a imposé des sanctions internationales contre l’Iran.

On peut juger de l’efficacité des sanctions contre l’Iran à la lecture des rapports du Fonds monétaire international, selon lesquels le système bancaire et la circulation financière de la République Islamique d’Iran ont été fortement affectés. En même temps, l’économie iranienne n’est pas tombée en ruines. C’est essentiellement dû au fait que la recette annuelle des exportations pétrolières de Téhéran s’élève à 65 milliards de dollars environ. En outre, le gouvernement iranien a pris de nombreuses mesures qui ont permis de rendre son économie plus autosuffisante et moins vulnérable vis-à-vis de l’extérieur.

Bien entendu, il n’est pas de sanctions qui pourraient empêcher l’Iran de se doter de la bombe atomique, si les politiciens iraniens décident de suivre cette voie. Mais les sanctions peuvent réduire considérablement les moyens de l’élite religieuse locale, qui s’assure la loyauté des Iraniens en redistribuant les bénéfices pétroliers sous forme de produits alimentaires et de consommation courante pour les couches sociales les plus démunies. Car c’est bien le pétrole qui assure la stabilité du régime iranien. En cas de réduction considérable de ses exportations, ce qui est inévitable dans un contexte de sanctions internationales, Téhéran sera obligé de chercher des voies de conciliation avec les pays occidentaux. Par conséquent, un durcissement des sanctions contre l’Iran est nécessaire. Mais on doit proposer en même temps à Téhéran des arguments financiers, économiques et politiques qui prendraient en considération son rôle historique dans Le Grand Proche-Orient.

Vladimir Evseev est chargé de recherche à l’Académie des Sciences de Russie.

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