Cent ans après, un soldat russe tombé pour la France enfin inhumé

Maria Kouzmina
La dépouille du soldat russe inconnu récemment découverte à Cormicy, à quelques centaines de mètres du Mont Spin, a été inhumée au cimetière militaire de Saint-Hilaire-le-Grand.

Habituellement désert et paisible, le cimetière militaire de Saint-Hilaire-le-Grand, situé dans la Marne au lieu-dit L’Espérance, a vu le 22 mars une grande affluence de personnalités officielles, de porte-drapeaux d'associations d'anciens combattants, de militaire et de journalistes.

Une cérémonie solennelle d’inhumation d’un soldat inconnu russe était organisée dans ce cimetière, dominé par une petite chapelle orthodoxe, qui a recueilli depuis 1917 près d’un millier de corps de soldats russes tombés dans les combats de la Grande Guerre, essentiellement durant l’offensive Nivelle.

Les fragments du corps d’un militaire du Corps expéditionnaire russe tombé pendant l’attaque du Mont Spin ont été découverts le 24 décembre sur l’emplacement de l’ancien champ de bataille.

« Saint-Hilaire-le-Grand est sa demeure éternelle. Oublié de l’histoire, enfoui en terre champenoise, la vie pour lui s’est arrêtée ici. Elle a dû être belle, donné à tout jamais pour nous. Une mort sournoise a saisi le soldat et tous ses compagnons. Nous croyons, Russes et Français, que cette touchante cérémonie plus de cent ans après, que ces instants de fortes émotions ôteront à jamais du cœur de la jeunesse une envie de revivre conflit ou guerres atroces », a déclaré devant le public présent à la cérémonie Agnès Person, Maire de Saint-Hilaire-le-Grand.

« Cet événement est comme un écho lointain de la guerre qui aurait dû se terminer il y a cent ans. Mais on dit que la guerre n'est jamais terminée tant que le dernier soldat n’est pas inhumé. Et je crains qu’elle ne se termine jamais, parce que dans le sol de la France, comme dans le sol de la Russie, il reste encore des milliers et des milliers d’hommes qui sont morts pendant cette guerre », a souligné dans son discours Alexandre Orlov, ambassadeur de la Fédération de Russie en France.

Il a également noté que l’amitié entre la France et la Russie avait été scellée par le sang commun versé pendant les deux conflits mondiaux et que la mémoire des soldats tombés pour la cause commune doit montrer le chemin et pérenniser l’amitié entre les deux peuples, liés par l’histoire et une culture commune.

Jean-Marc Todeschini, secrétaire d’État auprès du ministre de la Défense chargé des Anciens combattants et de la Mémoire, qui a présidé la cérémonie d’inhumation du soldat inconnu russe, a rappelé que dans le cadre des rapports signés en décembre 1915, la Russie avait accepté d’envoyer en échange de matériel de guerre et de munitions un renfort conséquent, constitué de quatre brigades d’infanterie et composées de 50 000 officiers et soldats. Les soldats de la première et de la troisième brigade ont rejoint la France, plus précisément la Champagne, entre les mois d’avril et d’octobre 1916.

Crédit : Maria KouzminaCrédit : Maria Kouzmina

« Alors que nous nous apprêtons à célébrer le 16 avril prochain le centenaire de la bataille du Chemin des Dames, je tenais à être présent ici, à Saint-Hilaire-le-Grand, pour rappeler l’engagement des soldats du Corps expéditionnaire russe dans cette offensive. Car en avril 1917, les deux brigades, réunies et rattachées à la 5e armée française du général Mazel, sont chargées d’attaquer les défenses allemandes près de Reims. En deux jours de féroces affrontements, les Russes parviennent à prendre quelques points stratégiques. Les pertes sont immenses. Le Corps expéditionnaire russe déplore 70 officiers et 4472 soldats tués, blessés et disparus. C’est bien de ces disparus que faisait partie le soldat à qui nous rendons aujourd’hui hommage et à qui nous offrons un siècle après une digne sépulture », a dit Jean-Marc Todeschini.

L’inhumation de la dépouille a été précédée par un office religieux dans la chapelle du cimetière, érigée grâce à une collecte de fonds levés par l'Association du Souvenir du Corps expéditionnaire russe. Inaugurée le 16 mai 1937, la chapelle a été construite par l'architecte et peintre russe Albert Benois dans le style des églises de Novgorod et de Pskov du XVe siècle.

Après la mise en terre du cercueil, les élèves de deux collèges de Reims qui ont choisi d’apprendre le russe comme langue étrangère ont déposé des fleurs sur la tombe. Des gerbes ont été également déposées au monument aux morts pour rendre hommage à tous les combattants russes, connus ou inconnus, tombés en France au cours de la Grande guerre.

« C’est une très belle cérémonie en hommage au soldat qui a disparu il y a très longtemps, il retrouve la place auprès de ses camarades. Nous, marnais, originaires de la région où il y a eu de nombreux combats, nous sommes habitués à ce recueillement : on trouve encore souvent les ossements des combattants. C’est un grand honneur pour toutes les associations de mémoire de participer à cet événement », a confié Michel Bonon, le Président de l'Association amicale porte-drapeaux Reims au correspondant de RBTH.

En s’approchant du champ où la dépouille du soldat russe a été trouvée, on passe le cimetière militaire français avec des centaines des croix blanches. Une d’elle est plus blanche que les autres. Toute neuve, elle était érigée sur une tombe récente qui a accueilli les ossements de cinq soldats français découverts par le passionné de l’histoire de la Grande guerre Pierre Malinowski au cours de ses travaux de recherche. Depuis trois ans il en trouve partout tout autour, dans cette terre pleine de traces d'une guerre vieille de cent ans.

3500 soldats, russes et français, ont péri dans les champs de Cormicy où l’ancien militaire a entamé il y a trois ans les recherches des corps de soldats russes disparus. Pierre montre la copie du plan d’époque : « Nous sommes sur le lieu d’attaque, au-dessous des tranchées, il y a des Russes partout ici, on voit devant nous le Mont Spin, l’objectif des Russes, qui a été atteint au prix de milliers de vies. Pendant la construction de l’autoroute, plusieurs dépouilles auraient remonté à la surface, mais personne n’y prêta d’attention. 200 hectares de champs et de bois sont encore à exploiter. Juste sous nos pieds, il y a environ 700 cadavres russes, tués au couteau, à la baïonnette. C’était la première ligne allemande ».

Crédit : Maria KouzminaCrédit : Maria Kouzmina

Pendant que nous parlons, une biche traverse le champ de luzerne, le paysage est paisible, presque idyllique, tandis que sous nos pieds, à la surface de la terre remontée par la pelleteuse, les fragments d’obus et de boîtes de conserves rouillés, rappellent le carnage que le destin a réservé à ces paysans et ouvriers russes, mobilisés pour partir à la guerre loin de chez eux. Pierre espère ouvrir toute le tranchée à la pelle et à la pioche cet été et veut inviter un groupe d'étudiants russes pour participer à ces fouilles.

À Saint-Hilaire-le-Grand, près de la nécropole, existe un monument érigé par les fantassins du 2e régiment spécial durant la Grande guerre sur les lieux des premiers combats des brigades russes, en l'honneur des soldats tombés. Sur l'une de ses faces on lit : « Enfants de France ! Quand l'ennemi sera vaincu et que vous pourrez librement cueillir des fleurs sur ces champs, souvenez-vous de nous, vos amis russes, et apportez-nous des fleurs ».

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