La Russie face à son héritage idéologique

La majeure partie de nos concitoyens ontincontestablement combattu simplement pourla Patrie, sans trop se soucier d'idéologie

La majeure partie de nos concitoyens ontincontestablement combattu simplement pourla Patrie, sans trop se soucier d'idéologie

Quelque chose a changé dans l’esprit de la société russe. Vingt ans après l’effondrement du pays et de toutes les valeurs de l’ancienne société soviétique, et après vingt années de silence, les Russes sont de nouveaux en quête de valeurs et d’idéaux. Et voilà que le sujet de la guerre se retrouve inopinément au centre de l’attention publique. Il ne s’agit pas seulement de ses aspects factuels, qui restent importants eux aussi, mais surtout de son esprit, qui se résume à la question des valeurs au nom desquelles on a combattu.

L’anniversaire du pacte Molotov-Ribbentrop a catalysé cette tendance. Mais on ne s’est pas limité à une réprobation. L’Eglise orthodoxe russe hors frontières a pris la défense du général Vlassov, Gavriil Popov a publié un article sur les trois étapes de la guerre où il justifie également les actes de Vlassov et Daniil Granine a écrit que Staline avait dû arrêter notre armée à la frontière polonaise pour laisser l’Europe résoudre ses problèmes internes. Et quand des vétérans de la guerre se sont sentis outragés de voir un restaurant-grill prendre le nom d’« Antisovietskaya », le journaliste Alexandre Podrabinek s’est déchaîné contre eux, les traitant de défenseurs des crimes staliniens.

On a découvert soudainement que nous avions non seulement une approche différente de l’histoire de la Russie, mais également une attitude différente vis-à-vis des valeurs sur lesquelles elle s’était construite, du moins au XXe siècle. Cet antagonisme de valeurs risque d’ailleurs d’affecter toutes les couches de la société. Et notamment l’Église orthodoxe de Russie. Il serait étonnant que l’ensemble du clergé et des fidèles accepte l’idée que Vlassov n’était pas un traître, mais un personnage tragique, combattant pour la Russie démocratique, comme le disent notamment les auteurs proches des dirigeants de l’Eglise orthodoxe à l’étranger dans leur histoire de la Russie en deux volumes.

Le général Vlassov se retrouve au centre de cette polémique simplement parce que si l’on admet que le pouvoir soviétique était un régime tyrannique caractérisé par la misanthropie et l’athéisme militant, alors tout est permis contre lui. Vlassov, et tous les citoyens de l’ex-URSS et des anciens pays socialistes qui ont combattu aux côtés des nazis, sont dans ces conditions des figures tragiques de la résistance contre ce régime. Autant parler de mission libératrice des nazis vis-à-vis du régime stalinien criminel... (surtout que ce régime fut effectivement criminel). C’est une mission dont les victimes furent ceux qui portaient un nom comme Podrabinek, ou autre patronyme similaire. Les mouvements de « libération nationale » en Ukraine et dans les pays Baltes ont bien aidé les nazis en cela.

A ce propos, Podrabinek écrit dans son article que les vétérans indignés par le nom du restaurant-grill ont dû être des « vertoukhaï » (gardiens) dans les camps staliniens. Sans faire précisément référence à ces vétérans-là, je voudrais noter qu’effectivement de nombreux vétérans, surtout des officiers de guerre blessés, n’ont pas été démobilisés à la fin de la guerre mais ont été transférés dans les troupes du ministère des Affaires intérieures, y compris dans les camps. Ceci ne signifie rien pour ces derniers, mais illustre la complexité et la tragédie de notre histoire, où les crimes et la Victoire sont liés, quand les mêmes personnes pouvaient être en même temps le héros et le méchant, souvent contre leur gré.

Mise en perspective

On peut dire qu’il y a actuellement en Russie et dans le monde deux points de vue sur la Seconde Guerre mondiale, qui ne sont pas toujours énoncés, mais qui sont clairement sous-entendus. Le premier, qu’on peut considérer comme traditionnel, prétend qu’en dépit du caractère incontestablement tyrannique du régime stalinien, la guerre était néanmoins menée pour des valeurs humanistes et pour la liberté. Et l’Union soviétique a effectivement contribué à la victoire de ces valeurs et de ces idéaux, malgré le fait qu’elle-même n’en a pas offert un bon exemple dans la pratique. Le deuxième point de vue, qu’on pourrait appeler révisionniste, est le suivant : en réalité, la Seconde Guerre mondiale aurait caché deux guerres différentes, l’une sur le front ouest pour les idéaux de démocratie et de liberté, l’autre sur le front est pour le droit des tyrans à opprimer et asservir les peuples.

Un célèbre politologue russe a écrit qu’alors que les alliés combattaient en Europe occidentale pour des valeurs démocratiques, en URSS la majeure partie de nos concitoyens ne comprenaient pas bien ce qu’étaient le nazisme et la démocratie, et c’est pourquoi ils combattaient tout simplement pour la Patrie. Et encore, on a pris le temps réfléchir avant de commencer le combat, car on en avait tellement « ras le bol » du régime stalinien que beaucoup étaient prêts à se rendre tout simplement. Ceci explique notamment le fait qu’on ait perdu le début de la guerre, que des millions de nos soldats se soient retrouvés en captivité et que beaucoup d’entre eux, ainsi que des civils, se soient vite mis au service des Allemands.

Que la majeure partie de nos concitoyens aient combattu simplement pour la Patrie, sans trop se soucier d’idéologie, est aussi incontestable que le fait que la dans coalition antinazie, la population et les résistants ont pour la plupart combattu pour la même cause. Et il est tout aussi incontestable que le début de la guerre a été perdu par tous les adversaires de l’Allemagne et du Japon. Telle était en effet la nature de la Seconde Guerre mondiale, qui donnait un avantage certain à l’attaquant.

Si l’on parle de ceux qui se sont rendus à l’ennemi et qui sont passés sous ses ordres, cela ne fut-il pas le cas de la majorité de la population de tous les pays européens ? Faut-il rappeler les traumatismes nationaux nés des souffrances, des blessures et des divisions causées par l’occupation allemande ? –

Communisme et démocratie

Le problème ne réside d’ailleurs pas dans l’attitude individuelle des citoyens et de leurs leaders dans les pays en guerre, ni dans le régime politique de chaque État de la coalition anti-hitlérienne. Il est dans la nature des objectifs de la guerre qui a été, sans aucun doute, pour les pays de la coalition anti-hitlérienne une guerre pour la préservation des valeurs humanistes et démocratiques, pour la liberté au sens le plus élevé du terme, même si cela peut paraître emphatique. Et cela ne peut être balayé ni par la nature du régime soviétique, ni par ses crimes, ni par ceux des Anglais et des Français dans leurs colonies, ni par la discrimination des Noirs et les lynchages aux États-unis.

Pour quoi les communistes ont-ils combattu ? Voilà la question. Ou, plus largement, la question est celle des valeurs des communistes en URSS et en Europe, qui est beaucoup plus complexe. C’est celle des valeurs défendues par les citoyens soviétiques au-delà de la libération de la Patrie.

On oublie souvent chez nous que le communisme existait déjà au XIXe comme l'un des courants radicaux du mouvement démocratique, et qu’à la base des institutions démocratiques contemporaines se trouvent de nombreuses idées qui ont été énoncées pour la première fois par les marxistes et par la social-démocratie révolutionnaire de l'époque. Plus encore, la démocratie a vu le jour ou a été conservée dans de nombreux pays, précisément grâce à la lutte du mouvement ouvrier, des syndicats, des sociaux-démocrates et des communistes.

On a du mal à y croire aujourd'hui en voyant le régime de la Corée du Nord, mais dans les années 1940, le communisme et la social-démocratie occidentale – y compris institutionnelle – avaient conservé malgré l'expérience soviétique des liens d’appartenance à une même famille politique. En témoigne la formation, certes tragiquement tardive, des fronts populaires auxquels ont participé les communistes dans certains pays européens, sur l’initiative de la direction du parti des bolcheviks de toute l'Union soviétique. De même, plus récemment, la tentative de Gorbatchev pour mettre le communisme soviétique sur les rails de la social-démocratie montre que ces liens familiaux sont restés dans les esprits de nombreux dirigeants communistes de l'URSS, même soixante-dix ans après la révolution. Et c’est sans parler des partis communistes de l'Ouest ou de l'Est qui, une fois libérés du joug du parti communiste de l'Union Soviétique, ont terminé leur vol plané soit à droite, chez les sociaux-démocrates, soit à gauche, chez la nouvelle gauche ou même chez les gauchistes. Cela ne concerne cependant pas le Parti communiste de la Fédération de Russie.


En URSS et ailleurs, les années vingt et trente ont été riches en discussions entre les communistes et les sociaux-démocrates sur le sens de la démocratie socialiste. Ce n'est pas pour rien que les débats en 1923 – quand le parti communiste des bolcheviks de toute l'Union soviétique se réunit pour la première fois en l'absence de Lénine –, portèrent justement sur les problèmes de la démocratie, ne serait-ce qu'au sein du parti. Et les incantations sur l'URSS comme modèle de démocratie n’exprimaient pas seulement l'hypocrisie des uns, mais également la conviction des autres. La fameuse constitution soviétique s’est inspirée des constitutions occidentales les plus démocratiques. Mais il ne faut pas voir là la seule hypocrisie du pouvoir communiste, certes remarquable. Celui-ci voulait en effet se montrer à la hauteur de la théorie et de nombreux communistes étaient sincèrement convaincus que tout serait tôt ou tard conforme aux textes, qu’il était simplement encore un peu tôt.

On ne doit probablement pas au hasard le fait qu'un nombre de dissidents et de partisans de la démocratisation aient été des enfants ou des petits-enfants de grands révolutionnaires comme Iakir, Antonov-Ovseenko, Bonner, Okudjava, Aksenov, Gaïdar, Borovoï. Et cette liste n'est pas exhaustive.

La révolution russe, y compris en Octobre, a été faite par des personnes qui dans leur ensemble croyaient que la voie choisie était la plus raisonnable pour atteindre la démocratie en mariant les libertés politiques et sociales. Ces mêmes personnes croyaient pendant la Seconde guerre mondiale qu'elles défendaient ces valeurs. C'est là que le communisme diffère radicalement du fascisme/nazisme qui rejetait par principe la démocratie en tant qu'institution. Il suffit de comparer les œuvres des classiques du communisme de Marx à Lénine à celles du fascisme/nazisme de Maurras, Mussolini, Hitler et autres.

Communisme et fascisme

Il ne s'agit pas uniquement d’une attitude vis-à-vis de la démocratie. Il s'agit également d’un état d’esprit général d'universalisme, d'humanisme et, n'ayons peur de le dire, de cosmopolitisme qui oppose communisme classique et fascisme anti-humaniste, chauviniste et particulariste. Malgré toutes ses transformations, le communisme soviétique de l'époque a toujours conservé l’empreinte de ses valeurs classiques. En tout cas, et quoi qu’on pense de lui, la célèbre phrase de Staline, « Les Hitler vont et viennent, mais le peuple Allemand reste », s’entend comme tout à fait normale de la part d’un chef communiste, alors qu'il est impossible d'imaginer Hitler dire « Les Staline vont et viennent mais le peuple russe (soviétique) reste », car, pour lui personnellement et pour le nazisme en général, la colonisation et même l'extermination de la Russie et des autres pays d'Europe de l'Est était l'un des objectifs politiques essentiels déjà formulés dans « Mein Kampf ».

L'illustre historien de la révolution française, Albert Mathiez, a comparé le bolchévisme et le jacobinisme : « Jacobinisme et bolchevisme sont au même titre deux dictatures, nées de la guerre civile et de la guerre étrangère, deux dictatures de classe, opérant par les mêmes moyens, la terreur, la réquisition et les taxes, et se proposant en dernier ressort un but semblable, la transformation de la société, et non seulement de la société russe ou de la société française, mais de la société universelle. » (Il n'empêche que les Français continuent de fêter l’anniversaire de leur révolution et de chanter fièrement la Marseillaise en appelant toujours « aux armes, citoyens ! », en menaçant les tyrans « qu'un sang impur... abreuve nos sillons ! », tandis que pour de nombreux Russes la Révolution d'octobre est devenue une honte nationale. En conséquence, ils ont du mal à imaginer que qui que ce soit ait pu dans les années quarante, pendant la guerre, défendre également des valeurs révolutionnaires, même si ces valeurs correspondaient pratiquement aux valeurs de la révolution française.)

Voilà pourquoi l'alliance des démocraties occidentales et de l'URSS était malgré tout tout à fait naturel en URSS comme en Occident, et pourquoi celle de l'Allemagne fasciste et de l'URSS était considérée, en Allemagne comme en URSS et en Occident, comme quelque chose d'anormal et de temporaire.

Démocraties et trahisons

L'un des problèmes les plus épineux de l'histoire militaire est le pacte Molotov-Ribbentrop qui a généré tant de discussions qu'on pourrait penser qu'il n'y a rien à ajouter. Pourtant...

Quoi qu’on puisse penser de ce pacte, ce dernier ne sortait pas de la logique des pays européens, leaders de l'époque ou non, dans leur attitude vis-à-vis de l'Allemagne nazie. Les hommes politiques de l'Europe entière, de la Grande-Bretagne à la Pologne et de la Norvège à la Grèce, faisaient penser à une bande de tricheurs où chacun tentait de conclure derrière le dos des autres un accord avec Hitler, au détriment de ses voisins. Au début, les socialistes et les libéraux français avec les conservateurs et les travaillistes britanniques et leurs collègues européens, ont trahi la république espagnole dirigée par leurs amis socialistes et libéraux, en la laissant sous les griffes des fascistes allemands et italiens. Ehrenbourg se rappelait ainsi les lamentations du dirigeant socialiste français, le Premier ministre Léon Blum, qui se disait le cœur déchiré quand il pensait à l'Espagne, mais qui avait pourtant lui-même mené une politique de « non-intervention » ou, pour être plus précis, de trahison de la république espagnole. Il n'y a eu que l'Union Soviétique pour aider l'Espagne, tout en y apportant bien entendu de sa propre expérience politique de l'époque. Mais c'est bien grâce à l'aide de la Russie que l'Espagne a pu tenir ferme pendant trois ans. Et après ça, avec la Pologne et la Hongrie, cette même Angleterre et cette même France ont trahi la Tchécoslovaquie. Et entre ces deux trahisons, ils ont fermé les yeux devant l'anschluss de l'Autriche. Pour les dirigeants de l'Union Soviétique, qu’y avait-il donc à attendre de tels « joueurs », si ce n’était une nouvelle trahison ?

Déjà en 1938 Jawaharlal Nehru écrivait que « le rôle des empires fascistes est assez évident, leurs objectifs et leur politique ne laissant aucun doute. Mais le facteur clé de cette situation naissante [en Europe à cette époque] était le rôle des pays « démocratiques », surtout de l'Angleterre. Le gouvernement britannique… s'est évertué à encourager le fascisme et le nazisme partout. Ce qui est surprenant, c'est qu'il le fit au moment même où cela pouvait affecter la sécurité de l'empire britannique, tant son gouvernement craignait un développement de la vraie démocratie et tant sa sympathie de classe pour les leaders fascistes état grande. Si le fascisme a pu se répandre et devenir la force dominant le monde, c'est au gouvernement britannique qu'il le doit en grande partie ». Si Nehru était capable de le voir depuis l’Inde, que devaient penser les leaders soviétiques ? Et bien, ils pensaient que, compte tenu de leurs sympathies de classe, les démocraties européennes étaient capables de se rallier à tout moment à l'Allemagne contre l'Union Soviétique. Peut-être que ces peurs ont été exagérées, mais elles étaient fondées.

En effet, quand la France et l'Angleterre ont déclaré la guerre à l'Allemagne après l'attaque allemande contre la Pologne, elles ne l’ont pas non plus fait pour de bon. Ce n'est pas pour rien qu’on a parlé de « drôle de guerre ». C'est sans doute ce que Staline craignait en signant le pacte avec Hitler : à l’Ouest, la guerre serait faite « pour de rire », mais à l'Est-ce serait pour de vrai. Pire encore, après un an de « drôle de guerre », quand la vraie guerre a éclaté, il s'est avéré que personne, ni dans ni dans les pays du Benelux ni en France, n'avait prévu de faire vraiment la guerre. Selon toute vraisemblance Staline ne pouvait même pas l'imaginer. Il comptait sur une guerre prolongée en Europe occidentale et ne voulait surtout pas se retrouver seul à seul avec Hitler. Ce n'est pas un hasard si l'Union Soviétique a essayé d'aider la Yougoslavie malgré la signature du pacte quand l'Allemagne l’a attaquée. Il voulait arrêter Hitler, où que ce soit. Mais il n'en a pas eu le temps.

Et surtout, Staline ne pouvait pas laisser les Allemands occuper les pays Baltes après la Pologne. La frontière estonienne est à une journée de char d’assaut de Léningrad. Or, sans pacte, on pouvait être sûr que l'Allemagne occuperait les pays Baltes, d'autant plus sûrement qu’il y avait beaucoup d'Allemands dans la population locale et qu’une grande partie de l'élite, surtout en Lettonie et en Estonie, regardait vers l'Allemagne.

Savoir si les espoirs de Staline quant à ce pacte ont été satisfaits est une toute autre question, sans rapport avec la logique de l’épilogue. Elles n'ont été satisfaites qu'en partie.

Les méchants et la liberté

Il est nécessaire de noter un autre aspect. La signature du pacte, le massacre de Katyn et les autres représailles sur les territoires annexés, qu'on relie généralement ensemble, ne sont en réalité pas liés entre eux. Une politique extérieure parfaitement rationnelle, et dépourvue de conscience, combinée à une politique de terreur interne irrationnelle est la marque déposée du stalinisme. Et si l'antisémitisme irrationnel peut être expliqué par des préjugés séculaires qu’on retrouve dans tous les pays d'Europe, la terreur stalinienne ne peut être expliquée par rien, mise à part la peur : peur des classes dirigeantes de l'ancienne Russie qui avaient déjà perdu la Guerre civile, peur devant les opposants réels et imaginaires dans son propre parti, peur devant la puissance incontrôlée des paysans... Si ces peurs étaient d’une certaine manière fondées, elles sont devenues paranoïaques.

La vraie nature de la terreur a déjà été décrite par Engels : « Il s'agit [...] de cruautés en grande partie inutiles, commises par des gens qui ont peur et ont besoin de se rassurer. Je suis convaincu que les fautes du régime de terreur de l'année 1793 retombent presque exclusivement sur le bourgeois follement apeuré et jouant au patriote, sur le petit-bourgeois philistin qui fait dans ses culottes de peur, et sur la racaille du sous-prolétariat, qui faisait ses petites combines grâce à la terreur ».

On se souvient encore de ce qu’avait répondu Anastas Mikoïan après sa démission à ceux qui reprochaient à Khrouchtchev et lui de ne pas avoir dévoilé tous les crimes de Staline : « Nous ne pouvions pas le faire, car sinon tout le monde aurait su quelles pourritures nous étions ». C'est là que réside la différence entre le communisme et le nazisme. Les pourritures communistes savaient ce qu'ils étaient, car ils mesuraient l'abîme qui les séparait de leurs idéaux. Mais les nazis aimaient être méchants, c'était là leur idéal.

Nombre d'historiens et de politiques des nouveaux États nés des décombres de l'Union Soviétique justifient que des formations armées locales du type banderovets ou metsavennad [« Frères de la forêt » estoniens] aient combattu sur les deux fronts – contre les nazis et contre les communistes –, par le fait que les deux parties à ce « conflit des tyrans » se valaient. Représentants de peuples mineurs, ils n’auraient fait que s'opposer à la tyrannie. Décidément, il ne s’agit ici que de pure malice, car dans cette lutte, ce genre de formations étaient pour la plupart du côté des nazis. Ce n'est que vers la fin de leur règne qu'ils ont essayé de créer un simulacre de résistance. Mais il n'y a pas que cela. Nous connaissons l’exemple d'un vrai mouvement de libération nationale qui, dans une situation quasi analogue, a fait un choix vraiment digne. Il s'agit toujours du même mouvement de libération de l’Inde, connu comme Congrès national indien. Celui-ci a déclaré son soutien à la coalition anti-hitlérienne malgré les déportations de masse, la persécution des leaders et l’exécution sanguinaire des représentants du mouvement par la Grande-Bretagne pendant toute la durée de la domination coloniale en Inde et plus encore dans les années vingt et trente. De même, le Congrès a soutenu la coalition anti-hitlérienne malgré le fait que tout le gouvernement britannique et Churchill en personne avaient refusé à plusieurs reprises de faire la moindre promesse concernant ne serait-ce que le statut de dominion. Or les dirigeants nazis et japonais avaient essayé par tous les moyens d'attirer de leur côté les leaders du mouvement de libération nationale indien. Mais, dès l'arrivée des nazis au pouvoir, le Congrès n'a eu de cesse de marquer son hostilité envers eux, en tant qu'incarnation parfaite de l’impérialisme et du racisme. Et pourtant, il y avait alors en Inde des personnes pour appeler à profiter de l'affaiblissement de l'Angleterre en vue de renverser le joug anglais.

A ce propos, dans le monde arabe ce furent les partisans du rapprochement avec l'Allemagne qui ont gagné dans la lutte pour la libération nationale. C'est pourquoi l'Angleterre craignait sérieusement qu’ils lui mettent un coup de couteau dans le dos lors combats contre les nazis en Afrique du Nord, étant donné les sympathies de Nasser pour Hitler. Au final, l'Inde est devenue une grande démocratie et la majeure partie du monde arabe paraît ne pas pouvoir se détacher de ses sympathies anciennes (Ce qui représente l'une des causes du malaise du monde arabe.), tout comme nombre de politiciens des pays Baltes.

La Seconde guerre mondiale n'a pas été une guerre ordinaire. Ce fut peut-être la seule guerre dans l'histoire de l'humanité qui ait été menée contre le mal absolu et qui ait réuni les idéalistes défendant leurs valeurs, les cyniques défendant leurs intérêts et même les pourritures qui essayaient de brûler leurs péchés dans les flammes du grand combat. Et tous ensemble, comme tous les gens qui ont participé à cette guerre, ils ont défendu leur Patrie, leur vie et leur foyer, pour le présent et le futur. Et la liberté pour soi et pour toute l'humanité.


Nous poursuivrons ce débat dans le prochain numéro.

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