Disparition d'un Professionnel

Evgeni Yassine
DIRECTEUR DE RECHERCHE DE L’UNIVERSITE D’ETAT – HAUT COLLEGE D’ECONOMIE

C’est une grande peine. Un événement inattendu. Egor Timourovitch nous a quittés à 11 heures hier soir. Nous avions examiné un projet d’édition sur les problèmes de l'histoire contemporaine de la Russie. Nous voulions dresser un historique objectif des années 90, dites « folles », et il venait de publier Pouvoir et propriété, où il avait consacré un chapitre entier à ce sujet. Il avait des idées, des projets sur lesquels il travaillait…

Nous nous sommes serrés la main. Et le lendemain, Egor Timourovitch était décédé. C’est difficile à accepter. Mais dans le même temps, il faut nous y arrêter et réfléchir car c’est un homme important qui nous a quittés. Je dirais sans craindre d'exagérer que c’est un grand fils de la Patrie, ayant énormément contribué à sa prospérité, qui a disparu. Beaucoup de gens n'aiment pas Gaïdar, ils le rendent responsable des nombreux malheurs qui se sont abattus sur notre pays. Il y a ceux qui pensent qu’on aurait pu mieux faire. Mais ce qui est fait est fait. Le pays se trouvait devant cette tâche incroyablement difficile de passer d’une économie planifiée - qui s’était effondrée en démontrant l'inconsistance de l'expérience communiste - à une économie de marché. Ce ne pouvait pas être une opération simple, parce que ces deux systèmes sont incompatibles. On ne pouvait pas prendre un élément d'une économie, le joindre à ceux d’une autre et obtenir quelque chose qui fonctionne. Il fallait agir, prendre des responsabilités. On avait besoin de gens capables de mener à bien ces réformes. Et nous avons eu la chance de trouver en Egor Gaïdar un tel homme. Mais durant toutes ces années, après qu'il a quitté le gouvernement, on a continué à le montrer du doigt : « Ah, les réformes de Gaïdar, sa thérapie de choc ! Il a tout détruit! ».

Ce point de vue est hypocrite et ne correspond en rien à l'échelle des évènements de l'époque.

Gaïdar avait compris dès le début que tout retomberait sur lui. Mais il a fait ce qu’il jugeait nécessaire. Grâce à cela, une impulsion a été donnée pour que la Russie se développe normalement comme les autres sociétés modernes. Et nous suivons cette voie, sans une seule bonne parole, hélas, pour ceux qui ont véritablement rendu cela possible. J'espère qu’aujourd'hui, malgré tout, nous serons capables d’apprécier ces efforts. Nous rendrons à ce grand homme ce qui lui est dû. De même, nous nous rappellerons toujours que la grandeur de la Russie ne tient pas à la taille de son territoire, ni à son industrie, mais qu’elle vient des hommes, de ses grands hommes. A l’instar d’Athènes, rendue célèbre par Euclide et Hérodote, la Russie est devenue le pays de Pouchkine, Tolstoï, Dostoïevski et … de Gaïdar.

On sait qu’Egor Timourovitch s'occupait sérieusement de l'élaboration d’une réforme des finances. Sans doute, ces transformations ne sont-elles pas aujourd’hui d’une passionnante actualité. Mais dans un avenir proche, nous serons de toutes les façons obligés de prendre une décision politique. La décentralisation financière, le transfert des centres de décision vers les régions sont nécessaires. Egor Timourovitch travaillait aussi sur une réforme des retraites, qui est pour la Russie d’aujourd'hui une question prioritaire. Sa principale idée consistait à concentrer des ressources dans un fonds de pension d’affectation spéciale. Et ainsi, de faciliter le passage en douceur du système de distribution actuel à un système qui assurerait des conditions de vie dignes aux futures générations de retraités. Bien que la crise ait un peu sapé les possibilités de réalisation de cette réforme, l’idée reste d’actualité. L’État semble avoir entrepris des pas dans cette direction. Et c’est tant mieux.

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