Moscou, ville ouverte

On peut avoir choisi la Russie, ou pas. Il y a des Français qui s'expatrient pour suivre un(e) Russe de leur cœur, ou simplement à force d'avoir lu Dostoïevski ou mangé des pilméni chez leur copain d'enfance Micha. Il y a ceux qui ont appris la langue au lycée ou à la fac, et pour qui la Russie est devenue une deuxième patrie professionnelle ou affective.
Et puis il y a des gens qui s'y retrouvent par hasard, sans préméditation. Comme ces jeunes, frais émoulus d'écoles et d'universités, à la recherche de travail et d'émotions fortes. De Moscou, ils ne savent rien. On leur aurait dit Mexico, ils y seraient allés de la même façon. La Russie, pour eux, c'est avant tout l'ailleurs, une destination lointaine, qui permet de fuir l'inertie et la saturation du marché de l'emploi français. "C'est l'inconnu. En plus c'est loin, c'est grand, ça fait un peu peur, parfait pour une expérience à l'étranger", raconte Guillaume, rédacteur web d'un journal local. Au premier abord, Moscou apparaît comme une cité infinie, chaotique, peuplée de gens bourrus et violents, semée d'embûches administratives. A l'abord suivant, "c'est une ville qui vit à 200 à l'heure, qui ne dort jamais, où il se passe toujours quelque chose, et les Russes ont un sens démesuré de la fête", dit Clément, venu travailler dans la filiale russe de Michelin. Sûr, c'est une cité infernale. Immense, assourdissante, aux artères bouchées par le trafic et la pollution, avare en bistros, restos et rues piétonnes. Mais, pour Guillaume, " Moscou n'est ni hospitalière, ni inhospitalière. Elle ne te souhaite pas la bienvenue, mais pas la malvenue non plus. Il faut juste entrer dans la cadence". Et dénicher un café cossu et un supermarché avec une modeste mais respectable sélection de bordeaux. Malgré la barrière de la langue, les rencontres sont faciles et les amitiés se nouent. Il est d'ailleurs de plus en plus fréquent de rencontrer des Moscovites parlant anglais, ou même français, ouverts et curieux de l'étranger. "Les Russes sont entiers, francs et très directs. On peut être heurté au début, avec notre sens des convenances à nous, mais les relations sont saines, au boulot comme dans la vie privée. Personne ne fera de compliments gratuits et les reproches sont clairement formulés", s'accordent les Français. En fait, il suffit de peu: beaucoup d'humour et autant de patience. Sans oublier quelques petits trucs simples comme « privet », qu'on apprend très vite, pour affronter les distances infinies, les commerçants maussades, voire les frimas. Les « taxis sauvages » vous mènent d'un bout à l'autre de la mégalopole pour trois roubles six kopeks, un sourire désarmant transforme les Charybde et Scylla du rayon Fromages en bonnes fées, et, bien sûr, rien ne réchauffe tant qu'un bon petit verre de vodka, en chaleureuse compagnie.


Igor Shapochnikov


Muriel Rousseau, directrice de création à l'agence de communication « Lieu commun »
« La Russie, c'est un endroit où les projets les plus fous se réalisent, alors que les choses les plus simples, normalement, non. Il faut savoir être un peu héroïque tous les jours ». Muriel Rousseau, diplômée des Arts déco de Paris, est entrée en Russie d'abord par la littérature, puis en suivant son mari. C'est en 1988 qu'elle déménage à Moscou. L'agence de communication « Lieu commun », qu'elle a fondée au milieu des années 1990, travaille surtout avec les entreprises françaises implantées en Russie - Total, Givenchy, Président, parmi tant d'autres. « C'est parce que cґétait le Far East pendant mes premières années de vie ici que j'ai pu accomplir tout cela. On n'était pas à l'étroit, on n'était pas obligé de correspondre à des cases, tout était à construire ». Elle est aussi à l'origine du célèbre restaurant français de Moscou, le « Jean-Jacques », conçu comme un bistro parisien, avec une carte des vins exhaustive et un bar en zinc. « Mon objectif est de traduire cette culture qui m'est si chère dans un langage compréhensible pour les Russes, de leur transmettre nos goûts et coutumes ».

Pierre-Christian Brochet, entrepreneur et collectionneur d'art contemporain russe
Venu en Russie à la veille de la chute de l'URSS, Pierre Brochet s'est d'abord occupé des beaux livres de Flammarion à l'international, avant de s'associer à la publication des guides Le Petit Futé en russe. Surtout, marié à l'artiste Annouchka, il a commencé, dès son installation en Russie, à accumuler les œuvres des artistes qui n'avaient jamais quitté le pays, fondant ainsi une collection qui englobe pratiquement tous les principaux acteurs de l'art contemporain russe des vingt dernières années. Cette collection unique a fait de Pierre Brochet un pilier du milieu. Son objectif, désormais, consiste paradoxalement à faire connaître cet art russe... aux Russes! Pendant deux ans, une exposition à tourné dans les grandes villes de province. « Ce serait inimaginable en France, qu'un Russe débarque pour montrer l'art français aux Français, alors que j'ai été accueilli partout à bras ouverts », s'exclame-t-il. « La vie en Russie est chaotique, compliquée, mais tellement plus intéressante. Il faut juste savoir rester zen. Et n'avoir peur de rien... pour ne pas avoir peur de tout!".

Jacques der Megreditchian, partenaire à la banque Troika Dialog et président du Conseil de la bourse RTS
« Je ne suis pas venu à Moscou par choix mais un peu par hasard », reconnaît Jacques der Megreditchian. C'était en 1993. Il ne l'a jamais regretté et énumère sans peine les avantages de la vie en Russie. « Ce n'est qu'à trois heures et demie de vol de Paris et pour ce qui est de la mentalité, c'est assez proche. Et il y a aussi le fait que des impôts à 13%, ce n'est pas pour me déranger! Ce qui me plaît, c'est que la Russie est en mutation. J'aime bien le caractère national, je trouve les Russes sympathiques et amusants. Le sens de la mesure n'est pas leur première qualité, ce sont des gens entiers, pas des calculateurs ». Il y a les « moins », bien sûr : « Le temps évidemment: plafond nuageux et six mois de grisaille. Les bouchons sont terribles, bien pires qu'à Paris ou à Londres ». Quant aux loisirs, ils sont limités, à cause du boulot. « Je travaille plus de 70 heures par semaine. Je finis rarement avant 22h, donc pour moi, les théâtres, c'est raté! Mes loisirs, ce sont les dîners avec les copains. Mais en réalité, pour bien décompresser, je pense qu'il faut partir assez souvent à l'étranger!".

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