Medvedev à mi-mandat : ni bon ni mauvais

Dmitri Medvedev est arrivé à la moitié de son mandat. L'on s'accorde en général pour saluer le discours du jeune président, dont le maitre mot est la modernisation politique et économique du pays. Pour autant, la mise en pratique de ces intentions n'est pas perçue unanimement. Ci-dessous, la confrontation entre deux points de vue, celui de l'agence de presse officielle RIA Novosti, et celui d'un chroniqueur de Gazeta.ru, un journal internet plutôt critique.

La présidence de Medvedev : en route depuis deux ans
RIA Novosti

Dmitri Medvedev a été élu président de Russie le 2 mars 2008, obtenant 70,28% des voix. Deux ans après son élection, il n’a pas perdu le goût du travail. Répondant récemment aux questions des journalistes qui lui ont demandé s'il était heureux, le président a dit qu'il manquait de temps, mais que « comme tout un chacun, il était heureux de travailler pour le bien de son pays ».

L’année dernière a été marquée par le « rajeunissement » du corps des gouverneurs, la réforme du Ministère des Affaires intérieures (MVD), la poursuite de la lutte contre la corruption, la résorption des conséquences de la crise, la modernisation de l’économie et le « redémarrage » des relations avec les États-Unis.

Les hommes politiques constatent un haut niveau de transparence du pouvoir et les politologues préconisent la nécessite de réaliser les objectifs et les initiatives annoncés par le président russe.

On avance!

Selon Russie Unie, parti au pouvoir, l’évaluation principale du travail du président réside dans la confiance des citoyens. Andrei Vorobiev, responsable du comité central exécutif de Russie Unie, a fait remarquer que le président voit et ressent les problèmes qui inquiètent la majorité des Russes et appelle à la discussion franche et publique. « On ne tourne pas en rond, on avance », insiste Vorobiev. D’après lui, cela concerne à la fois le développement du système politique, le virage de l’innovation de l’économie et l’évolution de la société civile.

La nécessité de dialoguer

Malgré le fait que les communistes se considèrent toujours comme les opposants de principe du pouvoir actuel, ils sont prêts à dialoguer avec Medvedev. Ivan Melnikov, premier adjoint au président du Comité central du Parti Communiste de la Fédération de Russie (CC du KPRF) et adjoint au président de la Douma, estime que la discussion publique du modèle économique cible est importante et positive.

« C’est le premier représentant du pouvoir à déclarer la nécessité de refuser le modèle d’économie nationale inféodée aux matières premières et à faire remarquer le caractère prédateur de certaines grandes entreprises. Il n'a pas peur d'aborder des sujets tendus et polémiques, tels que l’examen uni d’Etat (BAC russe), des élections honnêtes, la corruption, etc. », a indiqué Melnikov.

Par ailleurs, les communistes estiment que Medvedev n’a pas beaucoup avancé dans la constitution de son équipe. « Le dialogue devient efficace quand les décisions adoptées à son terme sont mises en œuvre. En l’occurrence, les résultats du dialogue ne sont appliqués que par l’une des parties, Russie Unie, ce qui empêche tout compromis. En ce qui concerne la modernisation, elle est confiée à ceux qui vivent déjà bien comme ça », a dit Melnikov.

L’attitude envers l’opposition a changé

« Je tiens à souligner deux points cruciaux qui sont significatifs pour nous, en tant que parti d’opposition. Depuis l’arrivée au pouvoir de Medvedev, l’attitude du pouvoir envers l’opposition a réellement changé. On écoute désormais notre opinion, on discute avec nous, en témoignent les initiatives de Medvedev visant le perfectionnement de la législation des élections, de nombreux rendez-vous avec les représentants des partis d’opposition », a dit Igor Lebedev, responsable de la fraction du parti LDPR (Parti libéral-démocrate).

Sergueï Mitrokhine, leader du parti libéral Iabloko, a, pour sa part, jugé correcte l’initiative de Medvedev axée sur la garantie d’octroyer un ou deux mandats de député aux partis ayant obtenu 5-7% des voix électorales. Mitrokhine a néanmoins fait remarquer le caractère limité de cette mesure. « On ne voit pas les démarches décisives orientées vers la modernisation qui ont été annoncées par le président. Globalement, la direction est bonne, mais il n’y a pas d’avancées », estime-t-il.

Un homme politique ouvert

« En général, nous évaluons de manière positive l’activité de Dmitri Medvedev. Il a démontré son propre style politique, caractérisé par sa disponibilité aux discussions et sa bonne volonté à écouter les opinions différentes », a dit Nikolaï Levitchev, responsable de la fraction du parti Russie Juste à la Douma. Il a également salué les initiatives initiées par le président en matière de démocratisation du système politique et les priorités dans le domaine de la politique sociale et économique, établies par le chef d’Etat.

Annonce du deuxième mandat?

Les politologues constatent qu’ayant initiée la modernisation du pays, Medvedev est devenu le leader du changement. Selon les experts, avant même l’expiration de son mandat, les résultats de la politique qu’il mène seront visibles.

« L’ordre du jour annoncé dépasse largement les limites du mandat présidentiel à 4 ans. Cela concerne à la fois la modernisation de l’économie et la lutte contre la corruption. Il s’agit donc de l’annonce d’un deuxième mandat », considère le politologue Dmitri Badovski. D’après lui, la formation de Medvedev en tant qu’homme politique public est encore en cours. Son style, sa manière de parler et son appel à la loi sont devenus innovants dans la politique russe.

Dmitri Orlov, directeur général de l'Agence des communications politiques et économiques, estime lui aussi que lors de ces deux ans de présidence Medvedev à fait preuve de modernité, d’efficacité, en devenant un « manager raisonnable, appelé par la Russie ». En même temps, le tandem Medvedev-Poutine est tout à fait efficace. « Même si Vladimir Poutine a été et reste le leader national du pays, Medvedev est sans doute devenu leader de la modernisation » note Orlov.

Vitali Ivanov, politologue et membre de la Chambre Publique de la Fédération de Russie, souligne l’accélération de la rotation des cadres supérieurs dans les régions : « Les mastodontes de l’époque de Eltsine ont démissionné et démissionnent encore, certains d’eux ont travaillé sous Gorbatchev. Ce changement est à saluer, car la rotation des cadres doit avoir lieu ».

Texte original sur www.rian.ru/



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Du dégél à la gadoue

Andreï Kolesnikov
Gazeta.ru

Le Président de la Fédération de Russie, Dmitri Medvedev est arrivé à mi-mandat, après deux années en poste. En termes juridiques, il peut compter sur une libération conditionnelle. Mais il est peu probable que son « frère de sang », Vladimir Poutine, laisse partir son héritier en paix, n’ayant pas encore décidé lui-même qui des deux se présentera pour le second (et/ou le quatrième) mandat de six ans.

Pendant ce temps, les élites et les eaux environnantes commencent à bouillonner doucement, comme à l’approche de toute élection en Russie.

Il fut un temps, tout le monde cherchait en vain la réponse à la question « Who is Mr Putin ? » De même, aujourd’hui, personne n’a encore trouvé la solution au plus intéressant des problèmes : c’est qui le premier dans le duumvirat et avec qui il va-t-il falloir continuer à vivre ? La dernière fois, Poutine avait attendu jusqu’au dernier moment pour annoncer le nom du successeur, jouant sur les nerfs de la classe politique russe ; maintenant, la même histoire va se répéter, sauf que les figurants ne seront plus Medvedev et Ivanov, mais Medvedev et Poutine. L’establishment attend et fait des suppositions : au pas de qui régler le sien ? Quelle main courir embrasser ? Les élites sont à l’affut de signaux, regardent des cauchemars la nuit, tentent d’interpréter des gestes et des actions insignifiantes pour en tirer des conclusions globales. Exactement comme au début du mandat de Medvedev, puis après son article « La Russie, en avant ! », les « dégelistes » se noient dans leurs illusions, en croyant entendre dans la démarche prudente du successeur le pas lourd du commandeur-libérateur démocrate.

Medvedev avait commencé avec la « liberté », qui est « meilleure que la non-liberté ». Il continue avec la modernisation de cinq domaines purement technologiques. Parmi ses déclarations, un lot de consolation pour l’intelligentsia libérale sous forme de condamnation du camarade Staline (quelle vie, on fini même par se contenter de ce genre de propos…) Parmi ses actions, par exemple, la réduction des pouvoirs du tribunal d’assises. Et la guerre en Géorgie a lié Medvedev à Poutine plus solidement encore que les bonnes manières qui l’auraient à ce jour empêché de « tuer le père », et devenir le premier homme dans les faits, et pas seulement selon la Constitution.

Medvedev avait commencé par un « dégel ». Et a continué avec de la « gadoue ». Les degrés de liberté n’ont augmenté que dans les limites d’un ghetto spécial. Les propos négatifs sur la démocratie souveraine ont laissé la place au raisonnement d’un des piliers du Kremlin, selon lequel la modernisation ne peut être que technologique. La démocratie politique, au ghetto ; la modernisation, dans une « ville fermée » magique. Les autres peuvent disposer.

On dit que Medvedev comprend tout. Un représentant d’un parti non-parlementaire raconte que lors d’une rencontre avec le président, il avait prononcé un discours bien préparé sur les avantages pratiques de la démocratie. Et Medvedev, après l’avoir écouté attentivement, aurait dit : « A votre place, je penserais la même chose. »

Mais le président de Russie a sa propre place. On peut comprendre une certaine attitude palliative et une modération dans le propos, dignes d’un ministre des affaires étrangères. Ici Poutine. Là-bas, des amis de Poutine. Sur l’arrière-front papillote l’opinion libérale et les entrepreneurs mécontents. Là, le G8. Un peu plus loin, l’Iran. Derrière l’océan, le « redémarrage » et le bouclier anti-missiles. De ce coté-ci, l’OTAN doublé de la Cour européenne des droits de l’Homme. L’aura du Kremlin écrase. Les ombres du Politburo et le corps jamais enseveli du fondateur du premier État socialiste au monde surveillent attentivement les faits et gestes du jeune président qui, dans d’autres circonstances, aurait peut-être pu devenir un vrai démocrate.

Si l’on cherche des signes, on peut considérer, par exemple, que l’épuration à venir dans les agences d’État est un indicateur de changements. Et du fait que c’est Medvedev le patron. Mais quand Vladimir Poutine, dans son régime habituel de conduite manuelle qui témoigne de l’absence d’institutions, distribue des claques (très méritées) aux oligarques, les actions raisonnables de Medvedev ternissent. Comme m’a dit un personnage très averti lors d’une conversation tout à fait personnelle, « encore heureux que tous ces gens vont demander l’autorisation à papa ». Mais dans cette construction, « papa », c’est Poutine et pas Medvedev.

L’un des principaux défauts de Medvedev réside dans sa qualité : c’est un juriste, et, contrairement à Poutine, un vrai. Et les juristes sont des normativistes, ils travaillent avec un environnement déjà constitué, étant les moins enclins à changer véritablement quoi que ce soit. Sauf peut être le cinquième alinéa de l’article six du paragraphe huit de l’acte conditionné de l’agence de veille de l’industrie de fonte des pastèques.

La véritable rupture est difficile d’accès. Dans la génération du président, il y a des bureaucrates progressistes, comme Medvedev lui-même, ou par exemple le vice-premier ministre Igor Chouvalov. Mais il n’y a pas de réformateurs. Ces derniers sont tous nés dans les années 1950 et pas 1960. Les hommes des années 1960 sont pour la plupart des conformistes, qui s’adaptent facilement aux changements réalisés par les frères ainés. Alors que les vraies réformes ne se font pas sans audace et sans courage, il faut être prêt à associer son nom à des processus sérieux. Comme dans le cas de Egor Gaidar (voir article). Alors qu’il est difficile d’attendre de Medvedev des réformes politiques.


La situation peut changer, et c’est une autre illusion que sont prets à accepter ceux qui ne veulent pas quitter le pays, si Dmitri Medvedev, en vertu d’un consensus interne, se présente pour un second mandat, au lieu d’accepter un poste tranquille du type du président de la Cour constitutionnelle. Ses mains seront moins liées. Et alors on pourra vraiment tester ses qualités de gestionnaire. C’est pour bientôt. La deuxième moitié du mandat passera aussi vite qu’est passée la première.

Texte original sur www.gazeta.ru

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