Vladimir Poutine répond en direct aux « questions du peuple »

...pour quatre heures de valse en direct

Le premier ministre a déclaré qu'il devait encore réfléchir quant à une éventuelle candidature à l'élection présidentielle de 2012. Il s'est largement étendu sur la détention du « célèbre figurant Mikhaïl Khodorkovski » revenant sur le bien-fondé de cette affaire, affirmant cependant également que si l'on « envoyait tout le monde derrière les barreaux, il ne resterait plus personne pour travailler ». Le public a appris qu'il ne fallait pas s'attendre à ce que Vladimir Poutine quitte la politique, et l'envoyé spécial de « Kommersant », ANDREÏ KOLESNIKOV, après quatre heures de ligne directe, n'avait qu'une seule question à poser à Poutine : de quelle manière commencera la fin du monde?

Mêmes lieux que l’an passé, Gostini dvor, un centre d'exposition dans le centre de Moscou. Dans la salle, les spectateurs avaient l'air étrangers à cet endroit et mal à l'aise. Le drapeau flottant sur l'écran plasma derrière le premier ministre soulignait l'idée de changements dynamiques dans le pays. J’en ai eu l'impression que Vladimir Poutine devait avoir froid, assis dans ce courant d'air. Mais finalement, les questions-réponses en direct avec la population ayant duré plus de quatre heures, cette impression devait être trompeuse.

Les gens qui attendaient leur tour pour parler avec le premier ministre n'avaient pas froid, eux non plus, tout d'abord parce que tout le monde s’en rend compte, l'hiver est exceptionnellement chaud cette année, et puis, presque toutes les appels en direct étaient transmis depuis des locaux fermés d'entreprises et d'usines.

Les journalistes du pool gouvernemental étaient encore mieux lotis, en ligne directe depuis un des restaurants de Gostiny dvor.

Bien entendu, la « Conversation avec Vladimir Poutine » a débuté par une question sur le terrorisme. Le chef du gouvernement a expliqué qu'il était difficile de combattre le terrorisme, surtout quand il s’agit d’une guerre de chemins de fer, surtout dans un pays si vaste, avec autant d'infrastructures (qui explosent de temps en temps, à la suite d'un acte terroriste, ou spontanément), mais cela reste possible si l'on déploie des mesures préventives.

Il ne pouvait pas couper à cette question. [Un train a déraillé vendredi 27 novembre sur la ligne Moscou-Saint-Pétersbourg, suite à une explosion sur la voie, faisant plus d’une trentaine de morts. Les autorités ont confirmé la piste d’un attentat terroriste, ndltr]

La crise était l'autre question incontournable. Et la réponse non moins incontournable : le pic de la crise est derrière nous.

La centrale hydraulique Saïano-Chouchenskaïa [Sibérie orientale, ndltr] figurait également au rang des questions inévitables [l’accident du 17 aout 2007 a fait plus de 60 morts, ndltr]. Les images diffusées par la télévision avaient laissé croire que la situation était moins catastrophique qu'elle paraissait l'être juste après l'accident. Mais il va sans dire que, si l'on jugeait tout à l’aune des images du petit écran, la situation serait reluisante partout en Russie. Elle s'améliorerait même de jour en jour. Plus encore, elle s'embellirait à chaque minute de la ligne directe, dont une heure de retransmission prenait l'envergure d'une année de vie du pays.

Quelques phrases du premier ministre, sortant du lot, méritent de figurer dans les anales. « Et si c'était de l’amour?« a-t-il notamment répondu quand on lui a demandé pourquoi il ne répondait pas aux critiques du président biélorusse Alexandre Loukachenko. V. Poutine pensait probablement: « querelle d'amants, renouvellement d'amour ».

En même temps, en bas de l'écran, questions et remarques défilaient. L'affichage de certaines d'entre elles pourrait s'expliquer soit par le fait que les chaînes TV fédérales ont retrouvé la liberté d'expression, comme jamais, soit, - ce qui serait plus probable -, par une malencontreuse négligence. Ainsi, est apparu le message suivant : « Poutine doit partir une fois pour toutes. Il est nul comme premier ministre. Est-il prêt à le faire? Voronine ». A côté de cela, tout paraissait bien anodin : « Quand servira-t-on des steaks hachés à nos enfants à la maternelle?", « Quel est votre Pokémon préféré?", « Quelle est la meilleure confiture?", « Je voudrais vous inviter à danser un slow. Appelez-moi!" (il est vrai que cette proposition ne peut être considérée comme totalement anodine), « Quel est le sens de l'existence?« Et un cri de désespoir : « Pourquoi même les couvre-chaussures sont importés de Chine ?!!"

Il s'agissait donc de questions que les gens se posent tous les jours.

Mais Vladimir Poutine n’a pas pu les voir. Il traitait, avec chaque ville et chaque usine, de sujets portant avant tout sur l'industrie, en prenant son temps. Les employés d'AvtoVAZ soutenaient que les voitures qu'ils produisent sont excellentes, sauf que personne ne le comprend et qu'il faut sauver, sinon les voitures elles-mêmes, au moins la marque « Lada » (le mot « marque » a été prononcé avec une fierté à peine dissimulée et dans le restaurant, pas eu un seul journaliste n'a pu contenir son rire). Mais, de toute évidence, le premier ministre n'avait pas le cœur à rire. Depuis quelque temps, il a pris la casquette de directeur général de cette usine et en tant que tel, il se met un point d'honneur à sortir l'usine du fossé, non, plutôt du trou noir dans lequel elle a sombré. Et, paraît-il, l'argent n'est plus le point décisif depuis longtemps. C'est une affaire de principe.

Cependant, il est clair que les préoccupations des employés ne se limitent pas aux problèmes industriels. Ainsi, le chef du gouvernement a été prié de s'exprimer sur la jeunesse dorée russe, qui provoque des accidents à bord de voitures hors de prix en Suisse, et sur la façon dont on pourrait leur inculquer les bonnes manières.

« Même à l'époque soviétique, certains milieux aimaient exposer leur richesse. Certains trouvaient les dents en or très tendance, de préférence pour remplacer les dents de devant et exposer toute leur aisance. Et pour la « Lambrongini », a hésité le premier ministre - comme s'il ne savait pas exactement comment prononcer le nom d'une voiture aussi chère car, non seulement il n'en avait jamais conduite, mais c'était la première fois qu'il en entendait parler. Comme si ce type de voiture lui restait aussi inaccessible qu'au reste du peuple. Et les autres « bibelots » hors de prix, c'est la même chose que les dents en or... Ces gens-là, qui paradent en exposant leurs richesses devant des millions de modestes Russes, ces gens-là ne diffèrent en rien de ceux qui montraient leurs dents en or. »

« Vous n'avez pas envie de quitter la politique avec tous ses problèmes et de vivre un peu pour vous-même, pour vos enfants, votre famille, de prendre des vacances, enfin ? Je peux toujours vous remplacer, si c'est nécessaire, vous n'avez qu'à m'appeler. Linar de Krasnodar », a cité la présentatrice, reprenant la question d'une personne bien consciencieuse.

« Ça n’arrivera pas ! », a répondu le premier ministre. « Mais si vous avez envie de vous investir, nous examinerons votre proposition et vous trouverons, à vous aussi, un poste digne de votre potentiel ».

Parmi les messages, quelques-uns concernaient les relations, pour ainsi dire, « domestiques ». Ainsi, un téléspectateur a voulu savoir quelles étaient les relations dans le duo Poutine-Medvedev. (La présentatrice n'a pas précisé si cet appel venait de Rome)

« Elles sont bonnes, a répondu V. Poutine. J'ai déjà dit plusieurs fois que nous nous connaissons depuis des années avec Dmitri Anatolievitch. Et non seulement nous nous connaissions, mais nous avons beaucoup travaillé ensemble! Nous avons fait nos études dans la même université (différentes promotions, il est vrai), nous avons eu les mêmes professeurs qui nous ont inculqué non seulement des connaissances, mais également une vision de la vie. Ces principes communs nous permettent de travailler avec efficacité aujourd'hui encore ».

La question suivante concernait le délai de mise en liberté de Mikhaïl Khodorkovski. Le chef du gouvernement a déclaré, sans appeler par son nom Mikhaïl Khodorkovski (qu'il nomme au mieux « le célèbre figurant » mais se contente la plupart du temps de parler du « figurant » tout court), qu'il allait dire quelque chose qu’il n’a jamais dit auparavant et a fini par raconter la même chose qu’il y a deux ans : on avait décidé de transférer les fonds obtenus suite à la vente des actifs de Ioukos vers le Fonds fédéral des infrastructures communales et, grâce à cette décision, les appartements et maisons de dix millions de Russes avaient été remis à neuf. Autrement dit, l'argent était retourné à ceux auxquels il avait été volé. Soit, au peuple.

Le premier ministre a souligné une fois de plus que la faillite de Ioukos avait été orchestrée par des banques occidentales et que Ioukos avait sur la conscience des meurtres prouvés par l'instruction. Finalement, il vaut mieux ne pas poser toutes ces questions qui ne font que compliquer l’affaire et éloigner toute éventualité le remise en liberté du célèbre ex-oligarque.

Vladimir Poutine a déclaré qu'il pourrait bien prendre part aux prochaines présidentielles. « Je pense, a-t-il ajouté, que j'ai encore assez de temps devant moi. Je crois que tout le monde doit remplir son devoir, chacun à sa place. Les décisions concernant la campagne électorale de 2012 seront prises suivant la situation économique et sociale ».

Il est certain que le public ne sera informé que dans les six mois précédant la présidentielle. Mais il est possible aussi que Vladimir Poutine ne se décide qu'à ce moment là (pour lui-même, et pour Dmitri Medvedev).

A la fin de la ligne directe, le premier ministre a répondu à une question qu'il avait choisie lui-même : est-ce que pour lui, les actes de Joseph Staline doivent être jugés positivement ou négativement. Il a probablement fait ce choix pour faire passer quelque chose de nouveau à ce sujet.

En rappelant que « de 1924 à 1953, le pays, à l'époque dirigé par Staline, s'est radicalement transformé, passant de l'agriculture à l'industrie », le chef du gouvernement a dit, effectivement, ce qu'il avait toujours gardé pour lui:

« Tout le côté positif, qui a incontestablement existé, a été néanmoins atteint moyennant un prix inacceptable. Il y a eu des répressions, c'est un fait. Des millions de citoyens en ont souffert. Un tel mode de gestion du pays et d'obtention de résultats n'est pas acceptable. Cela n'est pas possible. Incontestablement, cette période ne témoigne pas seulement du culte de la personnalité, mais de crimes massifs contre son propre peuple. »

Détendu, à la fin de la ligne directe, le chef du gouvernement russe a répondu à une question sur le bonheur, posée par une jeune fille qui, du haut de ses 16 ans, pense souvent à ce genre de choses :

« Chère Dacha, a-t-il commencé, je crois que le seul fait que nous soyons vivants est déjà un bonheur offert par Dieu. Nous oublions souvent que la vie a une fin. Et si on se souvenait de cela, on comprendrait que chaque jour vécu est en soi un bonheur.

Et moi, à la fin, quand le premier ministre est venu parler aux journalistes, je lui ai posé une question sur ce qui pouvait encore avoir de l'intérêt, après une conversation directe de quatre heures :

« Comment voyez-vous la fin du monde ? », lui ai-je demandé. Et lui, sans hésiter, « il ne faut pas penser à la fin du monde, mais au bout du tunnel ».

Après un instant de réflexion, il a expliqué qu'il pensait, bien entendu, à la lutte contre les conséquences de la crise économique et financière et pas à autre chose.

Comme s'il avait pris peur de la franchise apocalyptique de sa réponse.

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