Medvedev tisse sa toile

En Russie, l’influence de l’Internet sur la politique du Kremlin va croissant. Contrairement à Vladimir Poutine, prudent avec la Toile, Dmitri Medvedev milite pour l’alphabétisation cybernétique et l’utilisation des blogs au sein de la fonction publique. Les bloggeurs ont senti cette « faiblesse » du président et attirent souvent son attention sur des sujets habituellement contournés par les médias.

Dmitri Medvedev a été pris dans la toile en octobre 2008, quand le site du Kremlin accueillit son vidéo blog, où les visiteurs avaient la possibilité de laisser des commentaires sur les vidéos qu’il postait. Peu après, le chef d’État s’inscrivait sur livejournal.com [Live Journal, la plus importante plateforme de Russie, avec plus d’un million d’utilisateurs, NDLR]. La blogosphère a failli succomber sous le poids de la fréquentation, quand le nombre de visiteurs atteint presque 1,15 millions. Le blog de Medvedev entra au Top50 et devint l’un des plus lus du pays. En Russie, Live Journal c’est plus que Twitter aux États-Unis, c’est l’une des rares tribunes sur laquelle on peut parler de tout. Le Kremlin le sait et cherche des moyens de contrôle. Si l’opposition lance un projet en ligne, le gouvernement en lance deux. Quand un utilisateur raconte sur LJ le mécontentement croissant des automobilistes à Vladivostok, dix blogueurs du Kremlin débarquent dans ses commentaires pour convaincre les lecteurs que tout n’y est pas si terrible. Et le blogueur le plus lu, Roustam Adagamov (pseudo : drugoï) est régulièrement invité à se joindre au pool présidentiel dans les voyages de presse à travers le pays.

De source sure

Medvedev lui-même consacre beaucoup de temps à la lecture des blogs, dans lesquels il découvre ce qu’on ne montrera jamais à la télévision. Il ne manque pas d’affirmer qu’il utilise son journal en ligne comme source d’information sur ce qui se passe vraiment sur place. Les exemples des réactions présidentielles à des événements qui ont secoué la blogosphère russe sont bien connus : la collecte des signatures pour la libération de Svetlana Bakhmina [juriste de Ioukos, NDLR] – libérée ; le commandant Evsioukov ouvre le feu dans un supermarché – il relevé de ses fonctions de chef de la police de Moscou ; la mort en détention provisoire d’un journaliste à Tomsk – le chef de la police locale a été licencié ; la mort en détention provisoire du juriste Sergei Magnistski – limogeage de hauts responsables du systèmes de l’exécution des peines.

L’une des anecdotes les plus représentatives est celle de la flamme éternelle de Krasnodar. Le lendemain du jour de la Victoire de la Seconde guerre mondiale, le 10 mai dernier, un commentaire sur son blog informait le président que le monument était en restauration depuis 6 mois, et que les vétérans ont du déposer des fleurs autour d’une palissade aveugle. Quelques jours plus tard, Medvedev publie en ligne un document rédigé de sa main : « A l’attention de A. Tkatchev [gouverneur de la région de Krasnodar, NDLR]. Réglez ce problème. Trouvez les responsables. Faites un rapport sous trois jours. » Depuis, le blog du président peut être considéré comme un cahier de doléances national contre les fonctionnaires. Internet a donné la possibilité au simple citoyen de se faire entendre, sans avoir à affronter, dans un combat inégal, les parloirs administratifs.

Les fonctionnaires en ligne

Mais il arrive aussi des choses plus curieuses. En septembre dernier, Medvedev étonna tout le monde. A la fin d’une réunion sur la modernisation économique, le président a tendu au chef de l’appareil présidentiel, Sergei Sobianine, la version imprimée d’un texte publié dans LJ. « Le citoyen Maxime Kalachnikov a proposé un projet de réforme technologique de la Russie », a expliqué le président : la création d’un kolkhoze innovant, une ville du futur, ainsi qu’un Conseil suprême de l’agriculture. « C’était partout dans Yandex [moteur de recherche russe, concurrent réel de Google en Russie, NDLR] », a précisé Medvedev, en demandant à Sobianine de regarder le texte de plus près pour voir s’il n’y avait rien d’intéressant. Derrière le pseudo « Maxime Kalachnikov » se cache un célèbre blogueur, Vladimir Kourtchenko, journaliste du pool gouvernemental, mais connu surtout pour son patriotisme et ses positions radicales, versant nationaliste et staliniste. Ce qui compte pour le président Medvedev, qui l’a trouvé tout seul sur le Net, c’est que le blogueur soit un opposant à l’ordre existant.

Medvedev voudrait que les fonctionnaires utilisent eux aussi LJ comme une source d’information. Lors d’une réunion du Conseil d’État, en décembre dernier, le président avait même menacé de licenciement les récalcitrants à la connexion. Gryzlov [speaker de la Douma], Mironov [président du Conseil de la Fédération], Ziouganov [chef du PCFR], Jirinovski [chef du LDPR], se sont tous précipités pour créer des blogs, mais sans grand succès : leurs pages sont ennuyeuses, rédigées par des assistants et inondées de communiqués de presse.


Vox populi

Le dernier événement à avoir secoué la Toile fut un terrible accident à Moscou : la Mercedes conduisant le vice-président de Loukoïl, Anatoli Barkov, a percuté frontalement une petite Citroën, dont les passagères, deux médecins, sont mortes. La version officielle, livrée par la police sur le coup, accusait les deux femmes, et disculpait Barkov. Mais les témoins de l’accident assuraient le contraire et ont bombardé le Net de leurs témoignages, pendant que la polémique enflait sur l’impunité des puissants et la corruption de la police. L’instruction n’a été ouverte que trois jours après l’accident, quand la blogosphère était saturée de protestations. Désormais, quelle que soit l’issue du procès, le verdict populaire a été énoncé : les coupables, se sont les fonctionnaires dans leurs grosses voitures qui se considèrent au-dessus de tout, y compris du code de la route. Et le pouvoir ne peut pas rester sourd à cette opinion publique, et n’a pas d’autre choix que de prendre Internet au sérieux.

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