La bourka, cape mythique des habitants du Caucase

Max Alpert / RIA Novost
La bourka, cette cape caucasienne pour homme, n’est pas seulement un vêtement, mais également une couverture et une tente. Elle est fabriquée de nos jours dans une entreprise spéciale unique en Russie.

Récemment l’actrice britannique Elizabeth Hurley a publié sur Instragram une photo où elle pose vêtue comme Catherine d’Aragon. Les habitants du Caucase russe ont ri de bon cœur au sujet de son costume, car l’actrice s’est vu refiler en guise de robe royale le costume national des Tcherkesses (peuple autochtone de plusieurs régions russes du Caucase).

D’ailleurs, ce n’est pas la première histoire du genre pour les Tcherkesses. En effet, leurs armes et leurs vêtements ont été adoptés par différents peuples du Caucase et d’autres régions.

Le tsar Nicolas II a posé en veste nationale des Tcherkesses, les chachkas (arme de longue lame rappelant un sabre) sont devenues la principale arme blanche de l’armée russe, tandis que la bourka constitue une partie intégrante de l’image du berger géorgien ou du chef militaire de la Guerre civile (1917–1923).

Une tente, une cuirasse et un médicament

Cette longue cape en feutre a servi pendant des siècles de vêtement et de tente aux montagnards. Solide et résistante, elle pouvait tenir d’elle-même, sans qu’il y ait quelqu’un à l’intérieur. La bourka servait également de lit et de couverture. Qu’importent les distances, il suffisait au montagnard de jeter sa bourka à terre pour se sentir chez lui.

Pour les longs parcours entre les pâturages, les bergers préfèrent aujourd’hui encore la bourka aux sacs de couchage modernes. Selon les dires, les montagnards et les cosaques qui prenaient froid se recouvraient de leur cape de feutre et partaient au galop, ce qui leur permettait de suer comme dans un bain et de guérir plus vite.

Paysan fumant sa pipe à Mestia (Géorgie). Fin du XIXe siècle. Source : Collection de James Guthrie Harbord / wikipedia.org

Le militaire pouvait également cacher son arme sous sa bourka. L’ennemi ne pouvait pas remarquer qu’il saisissait sa chachka et la lame sortait subitement du manteau. Pour cette raison, la bourka ne se fermait jamais. C’est en vain que le leader cubain Fidel Castro a cherché les boutons d’une bourka reçue en cadeau dans les années 1970 de la part de la délégation soviétique. Cette cape en matière robuste pouvait sauver son propriétaire d’une balle ou d’un coup de sabre. Et si l’ennemi avait le dessus, le blessé était évacué du champ de bataille allongé sur sa bourka.

Il est évident qu’une pièce vestimentaire aussi importante se devait d’être dotée d’un pouvoir magique. Selon les montagnards, la bourka unissait notre monde à l’au-delà. Les défunts étaient ensevelis dans une bourka, les femmes en couches en étaient recouvertes pour rendre moins pénible l’accouchement et les nouveau-nés étaient déposés sur le manteau.

Les duels sur bourka avaient, en règle générale, une fin tragique : selon les règles, les rivaux avaient l’interdiction de faire un pas en dehors du manteau pour tenter d’éviter un coup de poignard.

L’auteur des Trois mousquetaires, Alexandre Dumas, écrit dans son Voyage au Caucase qu’une bonne bourka représente une grande valeur, surtout quand elle est faite « en plumes de pélican ». Le célèbre Français a dû prendre pour des plumes d’oiseau les petites tresses en laine d’une espèce spéciale de moutons qui viennent toujours orner les meilleures bourkas.

D’autres bourkas, plus « austères », étaient parées de tresses en poils d’ours ou de loup. Elles ne pouvaient appartenir qu’à de grands chasseurs : une telle bourka était dangereuse, car elle attirait à elle les animaux et les ennemis. Du côté intérieur, le propriétaire fixait ses trophées de chasse : dents et griffes d’animaux et becs d’oiseaux.

La fabrication

Les plus belles capes de feutre de qualité étaient fabriquées par les Andiens, peuple peu nombreux qui habite dans l’ouest du Daghestan près de la rivière Andiïskoye Koïssou, ce qui se traduit comme Eaux ovines. C’est ici que se trouve l’unique entreprise de bourkas de Russie.

L’atelier a été ouvert en 1925 à Rakhata, dans une vallée de montagne, près de la frontière administrative avec la Tchétchénie. Pendant la Seconde Guerre tchétchène (1999–2000), l’entreprise a été détruite par une bombe. Elle a été reconstruite avec l’aide d’autres régions russes, mais aujourd’hui, elle survit seule.

La laine de mouton est démêlée sur des supports munis de clous. Le duvet est défibré sur un arc en bois. Les meilleures ouvrières étalent ensuite la laine sur le sol et lui donnent la forme de la future bourka, mais en plus grand, car pendant le feutrage elle va se resserrer. La laine est disposée en trois ou quatre couches : la meilleure et la plus longue est placée à l’extérieur, pour protéger son propriétaire des intempéries, la laine de qualité moyenne se trouve à l’intérieur et la plus courte est mise entre les deux.

La future bourka est légèrement aspergée d’eau bouillante avec un balai. Trois ou quatre femmes en coudières noires l’enveloppent dans un tissu, la posent sur une table et la roulent en pesant de tout leur poids et en tapant dessus pendant une heure, jusqu’à l’agglomération des filaments. Par la suite, elles passent dessus une brosse à picots en fer.

Cette pièce est longtemps bouillie avec de la teinture. Les bourkas noires sont destinées aux bergers, tandis que les blanches sont réservées aux fêtes et à être offertes en cadeaux. Les morceaux de feutre coloré sont sortis de l’atelier. Les ouvrières les prennent par les coins, les trempent dans de l’eau pour redresser les poils sur l’extérieur, les retournent et les étalent sur du gravier.

Ces morceaux recouvrent toute la cour. Une montagnarde en foulard vient répandre de l’eau bouillante mélangée à de la colle d’os sur les mèches qui dépassent. Elle forme ainsi des glands protégeant contre la pluie. Les « plumes de pélican », celles qui sont faites en laine d’une espèce particulière de moutons, n’ont pas besoin de colle, mais leur fabrication est beaucoup plus compliquée : les bourkas avec de tels ornements coûtent dix fois plus cher et ne sont réalisées que sur commande spéciale par des experts, d’ailleurs peu nombreux.

Quand elles sont sèches, les pièces de feutre sont remises à la tailleuse-couturière qui coud les couches supérieures et ajoute une doublure. Voilà, la « maison du montagnard » est prête !

Le prix de vente des bourkas de Rakhata est de 2 500 roubles (32 euros). Les ouvrières gagnent environ 6,5 euros par jour, ce qui est beaucoup pour un villageois. En outre, la fabrication commence à l’aube et se termine à l’heure du déjeuner, ce qui laisse du temps pour s’occuper du potager.

Bien sûr, les femmes auraient préféré travailler à plein temps, mais l’entreprise traverse une période difficile. Si elle employait par le passé plus de deux cents personnes, aujourd’hui, il n’en reste plus qu’une dizaine. Le prix d’achat de la laine oscille entre 0,06 et 0,19 euro le kilo, ce qui fait que les célèbres moutons des Andiens sont élevés surtout pour la viande qui, il faut l’avouer, est succulente.

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