L’Église Orthodoxe Russe mijote un projet napoléonien

Reconstitution annuelle de la débâcle française de la Bérésina

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« Je propose de ressusciter la tradition d’honorer la victoire du peuple russe dans la guerre de 1812, qui existait avant la révolution, a déclaré père Philippe à Kommersant. Cet évènement peut être célébré, comme avant, le 7 janvier, jour où l’empereur Alexandre Ier édita son oukaze sur l’expulsion des armées napoléoniennes hors de Russie. » « Je considère que cette fête doit acquérir un statut national », a ajouté père Philippe, qui qualifie son idée de « contribution à la vulgarisation des dates historiques de notre État à la veille du 200e anniversaire de la guerre de 1812. »

On pourrait ne voir dans tout ceci qu’une déclaration ordinaire d’un membre du clergé de l’EOR, si, en 2004, une pareille initiative n’avait pas conduit à la création d’une nouvelle fête nationale, le Jour de l’Unité Nationale. Dans le cadre de la lutte « pour l’unification du peuple face au terrorisme », le Conseil interreligieux russe, composé des chefs de toutes les confessions traditionnelles du pays, avait alors proposé d’annuler la fête du 7 novembre qui rappelait la dictature bolchévique [Jour de la Révolution d’Octobre], et de la remplacer par une commémoration de la libération de Moscou de l’envahisseur polonais, le 4 novembre 1612. Cette idée fut bien accueillie par le pouvoir, et déjà, en 2005, le 4 novembre devint férié, alors que le statut du 7 novembre fut réduit à une commémoration de la parade sur la place Rouge en 1941.

Cette fois-ci, les représentants des autres confessions soutiennent également l’EOR. « C’est une idée intéressante, nous a dit la représentante du Conseil des muftis de Russie, Gulnour Gazaeva. Les musulmans de Russie ont partagé avec tout le peuple, en 1812, les joies et les peines qui ont frappé notre pays. » Madame Gazaeva a rappelé qu’en récompense d’une participation active des musulmans dans la guerre contre Napoléon, Alexandre Ier avait autorisé l’érection de la première mosquée à Moscou. Le président des communautés juives de Russie, Alexandre Boroda, considère également que « l’ont peut tout à fait célébrer le jour où les Français furent chassés de Russie », avant de préciser, « l’important, c’est la tonalité de cette fête. Affermir le sentiment patriotique, c’est bien, nourrir le sentiment antioccidental, c’est mauvais ».

L’idée a reçu bon accueil dans les sphères laïques aussi. « Un projet du parti prévoit de célébrer en 2012 le 200e anniversaire de l’expulsion de Napoléon hors de Russie, et dans ce cadre, l’initiative de père Philippe a tout notre soutient, elle correspond à notre point de vue », a dit à Kommersant le chef du groupe d’experts du projet « Mémoire historique » du parti Russie Unie, Stepan Medvedko. « Cela n’enlèvera rien à Noël, s’accorde avec son camarade le chef du Comité législatif de la Douma, Pavel Kracheninnikov. Je trouve particulièrement juste le fait de ne pas se concentrer sur la bataille de Borodino, que nous avons somme toute perdue, mais sur l’expulsion de l’ennemi. » Il a remarqué également que le destin de la fête dépend de la bonne conception des rituels qui vont s’y rattacher : « S’il y a une parade, un feu d’artifice, la fête peut acquérir une existence propre ».

Ce qui est intéressant, c’est que l’EOR avait renoncé à célébrer l’anniversaire de la défaite napoléonienne en 1915, quand les prières consacrées à la victoire sur la France, devenue entretemps un allié de la Russie dans la Première guerre mondiale, auraient pu être perçues comme un acte d’hostilité. Père Philippe n’a pas précisé si les instigateurs de la nouvelle fête prévoient de prendre en compte l’aspect diplomatique de leur initiative.

Pavel Korobov, Oleg Kachine, Kommersant.

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