Rêves réalisés

80 ans plus tard, la fougueuse Olga Sorokina replace Irfé sur les podiums

80 ans plus tard, la fougueuse Olga Sorokina replace Irfé sur les podiums

Olga Sorokina est un phénomène encore méconnu de la mode. Cette toute jeune roturière biélorusse est parvenue presque seule à ressusciter une prestigieuse maison de couture fondée par d'illustres aristocrates russes réfugiés à Paris.

Cette nuit d'hiver 1924, le Tout-Paris n'a d'yeux que pour la princesse Irina Romanova, nièce du dernier tsar Nicolas II, qui ouvre dans les salons du Ritz le premier défilé de sa maison de couture, Irfé. A ses côtés, son époux, Félix Youssoupoff, enflamme les esprits qui devinent sous les exquises manières du prince la sauvagerie de l'assassin de Raspoutine.

Irfé, mariage de leurs deux noms, connaît un succès fulgurant. Les clientes insistent pour rencontrer le prince. Une riche Américaine se pâme: "C'est donc vous! Vous n'avez pas l'air d'un meurtrier. Je suis bien heureuse que vous ayez pu fuir ces sales Bolcheviques". Mais le krach boursier de 1929 ruine les clients d'Irfé. L'atelier ferme en 1931.

Près de huit décennies plus tard, Olga Sorokina, jeune mannequin biélorusse, découvre, sous la plume du décorateur de théâtre Alexandre Vassiliev, le destin de cette première émigration blanche. Sitôt achevée la lecture de Beauty in Exile, elle décide de ressusciter Irfé. Elle a à peine 23 ans.

Son audace séduit la comtesse Xenia Sfiris-Sheremeteva, petite-fille des fondateurs dґIrfé et unique descendante de Nicolas II. En quelques mois, Olga Sorokina dessine des robes inspirées des modèles des années 1920 pour une première collection en forme d'hommage dévoilée en juillet 2008 au Palais de Tokyo.

Hors de question pour autant de sґenfermer dans un style suranné. Dès la collection suivante, la créatrice arrime Irfé au XXIème siècle. "Je reprends les motifs et les obsessions de l'Empire comme l'aigle à deux têtes, la couronne, la croix de l'ordre de Malte, ou encore le violet, couleur préférée d'Irina, mais je les détourne, par petites touches. Le résultat est très moderne", affirme la jeune femme.

Seule concession à la tradition d'Irfé: l'exigence de la qualité. "Nous choisissons les meilleurs fournisseurs et les meilleurs ateliers, en France et en Italie. Il faut faire le maximum ou ne rien faire du tout".

Picture: Irina Romanova et son mari incarnent le nec plus ultra des années 20

Résultat: de Tokyo à Saint-Tropez, du Bon Marché au Koweït, Irfé affiche pour la saison printemps-été 2010 un carnet de commandes à faire pâlir d'envie les créateurs russes: "Il y a en Russie des couturiers de talent mais pas de système, pas d'acheteurs. Ça n'a pas de sens de créer de beaux vêtements si l'on ne peut pas assurer les commandes. C'est pour ça que j'ai voulu une véritable maison, une équipe et c'est pour ça que notre showroom est installé rue du Faubourg Saint-Honoré".

Carla Bruni-Sarkozy n'a d'ailleurs eu que quelques centaines de mètres à parcourir pour venir choisir un sac à main Irfé - "elle nous a écrit une lettre de remerciements", glisse, non sans fierté, la créatrice.

Regard bleu invincible, à peine maquillée, elle prend un malin plaisir à conjuguer la délicatesse d'Irina et la fougue de Félix. Négligeant les obstacles, elle échafaude mille projets: ouvrir une boutique à Paris - "mais on ne trouve rien au Faubourg et je veux y rester" -, percer le marché new-yorkais, ou encore relancer les parfums Irfé en retrouvant les formules Youssoupoff.

Combien de destins brisés pour un succès comme le sien, combien de jeunes beautés devenues hôtesses plutôt que mannequins? Elle nґy pense pas: "La force des mannequins de l'Est, c'est qu'elles gardent leur rêve chevillé au corps, qu'elles encaissent les coups sans faillir. Elles se considèrent comme des stars, et ça marche. Moi je n'ose plus rêver, car tout ce dont je rêve se réalise".

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